Sommet du G7 de La Malbaie

Tensions au sommet

Rarement les dirigeants du G7 auront-ils été aussi divisés. C’est sur fond d’une guerre commerciale et dans la foulée du rejet de l’accord sur le nucléaire iranien par les États-Unis qu’ils se réuniront vendredi et samedi à La Malbaie. Tour d’horizon des enjeux et histoire de cette rencontre aux retombées attendues.

Sommet du G7 de La Malbaie

Rencontre sur fond de crise

Ottawa et Montréal — Le Sommet du G7 de La Malbaie devait constituer une occasion en or de mettre de l’avant l’agenda progressiste du gouvernement Trudeau, mais il se transformera d’abord et avant tout en forum de gestion de crise, après la série de gifles assénées récemment par Washington à ses alliés.

L’imposition de tarifs corsés sur les exportations d’aluminium et d’acier, tout comme le retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien, risque de dominer les échanges entre les leaders du G7, estiment plusieurs experts consultés par La Presse. Les dossiers comme l’égalité des sexes et l’économie « inclusive » devraient, quant à eux, être relégués au second plan.

« Compte tenu du niveau de tension qui s’annonce, il me semble assez évident que ce sera davantage la préservation même du G7 qui sera à l’ordre du jour », fait valoir Louis Bélanger, directeur de l’Institut québécois des hautes études internationales et professeur de science politique à l’Université Laval.

Selon M. Bélanger, le sommet sera principalement l’occasion de « gérer les divergences » entre les États-Unis et les six autres pays du G7, soit le Japon, le Canada, la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Italie.

Forceps diplomatiques

Quand ils se sont réunis à Taormine, en Sicile, en mai 2017, les leaders des pays membres du G7 ont eu toute la misère du monde à accoucher d’un communiqué commun. Les forceps diplomatiques risquent de s’avérer tout aussi nécessaires à La Malbaie, pendant le sommet qui se déroulera sous haute sécurité vendredi et samedi prochains.

Pourquoi ? « Parce que » Donald Trump…

« Le G7 traverse actuellement une période impossible, à cause de l’unilatéralisme du président Donald Trump. »

— Marie Bernard-Meunier, ancienne diplomate canadienne

« À partir du moment où un des leaders veut tout faire tout seul, comme il veut et quand il veut, ça devient difficile de se parler », tranche cette ancienne ambassadrice du Canada en Allemagne, en entrevue téléphonique.

John Kirton, directeur du Groupe de recherche sur leG7 à l’Université de Toronto, note pour sa part que « le G7 a une longue histoire de présidents américains protectionnistes », citant George W. Bush et Ronald Reagan. Mais Donald Trump est, selon lui, « le plus consternant et le plus dangereux » – et de loin.

Guerre commerciale

En annonçant de nouveaux tarifs douaniers de 10 % sur l’aluminium et de 25 % sur l’acier, jeudi, à une semaine de la rencontre de La Malbaie, le président des États-Unis est venu jeter une ombre supplémentaire sur ce sommet. L’évènement s’ouvrira dans un climat de vives tensions, voire de guerre commerciale, entre des pays traditionnellement alliés.

Le Canada et l’Union européenne, visés par les nouveaux tarifs imposés par Washington, ont répondu sans tarder avant-hier avec une série de mesures de représailles sur diverses importations américaines. Le Japon s’est aussi lancé dans une escalade douanière avec les États-Unis, ce qui n’allégera en rien l’ambiance au Manoir Richelieu.

« Ça confirme qu’on n’est plus dans un G7, mais dans un G6 + 1 », observe Régis Coursin, spécialiste du G7 au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM). « Trump est de plus en plus isolé ; il s’est auto-isolé. »

Contexte tendu

De nombreux ministres des sept pays, ainsi que leurs sherpas respectifs, travaillent depuis des mois pour tenter d’échafauder un communiqué commun qui devrait être diffusé samedi au terme du sommet. Plusieurs sources ont toutefois fait état de sérieuses dissensions à quelques jours de la tenue de l’évènement. Le contexte s’annonce extrêmement tendu, instable.

