La chambre des dames
Sarah Waters
Traduit par Alain Defossé
Alto, 601 pages
3 étoiles et demie
Sarah Waters n’avait pas hésité à déstabiliser ses fans dans, en prenant un détour par l’atmosphère gothique et la maison « hantée ». Avec , l’auteure deet, ouvertement lesbienne, revient toutefois à ses premières amours – alors qu’elle nous entraîne dans le sillage de deux femmes qui se rencontrent, se découvrent, s’aiment en ces années d’après-Première Guerre mondiale (nous sommes en 1922) où l’Angleterre pleure bien de ses hommes. Des pères. Des frères. Des maris.
En deuil et désargentées, Frances Wray et sa mère se voient dans l’obligation de louer une partie de leur grande maison située à l’extérieur de Londres. Entrée des Barber. Les « Paying Guests » du titre original. Lilian et Leonard. Lil et Len. Qui rient beaucoup. Sortent. Reçoivent. Semblent plus « modernes » que leurs hôtesses. Mais la trajectoire du couple est moins lisse qu’il n’y paraît à première vue. Quant à Frances, bonne (vieille) fille en apparence, son passé comporte aussi des zones tourmentées. Et son présent, des émois.
Nous sommes un peu ici à Downton Abbey, mais aussi chez Elizabeth Taylor et même Agatha Christie. L’époque. Le portrait d’une société qui a perdu ses repères. Les femmes, entre elles et parmi les hommes. Les classes qui se jugent et se heurtent. La minutie dans la description des faits et des gestes. Et puis, le meurtre. L’enquête. Les conséquences.
Avec , Sarah Waters frappe en fait à plusieurs portes. Histoire d’amour. Drame historique. Roman policier. Peinture sociale. Ç’aurait pu être beaucoup. Trop. Ce ne l’est pas. Parce que ces portes, elle ne les défonce pas mais les entrebâille juste ce qu’il faut pour intriguer, révéler, surprendre. Certaines donnant par contre sur une vue, une cour, une rue, un paysage, plus fascinants, prenants, que d’autres.
Ainsi, d’un côté, cette description d’une partie de Serpents et échelles où il se dit tellement de choses – entre les lignes – sur Lil, Len et Frances, est absolument splendide. Alors que de l’autre, la scène du meurtre et ce qui s’ensuit flirte un peu trop avec le mélodrame.
L’écueil aurait pu être fatal sous une autre plume. Mais Sarah Waters possède cette faculté de (nous) faire croire que son œuvre date vraiment de l’époque à laquelle elle se déroule. Et c’est magique. Des petits moments croqués dans le quotidien aux descriptions des émois et des sentiments, en passant par les scènes, explicites, de sexualité, rien ne sent l’anachronisme. Il y a là un parfum d’hier littéraire qui convainc et charme même dans les moments moins forts. L’art de maquiller le temps ? Peut-être. Le talent d’une grande femme de lettres ? Absolument.