Saison des ouragans

Mon « ami » le ministre

Antigua-et-Barbuda n’attire guère l’attention des médias internationaux, sauf dans les moments où il est question de paradis fiscaux. L’ouragan Irma a cependant placé le petit archipel caribéen sous les projecteurs en septembre dernier.

Quelques heures après son passage, des informations parcellaires suggèrent que Barbuda, située à une quarantaine de kilomètres au nord de l’île principale, a été dévastée.

À la demande de la chef de division de la section internationale, je tente de recueillir quelques témoignages de ressortissants du pays, dont je ne connais pratiquement rien.

Vu la petite taille de l’endroit, je me dis qu’il est peut-être possible de parler avec un membre du gouvernement. J’appelle au bureau du premier ministre et on me donne, sans autre démarche, un numéro pour organiser une entrevue.

Le numéro en question, me dit-on, est celui du ministre des Affaires étrangères, Charles Fernandez, qui est également, ça tombe bien, responsable de la coordination des mesures d’urgence.

L’élu répond du premier coup et prend le temps de répondre avec un calme surprenant à mes questions. Il met même au bout du fil un pilote d’hélicoptère revenant de Barbuda qui peut témoigner de visu de la situation catastrophique de la petite île.

En moins d’une heure, j’ai une entrevue avec un haut responsable du gouvernement et un témoin direct. La collecte de témoignages dans ce type de situation est habituellement plus difficile.

Une semaine plus tard, alors que je planche sur la possibilité de me rendre dans la région pour suivre l’évolution de la situation, j’apprends qu’un vol humanitaire organisé au profit d’une ONG ontarienne peut me permettre de me rendre à Antigua.

Ne faisant ni une ni deux, je contacte mon « ami » le ministre, comme on le surnomme depuis mon improbable entrevue, pour voir s’il est possible de m’aider à me rendre à Barbuda.

Parvenir à Antigua est facile, mais se rendre ensuite dans la petite île est une tout autre paire de manches, puisque les infrastructures de transport habituelles ne fonctionnent pas.

Toujours aussi affable, il me dit qu’il va faire quelques vérifications. Le lendemain matin, il m’assure que je pourrai prendre place dans un hélicoptère prêté au pays par Trinité-et-Tobago pour transporter élus, officiels et dignitaires à Barbuda. L’offre ne se refuse pas.

Je n’ai évidemment que sa parole comme garantie. La réalisation de mon reportage en dépend, mais l’homme m’inspire confiance. Les patrons sont d’accord, ça vaut le risque.

Des collègues d’autres médias à bord de l’avion qui me mène à Antigua me confient qu’ils auraient bien aimé aller à Barbuda, mais que c’est impossible. Je n’eN suis pas si sûr, mais je me garde de donner plus de détails sur le sujet. J’ai, disons, un bon contact.

J’arrive à l’hôtel dans le milieu de la nuit avec le stress au ventre. Un palmier et une cabine téléphonique londonienne posée en bord de mer tiennent lieu de décor. Dans quelques heures, je dois appeler le ministre et partir dans la foulée pour Barbuda. Si tout va bien.

Je l’appelle. Pas de réponse. Pendant quelques minutes, ma tension artérielle fait de la voltige, puisque tout dépend de ce foutu hélicoptère. Antigua n’a pratiquement pas été touché par Irma, l’histoire est ailleurs. Je ne veux pas rentrer bredouille.

Le ministre me rappelle. Son chauffeur personnel, dit-il, viendra nous prendre dans une heure. Je n’en demandais pas tant. Deux heures plus tard, je suis dans l’hélicoptère qui se lance au-dessus des flots azur. Je respire enfin.

À Barbuda, qui a été vidé de sa population, je découvre un paysage apocalyptique. J’erre avec le photographe qui m’accompagne entre les carcasses d’animaux et les maisons pulvérisées alors que résonne le bruit grinçant de tôles métalliques basculant dans les arbres.

L’hélicoptère, de retour quelques heures plus tard, me ramène à bon port. J’ai tout en main pour rendre compte de la situation de l’île. Ne reste plus qu’à mettre tout ça en forme.

Le pari journalistique est gagné, gracieuseté de mon improbable organisateur.

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