Chronique

Conte de fées en Suisse !

Justin Viard, consul général d’Haïti à Montréal, le reconnaît : il n’était pas familiarisé avec les secrets du hockey-balle international lorsque quatre audacieux Québécois d’origine haïtienne, porteurs d’un projet fou, se sont arrêtés à son bureau, l’hiver dernier.

— Nous voudrions représenter Haïti au Championnat du monde, en juin prochain. Pour cela, il nous faut l’autorisation du gouvernement. Vous savez, si ça fonctionne, on vous rapportera la Coupe !

Quatre mois plus tard, M. Viord raconte l’anecdote en riant : « Promesse tenue, lance-t-il. Et aujourd’hui, c’est l’euphorie. Notre défi est de vendre une autre image d’Haïti à l’étranger. Souvent, les gens regardent ce qui ne va pas avec notre pays. Mais nous avons tant à offrir ! Cette équipe était en mission en Suisse, elle nous représentait. J’avais foi en elle. »

Voir Haïti au sommet du podium est inattendu en sport mondial. Voilà pourquoi le résultat d’hier, à Zoug, en Suisse, est si exceptionnel. L’équipe nationale a gagné la médaille d’or du Groupe B dans ce tournoi présenté tous les deux ans. En finale, elle a battu ses rivaux des îles Cayman 4-2.

Les membres du club sont Québécois et vivent dans le grand Montréal. Cinq d’entre eux ont vu le jour en Haïti, les autres au Canada. Pour avoir le droit de défendre les couleurs haïtiennes, un de leurs parents devait être né dans ce pays.

Le match ultime a été serré jusqu’au bout. Les vainqueurs ont brisé l’égalité de 2-2 cinq minutes avant la fin de la troisième période, avant d’ajouter un but d’assurance dans un filet désert.

« C’était fou ! lance Georges Laraque. J’ai failli faire une crise du cœur. Toute cette histoire est comme un scénario de film. Je pourrais écrire un livre là-dessus… »

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Laraque, un ancien homme fort de la LNH, devait être joueur-entraîneur de l’équipe haïtienne à Zoug. Mais compte tenu des immenses défis organisationnels que posait l’aventure, accomplir cette double tâche était excessif. Il a plutôt dirigé le club en compagnie de Robert Haddock, en plus de contribuer à la préparation du voyage, notamment la recherche de financement.

« On voulait bien représenter notre pays d’origine, montrer qu’on était fiers, dit-il. Plus de 70 joueurs ont participé au camp d’entraînement. Il a fallu retrancher des gars et gérer des crises. Au niveau tactique, nous ne sommes peut-être pas les meilleurs. Mais au plan physique, on est des machines ! On court tellement, on est très athlétiques, ça fatigue nos adversaires… »

Le hockey-balle est une copie conforme du hockey sur glace, les patins en moins. Le plancher ayant la même dimension qu’une patinoire, il faut courir beaucoup durant les trois périodes de 15 minutes chronométrées.

« On représente à la fois Haïti, le Québec et Montréal, dit Laraque. C’est vraiment hot. Il y a des jeunes de Montréal-Nord qui flânent dans les rues. Ils joueront peut-être maintenant au hockey-balle dans l’espoir de faire partie de l’équipe nationale. Ce tournoi fera une publicité extraordinaire à ce sport.

« Plein de monde, dont moi, ignorait qu’il y avait un Championnat du monde, poursuit-il. On sait maintenant qu’il y a des équipes canadiennes chez les gars et les filles, et l’équipe haïtienne. Je suis sûr qu’il y aura encore plus de candidats à notre prochain camp d’entraînement. »

Laraque et les 34 autres membres de la délégation, dont 25 joueurs, ont vécu une expérience unique en Suisse, fiers de porter le beau chandail de l’équipe. « Penser qu’on gagne en représentant Haïti, entendre l’hymne national après nos victoires, voir le drapeau du pays dans les airs, c’était incroyable ! J’avais des frissons, je capotais bien raide. »

Un voyage de cette ampleur coûte très cher. Laraque évalue les coûts à 110 000 $. Commandites et collectes de fonds n’ont comblé qu’une petite partie de cette somme. Les joueurs ont dû mettre la main dans leur poche pour financer leur participation.

« Les gars ont fait beaucoup de sacrifices. Ils travaillent le jour, alors on s’est entraînés le soir pendant des mois. Certains ont pris leurs seules vacances de l’année pour venir ici. »

— Georges Laraque

« Et comme la bouffe coûte super cher en Suisse, on a fait l’épicerie tous les jours. Nous n’avons pas mangé au restaurant une seule fois. Des gars ont apporté des réchauds, c’était très sympathique. À l’hôtel, le petit déjeuner continental était compris. Il n’y avait pas grand-chose, mais ça fait partie de l’expérience. Tout ça a rendu notre séjour magique. »

Le gardien Samuel Rivest a été choisi au sein de l’équipe d’étoiles du tournoi. Le jeune homme est soudeur de métier. Il a joué un bon niveau de hockey dans sa jeunesse, mais n’est devenu gardien qu’en octobre dernier. « Je suis super heureux », lance-t-il, pendant que Laraque, blagueur, lance : « Si le Canadien a besoin d’un réserviste… »

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Les champions du monde Groupe B de hockey-balle, un beau trophée entre les mains, seront de retour à Montréal demain après-midi. Le consul général d’Haïti les recevra à l’aéroport et l’ambiance s’annonce festive. On évoque même une visite à Port-au-Prince.

À Zoug hier, Haïti a marqué un gros but. Le Québec, et Montréal en particulier, ont mérité les aides. Une victoire aux allures de conte de fées qui, avec un peu de chance, donnera peut-être une impulsion au hockey-balle en Haïti. Ce serait sa plus belle retombée.

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