OPINION

Les vrais tabous du suicide

Ce n’est pas un problème de santé mentale, mais bien de santé sociale

Le suicide est un phénomène social, beaucoup moins subjectif ou individuel qu’on puisse le penser. En cette semaine de prévention, nombreux seront les spécialistes à faire entendre leurs points de vue. Mais il est fort à parier que l’argument sociologique ne sera jamais allégué, relégué au rang de vrai tabou.

Le suicide n’est pas un problème de santé mentale, mais bien de santé sociale. Depuis plus de 100 ans, la sociologie sait que la variation du nombre de cas de psychopathologies diagnostiqués au cours d’une année ne suit en rien les variations du nombre de suicides. Cela est aussi vrai pour le Québec. Depuis plus de 10 ans, le nombre de dépressions ou de cas de détresse psychologique augmente de façon significative, tandis que les taux de suicide demeurent stables, sinon diminuent (de 18,1 en 2001 à 13,7 pour 2011).

Dans ce cas, effectuer un lien de cause à effet porterait à croire que la dépression contribue non seulement à la stabilisation, mais à la baisse des taux de suicide. La dépression, un solide rempart contre le suicide ?

La cause du suicide relève plutôt d’un défaut dans l’intégration sociale.

La personne dépressive se retrouvera rarement isolée. Au contraire, elle verra son réseau social se resserrer autour d’elle. Les amis appelleront plus souvent, le conjoint offrira plus de support, la famille élargie lancera des invitations nombreuses, etc. Son sentiment d’intégration en sera bonifié, et ce, malgré son inquiétant état.

Un individu qui s’enlève la vie n’est pas exempt de pensées sombres. Mais avoir des idées noires ne conduit pas nécessairement au suicide. En 2002, Statistique Canada nous apprenait que plus de 200 000 Québécois avaient admis avoir eu des pensées suicidaires au cours des 12 derniers mois. Il y a eu 1342 suicides en 2002.

LA FAMILLE COMME REMPART

La famille est encore aujourd’hui l’un des plus solides facteurs de protection. Par exemple, les hommes célibataires sans enfant se suicident davantage que les mariés avec enfant. La sociologie sait également que les taux de suicide, en temps de crise économique, sont beaucoup plus élevés qu’en période de guerre ou lors de catastrophes naturelles. Une crise économique affecte négativement les liens sociaux. Un tremblement de terre majeur, bien que tragique, mobilise et soude les survivants entre eux.

Et le climat ? Dans le sens commun, on dit que le temps morose ou encore le manque d’ensoleillement pourrait mener au suicide. Le climat affecte l’humeur, cela est recensé scientifiquement. Mais conduit-il au suicide ?

Au Québec, les mois de mai et d’août – en pleine période d’ensoleillement ! – sont les plus suicidogènes, selon des données de l’Institut national de santé publique du Québec et du ministère de la Santé et des Services sociaux. On se suicide beaucoup moins l’hiver. Février, ce « maudit mois malfaisant », comme le chante Vincent Vallières, est le mois où l’on enregistre le moins de suicides dans l’année. Entre les années 2000 et 2010, décembre, janvier et février sont les mois où les suicides sont à leur plus bas niveau.

Pourquoi ? Le climat social. En décembre, on prépare le réveillon. La société nous anime, nous mobilise, nous fait recevoir, etc. Cela crée de l’intégration sociale, de la régulation, et protège l’individu du suicide. On pourrait avancer l’hypothèse que ces effets bénéfiques se font sentir pendant plusieurs semaines.

Le suicide est un phénomène aussi délicat qu’inquiétant. Un suicide est toujours un suicide de trop. Camus disait du suicide qu’il est le seul problème philosophique vraiment sérieux. Pour Durkheim, le père de la sociologie, le suicide était un fait social inévitable, peu importe la société, son lieu ou son temps. Le prendre au sérieux signifie y inclure cette part de réalisme et, à la fois, de fatalisme.

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