Opinion Jocelyn Coulon

RETRAIT DES ÉTATS-UNIS DE L’ACCORD SUR LE NUCLÉAIRE IRANIEN
La destruction de l’ordre libéral international

Donald Trump a mis sa menace à exécution. Il a annoncé hier le retrait des États-Unis de l’accord sur le programme nucléaire iranien. C’est un coup de plus dans l’entreprise de destruction de l’ordre libéral international.

L’accord a été conclu en juillet 2015 entre l’Iran et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité – États-Unis, Russie, Chine, France et Royaume-Uni – ainsi que l’Allemagne après des années de laborieuses négociations. Des centaines d’experts, de techniciens, d’agents de renseignement et de diplomates y ont travaillé sans relâche pendant une dizaine d’années.

L’accord limite considérablement le programme nucléaire iranien et impose l’un des régimes de vérification les plus stricts jamais conçus par la communauté internationale afin d’empêcher la fabrication d’armes nucléaires et, ainsi, de préserver le Traité de non-prolifération nucléaire. L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) conduit les inspections. En échange, l’Iran a obtenu une levée partielle des sanctions économiques.

Depuis la conclusion de l’accord, tant l’AIEA que les puissances signataires ont confirmé le bon comportement de l’Iran dans le respect de ses obligations.

C’est donc un accord qui « menotte l’Iran » pour reprendre la formule de plusieurs spécialistes. C’est là essentiellement le message qu’Emmanuel Macron et Angela Merkel ont envoyé au président américain la semaine dernière lors de leur passage à Washington.

C’est aussi ce qu’était venu plaider le ministre britannique des Affaires étrangères, Boris Johnson, lundi. Dans une tribune publiée par le New York Times quelques heures avant la décision du président, Johnson a rappelé que « la solution la plus sage serait de resserrer les menottes plutôt que de les détacher ».

Le président Trump n’a rien voulu entendre. Il estime que l’accord est fondamentalement mauvais et qu’il devrait être renégocié afin de rendre encore plus dures les mesures visant à neutraliser le programme nucléaire à long terme, c’est-à-dire au-delà de la portée initiale de l’accord en 2025. Il veut aussi élargir un nouvel accord afin de couvrir l’élimination complète des capacités iraniennes en matière de missiles balistiques et de brider les ambitions géopolitiques de l’Iran au Proche-Orient.

Renégocier immédiatement l’accord ne semble pas possible pour l’instant. L’Iran, la Russie et la Chine s’y refusent. La France, le Royaume-Uni et l’Allemagne réclament son respect jusqu’en 2025.

Pour ces pays, la position de repli face à Trump est de respecter l’accord tout en dialoguant avec l’Iran afin de sonder la possibilité de le modifier au cours des prochaines années. La question des missiles est déjà couverte par des résolutions du Conseil de sécurité.

Pour ce qui est de limiter l’influence de l’Iran dans la région, autant vouloir arrêter la marée. Sur cette question, les États-Unis, mais aussi les Européens, se font des illusions. L’Iran se considère depuis toujours comme une puissance régionale dont les intérêts sont à respecter.

Les Iraniens ne sont pas des enfants de chœur. Ils défendent violemment leurs intérêts, pour le meilleur et pour le pire. L’Iran a stabilisé l’Irak livré au chaos par les Américains lors de la guerre de 2003. Il lutte contre le groupe État islamique. Son emprise s’étend brutalement en Syrie et au Liban où le Hezbollah vient de connaître un grand succès électoral. Il est en conflit avec une autre puissance malfaisante dans cette région, l’Arabie saoudite, généreux soutien de mouvements terroristes et dont la politique étrangère est responsable de nombreux crimes au Yémen et ailleurs.

Les Occidentaux, du moins certains d’entre eux, pensent encore qu’ils peuvent tout dicter au reste du monde. 

Barack Obama avait intelligemment compris que cette époque est révolue et qu’il appartient désormais aux États de la région de prendre en main leur destinée ainsi que la résolution des conflits. Il serait temps pour les États-Unis de sortir d’une logique de force où, comme le rappelait récemment un spécialiste américain dans la revue Foreign Affairs, ils « larguent de trop nombreuses bombes, dans de trop nombreux endroits, sur de trop nombreuses personnes ».

L’ordre libéral international imposé au reste du monde par l’Occident depuis 1945 est le fruit de la mise en œuvre et du respect de normes et de principes contenus dans les traités et les accords, et dans les résolutions du Conseil de sécurité. L’accord sur le nucléaire iranien est une pierre à cet édifice. En se retirant, les États-Unis, a dit Emmanuel Macron immédiatement après l’annonce, mettent « en jeu le régime international de lutte contre la prolifération nucléaire ».

Cela ne sera pas la première fois. L’ordre libéral international ne plaît plus aux Américains et à certains de leurs alliés depuis quelques années déjà, d’où les multiples violations auxquelles ils se livrent en toute impunité : guerre illégale en Irak, en Libye et au Yémen, rétablissement de la torture, bombardements aveugles, rejet des traités.

Comment, dès lors, faire la leçon à la Russie, à la Chine et à l’Iran lorsque ceux-là mêmes qui rédigent, dictent et imposent cet ordre s’estiment en droit d’en faire fi comme bon leur semble ?

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