Des sources du G7 ont affirmé cette semaine au magazine Politico que les discussions étaient jusqu’à présent « déconnectées » et « éparpillées ». Pire, que le Canada – qui préside le G7 pendant toute l’année 2018 – n’avait « aucune idée » de la façon de gérer la situation.

Ni le premier ministre Justin Trudeau ni la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland n’ont été en mesure d’accorder une entrevue à La Presse au sujet du G7, malgré plusieurs demandes formulées au cours des dernières semaines. Peter Boehm, sherpa du Canada au G7, a pour sa part reconnu que ce sommet était « difficile », pendant un entretien téléphonique réalisé jeudi.

Le commerce et les changements climatiques constituent les deux principaux points où les discussions achoppent, a-t-il souligné.

« On cherche toujours un consensus, mais on n’est pas sûrs d’y arriver. »

— Peter Boehm, sherpa du Canada au G7

Le sherpa canadien affirme d’un autre côté que des progrès ont été réalisés sur plusieurs autres fronts, pendant des rencontres précédant le sommet de La Malbaie. Certaines ententes ont été conclues, dit-il, et les dossiers de l’égalité des genres, des emplois d’avenir et de la gestion de la croissance inclusive font partie des sujets où il y a consensus.

« Nous n’avons pas encore de consensus sur le communiqué final, nous avons les mêmes difficultés que [lors du Sommet du G7] en Italie, précise toutefois Peter Boehm. S’il n’y a pas de consensus, il y aura un communiqué de la présidence. »

Le sherpa a aussi tenu à minimiser les rumeurs voulant que Donald Trump puisse boycotter le sommet – et du même coup annuler sa première visite officielle au Canada. Tout indique que le président sera bel et bien dans Charlevoix la semaine prochaine, selon lui.

Pas une finalité

Même si le sommet de Charlevoix servira d’abord à faire une « gestion de crise », les dossiers progressistes chers au gouvernement Trudeau ne devraient pas être complètement évacués, croit Patrick Leblond, économiste et professeur agrégé au département des affaires publiques et internationales à l’Université d’Ottawa.

« Il faut faire attention de ne pas voir le sommet comme une finalité. Ça demeure un long processus ; on se sert du sommet pour justifier plein d’autres activités autour du G7, comme des rencontres pour faire avancer le programme progressiste et inclusif du Canada. »

— Patrick Leblond, de l’Université d’Ottawa

Quoi qu’il en soit, les dissensions rencontrées l’an dernier en Italie, et les frictions qui s’annoncent la semaine prochaine, viennent remettre en question pour plusieurs l’utilité de tels rassemblements. Des évènements qui coûtent chaque fois une fortune aux contribuables – plus de 600 millions au Canada –, tout en produisant des résultats difficilement vérifiables.

Selon l’ancienne diplomate Marie Bernard-Meunier, « les rencontres du G7 sont pertinentes quand il existe une base suffisante de valeurs communes ». Or, avec les divisions actuelles sur des enjeux fondamentaux, « c’est la pertinence même de l’institution qui est mise à mal ».

Antidémocratique, le G7 ?

L’aspect élitiste, voire antidémocratique, du G7 sera encore une fois mis en lumière par les milliers de manifestants attendus à Québec la semaine prochaine, fait valoir Barry Eidlin, professeur au département de sociologie de l’Université McGill. « Il y en a plusieurs qui remettent en question l’utilité même de ces rencontres, parce qu’elles excluent une bonne partie du monde, et que plusieurs pays qui sont touchés par les décisions du G7 ne sont pas présents pour participer à la prise de décision », souligne-t-il. Ce dernier rappelle que le sommet de La Malbaie se déroulera dans une zone « carrément militarisée », gardée par plus de 8000 policiers. Un isolement qui démontre, selon lui, « un désir de s’écarter de la population ». Le professeur, qui s’intéresse à l’étude des classes sociales et des inégalités, fait valoir que d’autres organismes, comme l’Organisation des Nations unies (ONU), pourraient constituer des forums « plus inclusifs » afin de discuter des grands enjeux économiques mondiaux.

