OPINION  Violences sexuelles

La déferlante

L’affaire Ghomeshi a permis à des milliers de femmes de sortir de l’anonymat et d’étaler au grand jour des secrets lourds à porter

L’affaire Ghomeshi, le déclenchement d’une mobilisation ? Deux semaines après sa sortie sur les réseaux sociaux, on compte désormais par millions les dénonciations d’abus de la part de femmes qui avouent avoir subi des violences sexuelles, mais qui ne les ont ni identifiées ni dénoncées. Ce mouvement, qui s’apparente à une sortie des cadavres du placard, mérite qu’on s’y arrête.

Après de premières réactions publiques, pénibles, sur la séparation publique/privé, et sur le respect de la vie privée qui, sans le disculper ouvertement, laissaient peser un doute sur la nature des relations que le célèbre animateur entretenait avec des femmes, voici enfin le moment venu de la dénonciation individuelle et collective. On assiste à une véritable déferlante de voix de femmes, qui ont eu l’immense courage de briser le silence pesant qui entoure les abus sexuels. 

Ces voix disent les rapports de domination qui leur ont été imposés, sous couvert de liberté sexuelle et de consentement mutuel. Il faut saluer leur étonnante prise de parole comme celle de femmes qui se libèrent d’un joug d’autant plus insidieux qu’il ne dit pas son nom.

Étonnante en ces temps où l’on croit le féminisme dépassé et la victimisation des femmes révolue. Étonnante encore, alors qu’étaler au grand jour un abus sexuel reste toujours de l’ordre de la blessure intime, cachée, non dite.

Quarante ans de féminisme ont certes conduit à une situation où la CBC décide finalement de congédier l’animateur qui a dépassé les bornes. Imbu de son bon droit et bardé de ses certitudes, il parle d’un complot contre lui. Il n’en revient pas, comme DSK, qui a pris des mois avant de réaliser l’ampleur du désastre. Le visionnement d’une vidéo qu’il a lui-même soumise pensant se disculper (hubris !), le ras-le-bol du personnel qui travaillait pour lui, la peur d’être rattrapé par un énorme scandale, tout cela conjugué a fini par aboutir à une sanction contre ce qui est désormais compris comme une série d’abus sexuels.

Cette affaire a aussi ouvert une digue au Québec, où on a beaucoup et longtemps caché cette question cruciale pour la libération des mœurs que sont les abus sexuels.

Tout se passe comme si nous vivions ici dans une société égalitaire où de tels actes n’ont tout simplement pas lieu.

Bien des femmes qui se disent féministes hésitent pourtant à dénoncer ces abus sexuels, tant ceux-ci victimisent les femmes qui les subissent et stigmatisent la société dans laquelle ces actes peuvent se perpétrer sans sanction.

D’une certaine manière, les liens très étroits qui ont été tissés depuis 40 ans entre féministes et nationalisme québécois ont sans doute conduit à taire une réalité souvent vécue par des femmes d’ici. Dans une société où il y a eu peu de dénonciations publiques de ces abus, ce moment apparaît comme exceptionnel et prometteur, car il ouvre une nouvelle ère d’un féminisme assumé et libérateur.

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre les prises de parole courageuses de personnalités publiques comme Julie Miville-Dechêne, la présidente du Conseil du statut de la femme, Alexa Conradi, la présidente de la Fédération des femmes du Québec, et de bien d’autres femmes. L’affaire Ghomeshi a permis à des milliers de femmes d’ici et d’ailleurs de sortir de l’anonymat et d’étaler au grand jour des secrets lourds à porter. C’est peut-être le début de la fin pour que ces pratiques de domination des hommes sur les femmes soient partout dénoncées au lieu d’être simplement ignorées et ensevelies dans un mur de silence. La dénonciation des abus sexuels est un moment essentiel dans l’émancipation des femmes… et des hommes.

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