Le jour de Rabii

L’irrespect de la profession

Tout le monde veut tout faire. C’est correct : les gens sont curieux et c’est beau à voir.

Je trouve ça correct qu’une courtière en hypothèque veuille aussi être mannequin Instagram. Et qu’un propriétaire d’entreprise de lavage de vitres veuille aussi être photographe érotique.

Un travestissement de la profession qui relève davantage du hobby que de la vocation. C’est parfait.

Les irrespectueux de la spécialité font souvent peu de dommages. Par exemple, ça fait en sorte que McDo veut faire le meilleur café et que Tim Hortons veut faire le meilleur sandwich au poulet.

J’écris « peu de dommages », mais pas « pas de dommages », car cet irrespect de la niche fait en sorte que des fois, t’es au McDo en visite bisannuelle (je mens) et que les deux clients devant toi sont là pour un smoothie à la mangue.

T’es là derrière eux, t’attends de pouvoir commander ton vrai manger de McDo, pis eux sont là en train d’accaparer le temps d’un employé de fastfood bousculé pour un smoothie.

Tu vois au loin dans la cuisine les quatre employés debout, un peu confus qu’une commande soit placée sans que leurs services soient requis. Leur face qui semble dire : « Un smoothie et rien d’autre ? »

Ta face est d’accord avec leur face. Tu affiches un air de : « Y est-tu sérieux, lui, avec son smoothie du McDo ? Y’a un Second Cup juste l’autre bord de la rue. »

Je trouve toujours déroutant-bizarre-bouleversant-je-ne-trouve-pas-le-mot-exact de voir quelqu’un quitter un McDo avec rien d’autre que deux gros jus mous jaunes dans un cabaret. Tu y porteras attention.

Tout le monde veut tout faire. Je veux être astronaute et océanographe. Je veux aussi un bac en mathématiques.

Le client chaud au bar qui devient mixologue à minuit. Qui dit à la barmaid désintéressée qu’elle devrait faire tel cocktail comme ci plutôt que comme ça.

Pas tant grave.

Y’a aussi des fois où le travestissement de la profession résulte en de remarquables choses. C’est le cas de Herbert Simon, gagnant du prix Nobel d’économie de 1978 sans vraiment être économiste à la base.

C’était un gars de socio et de sciences politiques. Faut dire que son mentor était Henry Schultz, un économiste fou dans’ tête, pardonne mon français.

Bref, un irrespectueux de la profession qui a contribué à notre société sur un moyen temps. Rapidement : l’intelligence artificielle, le concept de rationalité limitée. Il était aussi un des architectes du plan Marshall.

Faudrait que j’appelle mon brillant ami Stéphane Éthier pour qu’il m’en parle davantage, mais il est presque minuit et je ne veux pas le déranger.

Je te parle de ça parce que c’est la saison des pires irrespectueux de la profession : les pilotes automobiles amateurs. Que dis-je : les hostie de câlisse de pilotes automobiles amateurs. ’Tis the season.

Faut pas virer fou, je sais : l’hiver est castrant, une fois la chaussée sèche, c’est bien de se sentir un peu vivant.

C’est juste que lundi, un gars et sa blonde ont failli se faire frapper devant moi. Le conducteur devait rouler à 80 dans une zone de 50. Il a été trop kinfiant sur la jaune-pas-mal-rouge (confiant pour les non-initiés), il a freiné sec.

Comme deux chevreuils, ils ont gelé sur place.

Y’a pas eu mort d’homme, mais y’aurait pu. Et pour pas grand-chose. Personne est trop important pour attendre à un feu rouge. Ça dure pas neuf mois, c’est une minute trente, ciboire.

Chaque jour, on est témoin de manœuvres dangereuses ou trop ambitieuses. Vitesse. Dépassement de conducteur rongé par tu sais pas trop quoi.

L’affaire, c’est que la profession de pilote, ça exige une formation, une précision. Un doigté comparable à celui du chirurgien.

Pis je vois personne s’improviser chirurgien un mercredi à la maison. Personne dit à son chum : « Allonge-toi sur le sofa, je vais chercher mon meilleur couteau à steak et je pense que j’ai un linge à vaisselle pas pire propre après la poignée du four. »

Pourtant, dans les deux cas, que ce soit au-dessus d’une table à opérer ou au volant d’une machine de deux tonnes, des vies sont en jeu. Dans les deux cas, une responsabilité nous incombe. Qu’elle soit professionnelle ou civile.

Je sais que la comparaison est un peu exagérée. C’est parce qu’il m’arrive d’exagérer.

Et je sais que ça fait un peu moralisateur. C’est parce qu’il m’arrive d’être un peu moralisateur.

Irrespectueux de la profession de pilote, arrête. Essaie la mixologie ou le scrapbooking.

Ou la photographie érotique. Personne se fait rentrer dedans. Pis même quand ça arrive, souvent, tout le monde est content.

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