Trans Mountain pas un enjeu

Si l’acquisition de l’oléoduc Trans Mountain par le gouvernement Trudeau a été vertement critiquée à l’échelle internationale cette semaine, cette transaction de 4,5 milliards de dollars ne devrait pas trop nuire à l’image du Canada au sein du G7, croient des experts. « Je pense qu’il y a des dossiers plus importants et je ne crois pas que l’attention des leaders va être portée sur ce dossier, et je ne suis pas de toute manière convaincu que les questions environnementales vont occuper une très grande place dans les discussions », avance Louis Bélanger, professeur de science politique à l’Université Laval. « Il y a un grand écart entre la rhétorique et la réalité du G7. Ils parlent toujours de croissance durable, de s’attaquer aux inégalités sociales, mais c’est un groupe qui renforce ces inégalités sociales et économiques, et qui est responsable de la destruction environnementale », soutient de son côté Barry Eidlin, professeur à l’Université McGill.

Protection des océans : une dizaine de leaders mondiaux invités au G7

Ottawa a annoncé hier la tenue d'une « séance spéciale de mobilisation sur la santé des océans et la résilience des communautés côtières » en marge du G7. La rencontre se déroulera samedi prochain à Québec en compagnie des dirigeants de l'Argentine, du Bangladesh, d'Haïti, de la Jamaïque, du Vietnam et de l'Afrique du Sud, notamment. Christine Lagarde, directrice générale du Fonds monétaire international, prendra aussi part à l'évènement, de même qu'António Guterres, secrétaire général des Nations unies, et Kristalina Georgieva, directrice générale de la Banque mondiale.

Sommet du G7 de La Malbaie

Le G7, version 2018

Vendredi et samedi prochain, 8 et 9 juin, Justin Trudeau recevra au Manoir Richelieu de La Malbaie les dirigeants des six autres démocraties industrialisées les plus riches du monde pour le Sommet du G7. Petit guide pour s’y retrouver.

C’est quoi, le G7, au juste ?

À l’origine, une rencontre informelle à teneur économique entre les leaders de cinq, puis six, puis sept démocraties industrialisées, le Groupe des sept, qui est devenu plus politique au cours des 44 dernières années, n’a pas de siège social ou de secrétariat permanent, contrairement à d’autres organisations multilatérales comme l’OTAN.

Chaque année, à tour de rôle, un des pays membres préside et organise le Sommet des leaders ainsi que toutes les rencontres préparatoires (rencontres ministérielles, réunions de sherpas, consultations de la société civile). L’année de sa présidence, le pays hôte assume tous les coûts de la réunion et établit l’ordre du jour. À la fin du Sommet, les dirigeants mettent habituellement de l’avant une déclaration commune, assortie de plusieurs promesses.

Le Sommet est aussi l’occasion pour les dirigeants des pays membres de discuter économie, sécurité et actualité mondiale dans un cadre décontracté. Et c’est bien ce qu’espère cette année l’hôte en chef, Justin Trudeau. « D’avoir l’occasion de rassembler sept alliés dans un lieu moins formel, plus détendu, entourés par un magnifique paysage et accueillis chaleureusement, afin de parler des vrais enjeux, c’est extrêmement important », a dit le premier ministre canadien la semaine dernière lorsqu’il a été interrogé sur la facture salée de l’événement (voir autre encadré).

