Santé

« Au Québec, on a un gros problème d’attractivité de la médecine familiale »

Pas moins de 65 postes de résidents – un record – sont restés vacants cette année dans la province.

Les jeunes médecins québécois boudent la médecine de famille.

Un nombre record de postes de résidents en médecine de famille sont restés vacants cette année au terme du jumelage annuel dans la province.

« C’est un enjeu majeur, souligne le président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), le Dr Louis Godin. Au Québec, on a un gros problème d’attractivité de la médecine familiale. »

Au total, dans tout le Canada, 78 postes de résidents (médecine de famille et autres spécialités confondues) n’ont pas trouvé preneur cette année. Or, la grande majorité de ces postes restés vacants – 65 – sont en médecine de famille au Québec, selon des statistiques publiées hier par le Service canadien de jumelage des résidents.

Aucun poste en médecine familiale n’est resté vacant ailleurs au Canada, ce qui fait dire à la FMOQ qu’« on parle incontestablement d’un problème typiquement québécois ».

Et cette désaffection s’accentue au fil des ans, déplore le président de la FMOQ.

« C’est vraiment malheureux et très préoccupant. On parle d’un déficit de 120 médecins de famille en deux ans pour le Québec, et 2018 est encore pire que l’an dernier. »

— Le Dr Louis Godin, président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ)

Le jumelage s’effectue en deux tours. Certains postes peuvent être pourvus au deuxième tour – qui s’est conclu hier – par des étudiants en médecine refusés dans leur premier choix de spécialité.

Ainsi, au terme du second tour, 25 postes en médecine familiale n’avaient pas été pourvus en 2012 au Québec, en comparaison de 43 en 2015 et de 56 l’an dernier. Cette année, la situation continue de s’aggraver, avec 65 postes vacants.

À titre de comparaison, seuls quatre postes dans les spécialités n’ont pas été pourvus au Québec cette année.

Répercussions négatives sur les patients

La cible de 85 % de Québécois suivis par un médecin de famille n’est toujours pas atteinte – nous étions à 79 % au 31 janvier, rappelle le Dr Godin.

D’après les dernières données disponibles, un peu plus de 349 400 Québécois attendent toujours d’avoir accès à un médecin de famille. « Ces postes non comblés nous enlèvent des moyens pour corriger l’accès à un médecin de famille », prévient le Dr Godin.

Depuis 10 ans, beaucoup de travail a été fait pour revaloriser la médecine familiale, soutient le Dr Godin.

Toutefois, les mesures « coercitives » du ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette (projet de loi 20, notamment), les « menaces de pénalités » et les problèmes d’organisation du travail en CHSLD et en première ligne ont ruiné ces efforts, croit le président de la FMOQ.

Les résidents en médecine optent donc davantage pour des spécialités où ils croient qu’ils seront en mesure de pratiquer « plus librement, plus facilement » leur profession, explique le Dr Godin. Quand ils ne prennent pas carrément la décision de faire leur résidence ailleurs au Canada ou de prendre une année sabbatique pour poser à nouveau leur candidature à leur premier choix l’année suivante, poursuit-il.

Certaines universités ont davantage de mal à pourvoir leurs postes en médecine familiale. L’Université Laval compte 31 postes libres, contre 16 à l’Université de Sherbrooke, 15 à l’Université de Montréal et 3 à McGill.

Écart de rémunération avec les spécialistes

Autre facteur qui peut avoir joué dans la décision des résidents en médecine : l’écart de rémunération entre les omnipraticiens et les spécialistes, croit le Dr Godin.

Ce fossé s’est creusé ces dernières années. En 2015, les omnipraticiens gagnaient en moyenne 244 674 $, tandis que leurs confrères spécialistes gagnaient en moyenne 409 096 $ – soit un écart de 67 %. En 2012, l’écart était de 44 %, selon des données de la Régie de l’assurance maladie du Québec.

Cela dit, l’entente conclue entre les omnipraticiens et le gouvernement l’automne dernier, qui s’échelonne de 2015 à 2023, prévoit une augmentation de leur rémunération de 10 % sur trois ans, en plus de montants forfaitaires totalisant 40 000 $ à chacun d’eux.

Au Canada, en 2018, 3308 postes étaient à pourvoir dans le jumelage principal, dont 1528 en médecine familiale (près d’un tiers de ces postes sont au Québec, soit 498).

Le cabinet du ministre se fait rassurant

Au cabinet du ministre de la Santé, on ne s’inquiète pas de la situation. « Mentionnons que les postes non comblés finissent plus souvent qu’autrement par être comblés, notamment par des médecins de l’extérieur », nous a répondu par courriel l’attachée de presse du ministre Barrette, Catherine W. Audet.

Le ministre de la Santé, par la voix de son attachée de presse, insiste sur le fait que son gouvernement a augmenté de « manière importante » le nombre de postes admissibles à la médecine de famille. C’est un ratio de 54,4 % (54,6 % en 2017-2018) de postes d’entrée qui sont autorisés en médecine de famille. En 2013-2014, ce ratio était de 47 %, fait valoir son cabinet.

« Les médecins de famille ont un rôle majeur à jouer dans notre système de santé et nous le reconnaissons, fait valoir l’attachée de presse du ministre de la Santé. Rappelons que les objectifs pour les ratios d’admission en médecine sont d’atteindre un ratio de 55 % de médecins de famille/45 % de médecins spécialistes. Cela démontre notre volonté de déployer sur le terrain plus de médecins de famille pour prendre en charge des patients et ainsi améliorer l’accès à la première ligne. »

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