Aventure

La longue randonnée de Clara Hughes

Plusieurs athlètes vivent mal leur retraite. Le passage loin des projecteurs et du gymnase laisse un vide difficile à combler. Ce n’est pas le cas de Clara Hughes. À 42 ans, l’ancienne athlète olympique a décidé de vivre d’aventures. Et de passer le plus de temps possible dans la nature.

Le 13 juillet dernier, Clara Hughes s’est levée à 4 h 30. Elle est sortie de sa tente, a fait bouillir de l’eau. Dans son café, elle a mis du beurre. « Pour les protéines ! », dit-elle.

Elle était seule dans le petit terrain de camping du parc Baxter, dans le Maine. « C’était vraiment magnifique ! » À 5 h 30, avec l’aube, elle est partie. Trois heures plus tard, elle était au sommet du mont Katahdin. Elle venait de terminer le Sentier des Appalaches, une longue randonnée de 3500 kilomètres, de la Géorgie au Maine. L’aventure lui a pris 136 jours.

« Cette marche, ç’a été fantastique, lance l’ancienne athlète olympique au bout du fil. Ça m’a permis, pour la première fois de ma vie, de vraiment découvrir qui j’étais. Ce n’est pas rien. »

Six fois médaillée olympique, unique Canadienne à être montée sur le podium à des Jeux d’été et d’hiver, l’ancienne cycliste et patineuse de vitesse vit une « retraite » pleine d’aventures. Passer ses journées dans un bureau ? Vivre écrasée par la nostalgie des exploits passés ? Très peu pour elle.

« Je me suis vraiment réalisée dans ma carrière. Mais dans le sport d’élite, on vit tout le temps sur l’horaire de quelqu’un d’autre : l’horaire de l’entraîneur, l’horaire de l’équipe, explique-t-elle. Durant cette randonnée, j’ai vécu selon mon horaire. Ç’a été ma randonnée du début à la fin. »

Hughes, 42 ans, a cessé la compétition après les Jeux de Londres, en 2012. Pendant 12 ans, la native de Winnipeg a vécu au Québec. Mais il y a deux ans, elle a quitté sa maison de Glen Sutton, dans les Cantons-de-l’Est, pour aller vivre à Canmore, en Alberta.

« Je pense qu’on va être ici un bon moment. Mon mari et moi, nous sommes des nomades, alors je ne sais pas ce qui nous attend, dit-elle. Ce qui est certain, c’est que parfois je m’ennuie de la nature et de la beauté que je côtoyais à Glen Sutton. »

Sa nouvelle vie « de grande athlète retraitée » est émaillée de responsabilités et d’engagements. Clara Hughes a un nom. Elle est décorée de l’Ordre du Canada. Elle est une personne reconnue. Mais elle n’arrivait pas à concevoir la vie après le sport sans aventure. 

« Vivre des aventures, pour moi, c’est essentiel. Ça peut être une journée dans la nature. Mais l’idée, c’est de sortir et de vivre quelque chose de différent. »

— Clara Hughes

En novembre, elle s’est assise avec son mari, Peter Guzman. Les deux avaient six semaines sans engagement à leur agenda. Ils ont décidé d’aller randonner, en plein hiver, sur le Sentier des Appalaches, un parcours mythique mis en place il y a environ 80 ans. Chaque année, plus de 2000 marcheurs tentent de parcourir les quelque 3500 kilomètres du sentier.

« Le but, au départ, était de partir six semaines sur le sentier en vue de me préparer pour une autre grande randonnée, le Pacific Crest Trail », raconte Hughes, au sujet de cet autre sentier de longue randonnée, situé sur la côte Ouest, rendu populaire par le livre et le film Wild. « Mais après ces six semaines, j’ai décidé que j’allais finir le Sentier des Appalaches. Je ne pouvais pas faire autrement. »

ANONYME

Clara Hughes est retournée sur le sentier, seule cette fois. Elle a mis 136 jours pour parcourir les 3510 kilomètres. Elle aurait pu le faire plus rapidement. D’ailleurs, durant son passage sur le sentier, le record de vitesse a été battu. Scott Jurek, une légende de l’ultramarathon, a mis 46 jours, 8 heures et 7 minutes pour se rendre de la Géorgie au Maine.

« J’aurais pu me pousser davantage, aller plus vite, mais ce n’était pas le but. Je voulais m’arrêter pour profiter de tout, des animaux que je croisais, des paysages et même des sources d’eau, explique Hughes. Ces sources d’eau dans les montagnes des Appalaches sont vraiment une beauté de la nature. »

« J’ai croisé Scott Jurek durant ma randonnée. Et honnêtement, il avait l’air misérable, il avait l’air de souffrir. Je comprends tout à fait pourquoi il a fait ça, mais ce n’est pas ce que je cherchais. »

Durant sa randonnée, Clara Hughes se sentait si loin de la compétition qu’elle n’a même pas révélé qui elle était aux nombreux autres randonneurs qu’elle a croisés. Ce sont surtout des Québécois qui l’ont reconnue.

« Dans les montagnes Blanches, au New Hampshire, il y avait vraiment beaucoup de Québécois. C’était dans le temps de la Saint-Jean-Baptiste. Ils me disaient : “Mais tu ressembles vraiment à Clara Hughes.” J’étais cuite ! Je devais avouer que c’était moi. »

— Clara Hughes

Cette aventure lui a permis de se retrouver seule dans la nature. C’était quelque chose qui lui avait manqué durant sa carrière d’athlète. « C’est difficile de se sentir proche de la nature quand on fait des tours sur un anneau à l’intérieur, dit-elle. Le vélo me permettait d’être à l’extérieur. Mais il y avait toujours des voitures. Là, j’étais seule dans le bois. Ça m’a permis de me retrouver face à moi-même. De vraiment voir qui j’étais. »

Elle rêve maintenant de parcourir un autre sentier de longue randonnée, le Continental Divide Trail. Avec l’Appalachian Trail et le Pacific Crest Trail, ce sentier forme la « triple couronne » des longues randonnées américaines. Il longe les Rocheuses à l’est, sur la ligne de partage des eaux entre le Pacifique et l’Atlantique. Il fait 5000 kilomètres.

« Je ne sais pas ce que l’avenir me réserve, explique Clara Hughes. Mais je veux que cette magie de l’aventure reste dans ma vie. Sortir et aller connecter avec la nature, même si ce n’est que pour une petite journée, pour moi, ça n’a pas de prix. »

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