Les membres du G7

États-Unis

Membre depuis 1975

Représentant au Sommet 2018 : le président Donald Trump

PIB : 20,4 billions $ US — rang mondial : 1

[*1 billion équivaut à 1000 milliards]

Population : 324,5 millions — rang mondial : 3

Japon

Membre depuis 1975

Représentant au Sommet 2018 : le premier ministre Shinzo Abe

PIB 2017 : 5,1 billions $ US — rang mondial : 3

Population 2017 : 127,5 millions — rang mondial : 11

Allemagne

Membre depuis 1975

Représentante au Sommet 2018 : la chancelière Angela Merkel

PIB 2017 : 4,2 billions $ US — rang mondial : 4

Population 2017 : 82,1 millions — rang mondial : 16

Royaume-Uni

Membre depuis 1975

Représentante au Sommet 2018 : la première ministre Theresa May

PIB 2017 : 2,94 billions $ US— rang mondial : 5

Population 2017 : 66,2 millions — rang mondial : 21

France

Membre depuis 1975

Représentant au Sommet 2018 : le président Emmanuel Macron

PIB 2017 : 2,93 billions $ US— rang mondial : 6

Population 2017 : 65 millions — rang mondial : 22

Italie

Membre depuis 1975

Représentant au Sommet 2018 : le premier ministre du pays Giuseppe Conte est en poste depuis avant-hier. Il en sera à sa première présence officielle dans un événement de cet envergure.

PIB 2017 : 2,18 billions $ US — rang mondial : 8

Population 2017 : 59,4 millions — rang : 23

Canada

Membre depuis 1976

Représentant au Sommet 2018 : le premier ministre Justin Trudeau

PIB 2017 : 1,8 billion $ US — rang mondial : 10

Population 2017 : 36,6 millions — rang mondial : 38

Le membre extra : L’Union européenne

Membre «  nonénuméré  » depuis 1981 ; n’assume pas la présidence de l’organisation

Représentants au Sommet 2018 : le président du Conseil européen, Donald Tusk, et le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker.

PIB 2017 : 20,3 billions $ US (ce qui en fait la 2e plus grande économie du monde)

Population 2017 : 511 millions

Source : Fonds monétaire international et Nations unies

L’exclu russe

Entre 1997 et 2014, avec l’ajout de la Russie, le G7 a été temporairement le G8. C’est le président Bill Clinton qui a convaincu les autres pays membres que l’accueil formel de l’ancien pays communiste au sein du club sélect encouragerait à la fois les réformes démocratiques et rassurerait Moscou quant à l’élargissement de l’OTAN dans sa zone d’influence. Ce nouveau convive à la table n’est pas passé inaperçu. Rapidement, les tendances autoritaires de Vladimir Poutine et son soutien sans faille pour le président syrien, Bachar al-Assad, ont rendu la relation difficile, voire intenable. Le divorce a été prononcé en 2014 après l’annexion de la Crimée par la Russie. Cette année-là, les membres du G7 ont boycotté le Sommet de Sotchi et imposé des sanctions au régime russe. Depuis, quelques rapprochements ont été tentés, mais en janvier, la Russie a annoncé son retrait permanent du G7. Cependant, la donne pourrait changer rapidement. La Russie semble avoir à nouveau deux alliés au G7 : Donald Trump et l’Italie, où plusieurs partis pro-Poutine ont fait bonne figure aux dernières élections.

Les autres invités

Le président du G7 a le droit d’inviter d’autres dirigeants, organisations et leaders mondiaux à se joindre à une partie des discussions à La Malbaie. Seront présents : 

António Guterres secrétaire général des Nations unies

Christine Lagarde directrice générale du Fonds monétaire international

Jim Yong Kim président de la Banque mondiale

José Ángel Gurría secrétaire général de l’OCDE

Des dirigeants de pays africains et de petites nations insulaires du Pacifique ont aussi été invités à participer à une discussion spéciale sur les océans lors du 2e jour du Sommet.

Plus de 3000 délégués et 2000 journalistes seront à Québec et à La Malbaie pour la tenue du Sommet.

L’ordre du jour 

Depuis le début de l’année, le Canada répète dès qu’il en a l’occasion que ce sommet sera celui de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes. Un conseil consultatif sur l’égalité des sexes, présidé par Isabelle Hudon, ambassadrice du Canada à Paris, et la philanthrope américaine Melinda Gates, a pour rôle de s’assurer que la question des femmes fasse partie de toutes les discussions du G7.

