OPINION SURVEILLANCE

Le 11-Septembre n’aurait servi à rien !

L’après-midi du 11 septembre 2001, je savourais un espresso sur la corniche casablancaise, de l’autre côté de l’Atlantique, quand j’ai reçu un appel d’une proche affolée m’annonçant la tragédie qui s’est abattue sur l’Amérique. L’horizon s’assombrit.

Secoué, j’ai consacré le restant de mon mois de vacances rivé à mon téléviseur. Notre monde vacillait. « Était-ce la bougie d’allumage du choc des civilisations prophétisé par Samuel Huntington, quelques années auparavant ? », me suis-je longtemps demandé. En tout cas, depuis lors, la peur dicte aux gouvernements une course frénétique à la surveillance massive des populations et au durcissement des lois antiterroristes, partout, même en Occident, le chantre des droits et libertés.

Pourtant, la surveillance ciblée et respectueuse de l’État de droit aurait pu éviter le 11-Septembre. Cette vérité n’est pas une élucubration d’adeptes des théories du complot, mais une révélation d’anciens hauts cadres du renseignement américain.

Deux récents documentaires de l’Autrichien Friedrich Moser vérifient cette thèse : A Good American, offert sur Neflix, et La guerre du renseignement, diffusé par la chaîne franco-allemande Arte.

C’est l’invraisemblable histoire d’un groupe d’experts du cryptage et du renseignement américain qui a imaginé ce moyen efficace pour traquer les terroristes sur l’internet, dès 1997. À la tête de cette équipe, Bill Binney. Ce maître de l’algorithme s’est rapidement rendu compte que le traitement d’un flot constant d’informations issu de la collecte massive est une mission impossible pour ses analystes. D’autant plus, les données, le contenu des échanges téléphoniques ou électroniques importaient peu. À ses yeux, il était plus judicieux de savoir qui communique avec qui, quand, comment, où et à quelle fréquence. Les métadonnées étaient au cœur de ce système.

L’équipe de Bill Binney a ainsi conçu ThinThread, un programme qui analyse le monde comme un maillage de relations entre des milliards d’êtres humains. Ses algorithmes isolent les terroristes et leurs réseaux, presque en temps réel. Seules les données pertinentes sont transmises aux analystes qui se concentrent sur l’essentiel, sous l’égide de la justice.

En 2000, avec un budget raisonnable, ThinThread était au point, mais la collusion et l’appât du gain auraient poussé des bonzes du renseignement américain à le placarder au profit d’un autre programme exorbitant sous-traité au privé, avec des résultats modestes. Pire, après le 11-Septembre, un test a démontré que le programme de Bill Binney aurait pu prévenir cette tragédie.

L’équipe de Vienne

Quatorze ans plus tard, l’horreur des attaques terroristes qui ont meurtri la France a réuni un autre groupe de génies de l’intelligence artificielle, à Vienne, en Autriche, sous la direction de Robert Wesley, un expert de la lutte antiterroriste.

L’évidence sautait aux yeux du groupe de Vienne : dans chaque attentat qui frappe l’Occident, au moins l’un des auteurs est connu de la police ; les attaques s’appuient systématiquement sur un réseau ; les terroristes communiquent avec des moyens électroniques et leurs empreintes numériques révèlent toujours un processus de radicalisation. Avec tous ces indices, la surveillance massive des services de renseignement occidentaux n’a pu prévenir 14 horribles attentats entre 2005 et 2017 !

Sans savoir qu’une solution similaire avait été mise au point par le passé aux États-Unis, l’équipe de Vienne a exploité uniquement le renseignement d’origine source ouverte, notamment les médias sociaux prisés par les groupes terroristes et leurs adeptes, pour créer l’équivalent de ThinThread 2.0. Logiquement, en janvier 2017, la start-up de Robert Wesley a recruté Bill Binney et un de ses anciens collègues comme conseillers. Et cette mise à jour marche.

Or, les gouvernements occidentaux boudent cette percée du renseignement compatible avec l’État de droit.

Les documentaires de Friedrich Moser démontrent, au contraire, un renforcement de la surveillance de masse dans le monde entier, un marché lucratif qui se facture en milliards de dollars. Pire, ces films décrivent ce marché comme un bazar financé par des fonds secrets alloués à des acteurs secrets pour des opérations secrètes qui échappent au contrôle public. Cette porte ouverte à toutes les dérives au détriment de la sécurité du monde semble perpétuer le même gâchis du renseignement américain, la veille du 11-Septembre !

Depuis lors, la peur nourrit sans cesse la montée constante du populisme sur notre planète. Avec l’avènement du « trumpisme », le choc des civilisations semble se préciser. Hélas !

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