Mon clin d'œil

Le jour où un parti au pouvoir va changer le mode de scrutin, c’est que l’apocalypse n’est pas loin.

Chronique : Frais accessoires

Un bon père de famille ?

Il y a, dans notre vocabulaire politique et juridique, une expression maintenant tombée en désuétude, celle de bon père de famille. Même si on ne devrait plus l’employer, en raison de ses connotations paternalistes et sexistes, elle décrit des valeurs qui, elles, ne devraient pas être oubliées, comme la prudence, la responsabilité, le souci des autres.

Il y a bientôt un mois, j’ai écrit une chronique intitulée « Dr Chaos », où je prédisais que le processus d’élimination des frais accessoires serait bordélique parce qu’il n’y avait eu ni préparation ni négociation avec les principaux acteurs impliqués. C’est ce qui est arrivé – réactions épidermiques des médecins, multiplication des cas problèmes auxquels on n’avait pas pensé, confusion pour les patients qui ne savaient pas quoi faire ni où aller.

Dans cette saga, le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, ne s’est certainement pas comporté en bon père de famille. Les patients en ont payé le prix, victimes d’un climat de tension, de confusion et d’incertitude, tout le contraire de ce qu’on demande du système de santé.

Il aurait été possible de faire les choses autrement. Voici ce que ça aurait pu donner, si notre système de santé était géré de façon normale.

Premièrement, dans un cadre démocratique, il faut expliquer le sens et la portée d’une réforme. L’abolition des frais accessoires n’était pas qu’une simple opération comptable pour mettre fin à des abus. Ces pratiques se sont développées pour compenser les carences de notre système public, souvent incapable de répondre à des besoins dans des délais raisonnables. Les cliniques ont pris le relais pour offrir ce qui ne se faisait pas à l’hôpital. Parce que ces actes n’étaient pas complètement rémunérés par l’État, les cliniques ont mis en place des modes de facturation pour combler l’écart. Les gouvernements successifs ont tous fermé les yeux, parce que ces pratiques les arrangeaient : elles désengorgeaient le système public et permettaient d’économiser en refilant la facture aux patients. C’est ce silence complice qui a permis les abus, la facturation excessive, l’anarchie. Mais un tel système ne se détricote pas en un mois.

Cette transition complexe aurait exigé du temps et de la préparation. Le plan de match du ministre ne prévoyait ni l’un ni l’autre.

Deuxièmement, avant de s’attaquer aux frais accessoires, il aurait fallu connaître avec précision leur ampleur et leur nature, pour connaître le coût de la réforme, pour déterminer les problèmes qu’elle pourrait engendrer, pour départager clairement les abus condamnables et les mécanismes légitimes de rémunération. Cela n’a pas été fait.

Troisièmement, le fait de rendre gratuits des actes payants impliquait des coûts additionnels pour le gouvernement. Le ministre a choisi de les refiler aux médecins en disant qu’ils sont assez payés pour les absorber. Le même ministre qui affirme que le rattrapage de la rémunération n’a pas été excessif. La chose à faire, c’est d’évaluer de façon rigoureuse cette rémunération. Et si elle est trop élevée, la corriger à la baisse de façon formelle, pas de s’y attaquer à la pièce, dans le désordre.

Quatrièmement, quand on se lance dans une réforme, ça prend un objectif clair. Dans un premier temps, le ministre Barrette voulait baliser ces frais accessoires. Ensuite, il a promis en grande pompe de les abolir. Ce qu’on a pu découvrir la semaine dernière, grâce à une de ses déclarations stupéfiantes, c’est qu’il ne croyait pas à sa propre réforme : « J’avise la population que quand on fait des lois qui sont le résultat de pressions populaires, qui elles-mêmes ne sont pas réfléchies, bien ça peut donner ça. »

Il a donc agi à reculons, sous la pression, ce qui explique sans doute certains éléments irréfléchis de son projet.

Il a ainsi choisi d’éliminer tous les paiements aux médecins, y compris ceux qui n’étaient pas des frais accessoires, comme le coût des vaccins, des stérilets, des frais pour prises de sang.

Cinquièmement, même si on veut faire absorber ces frais par les médecins, cela exige un réaménagement des enveloppes, une modification des codes de rémunération, un exercice complexe qui aurait été beaucoup plus fructueux si le ministre n’avait pas attendu à la dernière minute. Par ailleurs, dans le cas des procédures qui justifiaient une compensation après l’abolition des frais accessoires, en raison des équipements ou du personnel qu’elles nécessitent, la logique aurait voulu qu’on confie rapidement l’évaluation de leurs coûts réels à une instance indépendante, pour sortir de la mécanique empoisonnée des négociations.

Sixièmement, il y a une conséquence à rendre gratuits des actes qui étaient payants, ou difficiles d’accès, et c’est l’augmentation de la demande, ce qui peut créer des goulots d’étranglement, des attentes. C’est quelque chose qui aurait dû faire l’objet d’une planification.

Cet épisode n’améliora certainement pas l’image de M. Barrette, qui a révélé, dans le dossier des frais accessoires, qu’il pouvait être un politicien insensible et un gestionnaire brouillon.

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