Le Canada a aussi mis quatre autres thèmes à l’ordre du jour : 

Investir dans la croissance économique qui profite à tout le monde

Construire un monde plus pacifique et plus sûr

Se préparer aux emplois de l’avenir

Travailler ensemble à l’égard des changements climatiques, des océans et de l’énergie propre

Le Canada espère aussi inciter les membres du G7 à s’engager à régler la crise des Rohingya en Birmanie, qui a forcé près de 700 000 membres de cette minorité musulmane à s’exiler au Bangladesh.

Parmi les sujets d’actualité, on s’attend à ce que le conflit syrien et la dérive antidémocratique au Venezuela soient abordés.

Les terrains glissants

D’autres sujets, moins consensuels, seront aussi discutés derrière les portes closes. Ils mettront à l’épreuve le front commun mis de l’avant par les membres du G7.

Le libre-échange

Ce sujet a longtemps fait consensus au sein du G7, mais est mis à mal par les politiques de l’administration Trump, qui renégocie actuellement l’ALENA et vient d’imposer des tarifs sur l’aluminium et l’acier qui affectent tous les autres membres du G7, y compris le Canada. Grincements de dents en vue.

L’Iran

Au grand dam de la communauté internationale, Donald Trump a décidé de se retirer le mois dernier de l’accord sur le nucléaire conclu par les pays les plus puissants du monde avec la République islamique d’Iran. Ce retrait risque de rendre les conversations sur l’Iran fort tendues.

Proche-Orient

Même scénario pour les pourparlers sur la paix au Proche-Orient. Donald Trump ne recevra pas d’étoiles dans son cahier de la part des autres leaders du G7 après avoir ouvert une ambassade à Jérusalem.

La Corée du Nord

Y aura-t-il un sommet ou non entre les États-Unis et la Corée du Nord au lendemain du G7 pour parler de la question nucléaire ? La réponse change quotidiennement et ces turpitudes risquent d’atteindre le G7. Aux dernières nouvelles, Donald Trump a annoncé hier qu’il rencontrera Kim Jong-un le 12 juin à Singapour.

Les coûts

Selon le budget dévoilé par le ministre des Finances, Bill Morneau, le Canada déboursera plus de 600 millions de dollars pour couvrir les dépenses sur un an de la présidence du G7.

À quoi l’argent a-t-il été alloué  ?

300 millions : Gendarmerie royale du Canada

100 millions : Ministère des Affaires étrangères

99 millions : Ministère de la Sécurité publique

35 millions : Ministère de la Défense nationale

34 millions : Services publics et Approvisionnement Canada

34 millions : Services partagés Canada

8 millions : Santé Canada

32 millions : Autres

Quelques points de comparaison

2010 Muskoka/Toronto

1,1 milliard pour l’organisation, à trois jours d’intervalle, du Sommet du G8 et du Sommet du G20

2005 Gleneagles (Écosse)

180 millions

2002 Kananaskis entre 200 et 300 millions

2000 Okinawa entre 750 et 780 millions – le plus onéreux des sommets du G8 à ce jour

1995 Halifax entre 18 et 20 millions $

Sources : Groupes de recherche du G8 et du G20

Décryptage

Les sommets, qu’ossa donne ?

Tout commence en 1973, après que les pays producteurs de pétrole ont décidé de restreindre leur production et d’augmenter le prix du brut, en réaction à la guerre du Yom Kippour, dans laquelle les États-Unis ont appuyé Israël contre l’Égypte et la Syrie.

Cette mesure de représailles a des retombées planétaires. La flambée du prix du baril de brut, qui passe de 3 à 13 $, entraîne une poussée inflationniste. C’est le premier choc pétrolier. Et il fait mal.

Pour prévenir d’autres crises de ce genre, les dirigeants des cinq économies les plus importantes de la planète décident alors de se rencontrer régulièrement à Washington, pour discuter de manière informelle des dossiers qui les inquiètent le plus.

