Projet de 1 milliard à La Tuque

Du carburant fait à partir de « branchailles »

Imaginez si vous pouviez faire le plein de votre voiture avec du carburant 100 % vert, produit à partir de branches d’arbres. Finies les préoccupations environnementales.

Une utopie ? Plus maintenant. Encore mieux : l’un des plus gros projets de carburant forestier du monde se dessine au Québec, plus précisément à La Tuque, en Haute-Mauricie. L’usine nécessiterait un investissement de 1 milliard et créerait 500 emplois. La société Neste, de Finlande, y est associée.

Pour les gens de l’industrie, le projet de l’entreprise Bioénergie La Tuque (BELT) n’est pas nouveau. Et il faut bien le dire, il reste plusieurs étapes à franchir avant la première pelletée de terre et bien des questions quant à la rentabilité.

Néanmoins, la douzaine d’études lancées il y a un an pour en vérifier la faisabilité avancent rondement. Ces études portent notamment sur les aspects environnementaux, économiques et financiers du projet.

Un des éléments clés est l’accès à un approvisionnement important en résidus forestiers bon marché. Il ne s’agit pas des déchets à la scierie, mais des résidus de coupe que laissent les entreprises forestières sur le terrain (arbres trop petits ou tordus, « branchailles », etc.).

Selon les études, l’entreprise aurait accès à 600 000 tonnes sèches de ces résidus sur le territoire de La Tuque chaque année, ce qui serait bien suffisant pour nourrir une usine. Le prix de la matière serait 40 % moins cher qu’ailleurs.

Par le passé, plusieurs tests ont prouvé la convertibilité en carburant des matériaux lignocellulosiques de la biomasse forestière.

Et un litre de diesel forestier produirait 90 % moins de gaz à effet de serre (GES) qu’un litre de diesel traditionnel.

Il faut toutefois choisir le procédé de transformation le plus prometteur, d’une part, et surtout, vérifier la rentabilité d’une production à grande échelle. Le choix du procédé de BELT devait être fait vers le mois de juin. Par la suite, les tests à grande échelle pourraient avoir lieu à Dunkerque, en France, me dit Patrice Mangin, directeur général de BELT.

À ce jour, BELT a reçu 4,6 millions de dollars de fonds publics pour la période 2017-2019. Elle aura besoin de 7 millions supplémentaires pour entamer la nouvelle étape. Si tout va bien, la construction de l’usine pourrait être lancée en 2021.

La finlandaise Neste connaît bien la question. En plus d’avoir fait de la recherche, elle exploite des usines de biodiesel renouvelable fait à partir de gras animal ou végétal. Pour rentabiliser le projet, les gouvernements doivent toutefois exiger que l’essence vendue dans les stations contienne une part de carburant vert, insiste le vice-président principal, technologie, de Neste, Lars Peter Linfors 1.

En Finlande, par exemple, le gouvernement exige que l’essence à la pompe contienne 15 % de carburant vert. Le taux exigé était de 10 % en 2016 et il augmente progressivement à 20 % en 2020 et à 30 % en 2030. « Ces cibles incitent la recherche et l’innovation », me dit M. Linfors.

Au Canada, le gouvernement fédéral exige que l’essence à la pompe contienne 5 % de carburant vert. Le Québec est dispensé de cette norme et l’Ontario est à 7 %.

D’autres États ont pris le taureau par les cornes. Le plus gros marché de Neste est en Californie, où un nombre grandissant de véhicules municipaux est alimenté entièrement en biocarburant (sans diesel traditionnel mélangé). Même une entreprise comme Google a décidé d’aller de l’avant pour ses propres voitures, avec une cible de 50 % en 2020.

Du biocarburant est aussi utilisé par les forces armées américaines pour ses avions de chasse. Quant à l’industrie de l’aviation civile, elle projette de nourrir en partie ses avions avec du carburant vert au cours des prochaines années pour atteindre ses cibles de réduction de GES.

Rentable ?

Le biocarburant forestier de BELT coûterait entre 20 et 50 % plus cher que le diesel traditionnel, selon M. Mangin. Comme le prix du diesel à la pompe avant toutes les taxes est de 77 cents le litre actuellement, celui du carburant forestier varierait entre 92 cents et 1,16 $ (auquel il faudrait ajouter des taxes, voir tableau).

Toutefois, l’automobiliste ou le camionneur ne verrait qu’une partie de l’impact de ces coûts additionnels, fait valoir M. Mangin, puisque le carburant vendu à la pompe ne contiendrait qu’une fraction de ce carburant vert.

Le porte-parole de l’industrie pétrolière, Carol Montreuil, n’est pas de cet avis et juge que le biocarburant n’est viable ni économiquement ni environnementalement. Entre autres, dit-il, une tonne de carbone économisée grâce à ce carburant coûtera plus de 200 $, soutient-il, ce qui est 10 fois plus cher que le prix de la tonne négocié sur le marché du carbone (environ 20 $).

Selon les paramètres du projet de BELT, une tonne de carbone économisée coûterait plutôt entre 63 $ et 158 $. L’objectif est de produire en bas de 130 $ la tonne, dit M. Mangin. Le client cible serait l’industrie du camionnage, gourmand en diesel.

Pierre-Olivier Pineau, de HEC Montréal, juge qu’il est légitime pour les gouvernements d’investir dans cette filière. « C’est la voie de l’avenir. Oui, pour l’instant, c’est plus cher que d’autres moyens pour réduire les GES. Mais le prix de la tonne de carbone augmentera sur le marché, tandis que les coûts du carburant forestier diminueront », dit-il.

1. J’ai rencontré Lars Peter Linfors et les dirigeants de BELT à Québec lors du colloque de l’Association québécoise de la production d’énergie renouvelable (AQPER).

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