Opinion Boucar Diouf

Ce virus qui donne envie d’encenser les enseignantes

L’heure est grave et, comme tous les parents, nous avons écouté les recommandations du formidable trio Arruda-Legault-McCann et nous sommes terrés dans le bungalow avec les enfants. Pour les tartelettes portugaises, nous attendons la recette de M. Arruda pour en découvrir les pouvoirs anxiolytiques. 

Cette sédentarisation forcée m’a donné le goût de vous entretenir sur d’autre chose que de virologie. Je sais que les travailleurs de la santé méritent toute notre reconnaissance en ces temps de crise, mais j’ai envie de vous parler d’autres anges gardiens. Je veux vous parler des enseignants et des enseignantes qui s’occupent de nos enfants dans les écoles. Et pour améliorer la fluidité du texte, permettez-moi de féminiser mon propos en parlant d’enseignantes, car il y a beaucoup plus de femmes que d’hommes qui s’activent dans nos établissements scolaires.

Hier, un ami forcé de s’encabaner avec ses trois enfants m’a appelé pour me dire que malgré toutes les bébelles disponibles dans sa maison pour permettre à sa marmaille de jouer et d’être en contact virtuel avec leurs amis, il était quand même sur le point de péter les plombs. Fatigué et au bord des nerfs, il m’a exprimé ce que ressentent ces derniers jours beaucoup de parents forcés de s’occuper de leurs enfants à la place des enseignantes.

Après l’avoir écouté et avoir partagé ses états d’âme, j’ai raccroché en me disant qu’au-delà de cette anxiété généralisée face au virus, de son impact dramatique sur l’économie mondiale et de son effet réparateur sur la biosphère rapportée par les satellites, en nous clouant dans les bungalows, la COVID-19 avait bien d’autres petites choses à apprendre aux animaux sociaux que nous sommes.

Le coronavirus nous a forcés à expérimenter une petite partie du quotidien d’une enseignante dans une salle de classe. Je dis bien une petite partie, car je connais le taux de natalité au Québec et je doute fort que plusieurs d’entre vous aient une vingtaine d’enfants à la maison en ce moment. Pour la plupart, c’est à peine un dixième d’une classe régulière qui vous met la langue à terre, et vous n’essayez même pas de leur faire apprendre la grammaire et les maths !

Il est relativement facile d’avoir les enfants pendant les deux mois d’été quand ils peuvent aller librement dehors ou fréquenter un camp de vacances. Mais là, c’est autre chose que nous vivons avec nos petits, car ils doivent rester à la maison comme ils passent leur journée à l’école et il faut les occuper et supporter leurs états d’âme sans perdre les pédales. Quelle belle façon, gracieuseté du virus, d’en apprendre sur le quotidien de celles qui se font servir régulièrement des remontrances par les parents lorsque leur précieux et princier rejeton rapporte avoir été injustement traité en classe par son enseignante. Je crois que beaucoup de parents sortiront de cette épreuve convaincus plus que jamais que les enseignantes sont largement sous-payées pour le titanesque travail qu’elles font.

Contrairement à la croyance populaire, le métier d’enseignante n’est pas une simple vocation inscrite dans les gènes d’une partie de la population programmée pour éduquer nos enfants.

Oui, il y a beaucoup de passionnées qui embrassent ce job, mais il faut reconnaître aussi que c’est un gagne-pain qui transporte son lot de crises de nerfs, d’anxiété et de dépressions. J’ai rappelé à mon ami que ce qu’il expérimente en même temps que tous les parents du Québec pendant cette première semaine de réclusion familiale forcée n’est qu’une infime partie du travail d’une enseignante. En effet, si on a de la difficulté à survivre à nos trois gamins pendant une semaine, il ne faut pas oublier qu’une enseignante s’occupe de plus d’une vingtaine d’enfants qui ne sont pas les siens pendant 10 mois.

Je parie même que si la pandémie perdure, vous verrez que deux mois de vacances, ce n’est pas tant que ça pour se remettre des cris et du bruit, de la préparation des cours, de la correction, de la gestion des enfants avec des troubles de comportement ou un déficit d’attention et qui n’ont pas un suivi adéquat ou les ressources nécessaires, de ceux qui sont juste des petits tannants ou un peu énervés, et, surtout, de certains parents qui n’ont aucune idée de ce qu’elles endurent !

J’espère que cette épreuve que nous traversons collectivement catalysera dans nos cœurs et nos esprits un plus grand respect pour le travail des enseignantes, enseignants et autres professionnels du milieu scolaire qui, il faut le rappeler, sont les fondations sur lesquelles repose notre édifice social.

Si tel est le cas, lorsque le Québec retrouvera son homéostasie, la meilleure façon de témoigner de cette nouvelle conscience sera de leur tendre la main comme elles tiennent chaque jour celle de nos enfants pour leur faire pousser des racines et des ailes. Comme parent, en plus d’être participatif pour mieux les aider à aider nos enfants, il faudra se souvenir aussi que tendre la main aux enseignantes, c’est également être solidaire de leur volonté d’améliorer leurs conditions de travail et d’augmenter significativement leur salaire, qui est bien en deçà du gigantesque et épuisant métier qu’elles exercent. Une certitude que tous les parents apprendront à la dure avant la fin du confinement.

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