« L’idée était que des chefs d’État se rencontrent en bras de chemise, sans dossiers préétablis, pour discuter librement, sans être les otages de leur fonction publique, pour faire avancer des dossiers qui s’enlisent. »

— Marie Bernard-Meunier, ancienne diplomate canadienne

Au début, les discussions se tiennent à la bibliothèque de la Maison-Blanche. Le « library group » comprend alors le président des États-Unis, Gerald Ford, et celui de France, Valéry Giscard d’Estaing, le chancelier allemand Helmut Schmidt, le premier ministre du Japon Kakuei Tanaka et le premier ministre britannique Harold Wilson. Le groupe originel s’agrandit avec l’ajout de l’Italie, en 1975, et celui du Canada, l’année suivante.

Le G7 est né… mais rapidement, il perd de vue son objectif premier. Les complets-vestons recouvrent les chemises. Et une armée de fonctionnaires débarque dans les couloirs des châteaux et hôtels de luxe où les sept grands tiennent leurs réunions annuelles.

« Ces rencontres se sont beaucoup bureaucratisées », résume Marie Bernard-Meunier.

Autre changement majeur : les pays que l’on considérait autrefois comme non développés ont fait des pas de géant pour rattraper, peut-être même dépasser, certains des membres du G7.

En 1980, le PIB des pays du G7 représentait 62 % de l’économie mondiale. Aujourd’hui, c’est à peine 30,6 %.

« En réalité, on ne peut plus, aujourd’hui, parler des sept plus grandes puissances mondiales », souligne Pierre Guimond, ancien fonctionnaire du ministère fédéral des Affaires étrangères, affilié à l’Institut des hautes études internationales de l’Université Laval.

D’ailleurs, le Canada se classe aujourd’hui au 10e rang au palmarès des pays qui produisent le plus de richesse, derrière la Chine, l’Inde et le Brésil !

Les sujets qui préoccupent les « grands » changent aussi, au fil des époques.

« Il y a 20 ans, on ne parlait pas de cybersécurité ni d’ingérences étrangères dans des élections », souligne Pierre Guimond.

Nés en pleine guerre froide, les sommets du G7 ont peu à peu compris « que le système économique mis sur pied après la Seconde Guerre mondiale ne tenait pas ses promesses », fait valoir Leonard Edwards, qui a agi comme sherpa pour le premier ministre Stephen Harper lors du sommet de Muskoka de 2010.

Selon lui, les rencontres des « grands » en ce début du XXIe siècle reflètent deux grandes préoccupations. D’abord, l’effritement de la démocratie, qui est « menacée de manière significative ».

Mais aussi, et surtout, les inégalités économiques, dans des « systèmes capitalistes qui ne profitent pas également à tout le monde ».

Mur de protestation

Cette sensibilité face aux inégalités entre pays riches et pays pauvres s’est accentuée au début des années 2000, après une décennie marquée par des protestations antimondialistes de plus en plus virulentes.

En 2001, les manifestations ont dérapé au sommet de Gênes, qui regroupait alors les leaders du G8 – dont la Russie.

Bilan : un mort et 600 blessés chez les protestataires. Et des dommages globaux estimés à 50 milliards.

« Ç’a été un tournant. Depuis, les sommets se sont refermés, ils se tiennent généralement hors des grandes villes. »

— Régis Coursin, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal

Et les engagements sociaux visant à mieux répartir la richesse en faveur des pays les plus pauvres sont apparus sur le radar des rencontres du G7.

Verre vide, verre plein

C’est ainsi que l’Afrique se retrouve au cœur des préoccupations du Sommet du G8 de Gleneagles, en Écosse, en 2005 – une rencontre emblématique qui donne la mesure de la nouvelle générosité des pays du Nord envers le Sud.

Dans le traditionnel communiqué final, les pays signataires s’engagent à doubler l’aide au continent africain en y injectant 25 milliards supplémentaires en cinq ans.

Cette promesse a-t-elle été remplie? Oui, aux yeux de ceux qui ont tendance à voir le verre à moitié plein. Non, disent ceux chez qui se manifeste la propension contraire…

« Globalement, l’engagement a été respecté dans une proportion de 50 % », résume Tom Hart, directeur américain de l’organisation internationale ONE, qui milite contre la pauvreté extrême et qui suit de près les sommets du G7.

