Chroniques 

Parce qu’on est en 2016

Faut-il privatiser la Société des alcools du Québec ?

La réponse est évidente.

C’est oui.

Comment ? Ça, c’est plus compliqué.

Parce qu’il faut trouver une façon de conserver les bons côtés de ce monopole public, en commençant par les revenus qu’elle génère pour l’État, tout en ouvrant la porte à la concurrence pour répondre aux anomalies actuelles du système et aux frustrations qu’elles engendrent.

Je vous entends hurler. Enfin, certains d’entre vous. Les emplois perdus ! La concurrence sauvage n’aide que les gros ! On n’est pas aux États-Unis ici.

Ah oui ? Alors pourquoi nous inquiétons-nous seulement de la vente d’alcool ?

Il y a sûrement d’autres secteurs de vente au détail où les travailleurs aimeraient avoir un emploi syndiqué bien payé, bien encadré, comme ceux des SAQ. Qu’est-ce qui nous stoppe ? On pourrait étatiser les pharmacies, qui furent gérées par une société d’État en Suède durant des décennies. On pourrait certainement prendre le contrôle de la vente de fruits et légumes, que les consommateurs qui veulent manger santé trouvent bien chers, eux qui auraient bien besoin d’aide pour suivre les prescriptions de la santé publique…

Mais non. On ne le fait pas parce que personne n’est nostalgique de l’URSS du temps des plans quinquennaux.

Alors qui peut m’expliquer pourquoi la SAQ – et Loto-Québec aussi – a ce statut spécial ?

N’est-il pas temps d’arrêter de tourner autour du pot ?

Cette société d’État est un paradoxe ambulant. De surveillante de la santé publique à sa création, elle est devenue une vache à lait du gouvernement en encourageant, avec une dynamique et une pensée de très gros acteur privé, la consommation qu’elle est censée encadrer.

Et chemin faisant, elle néglige le consommateur, autant côté prix de vente – qui souvent pourraient être plus bas si elle en faisait l’effort – que côté coûts de fonctionnement – ils augmentent plus que les ventes. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la vérificatrice générale Guylaine Leclerc dans son rapport de la semaine dernière. Ajoutez à cela les constatations de trois économistes indépendants décrites et expliquées dans ce dossier par mon collègue Francis Vailles…

En fait, les seules personnes que j’ai jamais entendues défendre la SAQ sont soit les employés, pour des raisons évidentes, soit les agences et producteurs de vins qui profitent de son immense pouvoir d’achat. Quand la SAQ aime un vigneron ou un produit, c’est le bonheur. C’est l’une des plus grosses acheteuses de vin du monde. Les quantités commandées peuvent être phénoménales. On ne condamne pas publiquement un tel monstre.

Mais les autres, les acheteurs comme vous et moi ?

Ça ne vous tenterait pas, un tout petit peu plus de liberté, de flexibilité, de diversité ?

Je parie que si on ouvrait la porte à une certaine concurrence, des employés de la SAQ, les meilleurs, ou alors d’excellents sommeliers comme la ville en compte plusieurs, ouvriraient de géniales boutiques de vins fins, de trouvailles, où l’on pourrait discuter, commander des crus précis, apprendre, comme le font les bons commerçants dans tous les autres secteurs de la vie. Vous ne pensez pas que ça, ça aiderait le roulement des vins plus chers ou moins commerciaux, ces vins dits « de spécialité » dont la vérificatrice s’inquiète parce qu’il y en a trop à la SAQ ?

Parce que vous savez, Mme Leclerc, même si ces « spécialités » ne cartonnent pas comme du Little Penguin, ce n’est pas tout le monde qui ne veut boire que du sauvignon Kim Crawford, du Ménage à trois et du Liano. Peut-on faire un tout petit peu de place pour ceux qui ont envie de vendre et d’acheter du vin autrement que dans la mentalité Réno-Dépôt du système actuel ?

Il n’est pas nécessaire de fermer toutes les succursales de la chaîne étatique du jour au lendemain. Mais au moins de lancer des projets-pilotes. On est en 2016 quand même. Notre immobilisme est délirant.

On pourrait accorder des permis à des commerces indépendants, comme on le fait dans les campagnes où il n’y a pas de succursales officielles. On pourrait alléger la bureaucratie pour que les agences puissent aider leurs clients, privés ou commerciaux, à commander et à recevoir directement leurs vins. On pourrait permettre aux agences qui existent déjà d’ouvrir des commerces pour leurs produits.

Et on taxerait tous ces vins pour maintenir des revenus importants en laissant le reste de la mécanique commerciale à des entrepreneurs.

***

En plus, la SAQ n’est pas seulement une anomalie commerciale. Ses agissements de supermarché géant ont aussi un impact sur le développement social de nos communautés, de manière pas toujours cohérente avec d’autres politiques.

Par exemple, chaque fois qu’elle grossit ses succursales et s’installe à l’extérieur des « noyaux villageois », elle encourage l’étalement urbain.

Lorsqu’elle décide de donner un permis d’agence à tel ou tel commerce dans un village, elle détermine qui aura un avantage commercial très important. Où est la transparence quand une société d’État choisit ainsi de favoriser un établissement plutôt qu’un autre dans ces milieux ?

Peut-on au moins ouvrir une petite porte à de la modernité et de la cohérence ?

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