En d’autres mots, la moitié des sommes promises a été réellement attribuée. Ce n’est pas idéal. Mais c’est toujours ça de pris…

Car grâce à cet argent, « des progrès immenses ont été accomplis, et des millions de personnes ont pu sortir de l’insécurité alimentaire et ont eu accès aux traitements du VIH/sida et de la malaria », fait valoir Tom Hart.

« Ces 10 ou 11 milliards de dollars, c’est de l’argent dont nous ne disposions pas auparavant. »

En 2010, à Muskoka, les leaders de ce qui était alors le G8 ont adhéré au projet en santé maternelle et infantile mis de l’avant par Stephen Harper.

Ce programme avait soulevé un tollé, parce qu’il excluait les services d’avortement et les droits reproductifs des femmes. Dix pour cent des cas de mortalité périnatale surviennent lors d’avortements mal pratiqués, souligne Anne Delorme, coordonnatrice du comité femmes et enfants à l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI.)

« Mais ça laisse les 90 % restants. »

Selon Anne Delorme, les engagements de 2010 ont eu globalement des résultats positifs. « On a pu consolider le financement de la formation en santé maternelle », dit-elle à titre d’exemple.

Bien sûr, on aurait pu faire plus, et mieux. « Mais il faut bien commencer quelque part. »

Ce qui lui fait dire que même si les rencontres du G7 reflètent une énorme concentration de pouvoir entre les mains d’un petit groupe d’individus, elles représentent aussi des possibilités.

« De plus en plus, le G7 porte un message social, avec des promesses concrètes et du financement. »

— Anne Delorme, coordonnatrice du comité femmes et enfants à l’AQOCI

Le bulletin du G7

Des promesses dont le taux de réalisation est estimé à 73 %, dit John Kirton, directeur du groupe de recherche sur le G7 à l’université de Toronto.

« Cela équivaut à une note de B-, c’est au-dessus de la moyenne des notes universitaires. »

Le groupe de recherche sur le G7 suit les progrès d’une vingtaine d’engagements par année, depuis 1996. En 20 ans, il a pu ainsi voir évoluer plus de 500 promesses, sur un total de 5210.

Premier constat : le « quotient de réalisation » s’améliore au fil des ans. Durant les 15 premières années de la recherche, il s’établissait à 65 %. Aujourd’hui, c’est 78 %.

« Est-ce que l’argent que l’on donne est toujours dépensé de la meilleure manière? Non, car il y a la corruption en chemin. Cela dit, moins de mères et d’enfants meurent aujourd’hui qu’en 2010. »

C’est la part remplie du verre…

La Presse a demandé à John Kirton, directeur du Centre de recherche sur le G7 à l’Université de Toronto, d’identifier les « meilleurs » et le « pire » sommets du G7 de l’histoire.

Les meilleurs

1. Tokyo, 1978

Visionnaire, le chancelier allemand Helmut Schmidt y était arrivé avec l’idée de freiner les émissions de dioxyde de carbone. Et c’était bien avant que l’ONU ne reconnaisse le problème du réchauffement climatique. La même année a vu s’éteindre la crise pétrolière. Il y a eu aussi un accord pour venir en aide aux réfugiés de la mer.

2. Paris, 1989

À quelques mois de la chute du mur de Berlin, le leader soviétique Mikhaïl Gorbatchev a fait parvenir une lettre demandant l’inclusion de son pays au sein du G7. « C’était une véritable lettre de reddition, montrant qu’on venait de gagner la guerre froide. »

3. Gleneagles, 2005

C’était l’année des engagements envers l’Afrique et de la lutte contre le VIH/sida.

Le pire

Versailles, 1982

C’était un sommet de divisions. Les Soviétiques voulaient faire construire un gazoduc vers l’Europe. Le président Ronald Reagan y était opposé. « Tout le monde a fini par signer le communiqué final, mais l’encre n’était pas sèche que, déjà, les Européens reniaient leur signature. »

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