Journée internationale des femmes et des filles en science

« Il faut commencer la sensibilisation très tôt »

C’est demain la Journée internationale des femmes et des filles en science. Et alors que les femmes demeurent sous-représentées dans plusieurs disciplines comme le génie, la physique ou l’informatique, les femmes en science insistent sur une chose : la nécessité de continuer la sensibilisation… en particulier auprès des plus jeunes.

« Dessine-moi un scientifique. » 

De 1966 à 1977, le sociologue David Wade Chambers et ses collaborateurs ont fait cette demande à 4807 élèves âgés de 5 à 11 ans. Le résultat a suscité une prise de conscience collective. C’est que parmi les milliers de dessins récoltés, seuls 28 d’entre eux montraient une femme scientifique – moins de 0,6 %. Et ils avaient tous été dessinés par des filles.

L’expérience a été reprise des dizaines de fois depuis, pour un total de 20 000 dessins. Le pourcentage de femmes scientifiques dessinées a grimpé à 28 % à partir des années 80 et s’est à peu près maintenu depuis. Fait fascinant, des chercheurs ont récemment montré que jusqu’à 8 ans, les filles dessinent presque toujours des femmes scientifiques alors que les garçons dessinent des hommes. C’est passé cet âge que les filles commencent à dessiner des hommes scientifiques, ce qui fait basculer les résultats.

« Ça montre qu’il faut commencer la sensibilisation très tôt – dès la garderie et le primaire, estime Claire Bénard, professeure en neurobiologie cellulaire et moléculaire à l’UQAM. Complimenter les filles qui posent des questions, encourager la curiosité, ne pas être dissuasif sans s’en rendre compte. Les biais sont inconscients et il faut en prendre conscience. »

Quand les femmes discriminent les femmes

Ces biais inconscients perdurent tout au long de la carrière des femmes en science. L’an dernier, une étude a montré qu’à compétences égales, les chercheuses canadiennes du domaine de la santé ont de moins bonnes chances d’obtenir des subventions de recherche que leurs collègues masculins. Et, fait aussi troublant qu’étonnant, ce ne sont pas les examinateurs masculins qui se montrent plus sévères envers les femmes… mais bien les évaluatrices !

« Moi-même, pendant mon doctorat, j’ai réalisé que j’accordais plus d’importance à ce que disaient les hommes que les femmes – parce que les hommes parlaient souvent avec une voix plus catégorique, alors que les femmes étaient souvent plus douces. Depuis que je m’en suis rendu compte, j’en parle à tout le monde. »

— Claire Bénard

La percée des femmes en médecine, où elles sont aujourd’hui plus nombreuses que les hommes, montre qu’elles ne craignent pas les longues études et les carrières exigeantes. Selon Claire Bénard, leur sous-représentation dans des disciplines comme les mathématiques ou l’informatique s’explique en partie par la perception que ces domaines ne sont pas socialement « utiles ».

« La science, c’est l’évolution de la société avec des avancées technologiques et conceptuelles. C’est une façon d’être dans la vie et de voir le monde. Il faut réaliser que c’est utile à la société de faire avancer les connaissances et de contribuer à savoir qui l’on est », dit Mme Bénard.

« Les femmes en science, comme dans n’importe quel domaine, sont essentielles, résume la professeure. On ne peut pas passer à côté de 50 % du potentiel de l’humanité. »

Des initiatives

Aujourd’hui, au Centre des sciences de Montréal, les filles de 17 ans et moins sont invitées à rencontrer des femmes scientifiques.

Demain, l’Acfas et Québec Science lancent un balado intitulé 20 % destiné aux femmes en science.

Quelques femmes inspirantes

Dans les laboratoires, devant leur ordinateur ou devant une salle de classe en train de transmettre leur savoir, il y a des milliers de femmes scientifiques inspirantes au pays. La Presse vous en présente quelques-unes.

Jenni Sidey

S’il y a une femme qui promet de faire rêver au cours des prochaines années, c’est bien Jenni Sidey. En 2017, la jeune Albertaine a franchi le fil d’arrivée d’un processus hyper compétitif pour devenir astronaute. Titulaire d’un doctorat en génie, Mme Sidey fait partie de la génération d’astronautes qui peut rêver d’aller au-delà de la Station spatiale internationale – peut-être d’un retour sur la Lune ou de la planète Mars. « Le génie, c’est utiliser la science pour améliorer la vie des gens. C’est pour tout le monde. Pour les jeunes filles qui ne le réalisent peut-être pas, j’espère avoir un impact et leur apprendre cela », a-t-elle déjà dit.

Brenda Milner

À 100 ans, Brenda Milner continue de se rendre régulièrement à l’Institut et hôpital neurologiques de Montréal de l’Université McGill, où elle a toujours son bureau. Considérée comme la mère de la neuropsychologie, Mme Milner s’est fait connaître en examinant des patients atteints de lésions neurologiques, puis en faisant le lien avec les structures touchées afin d’élucider le rôle des différentes parties du cerveau. Cette Britannique de naissance a été considérée pour le prix Nobel. Mais ne comptez pas sur elle pour livrer un plaidoyer féministe. « Je me considère comme un être humain, je ne pense jamais au fait que je suis une femme », a-t-elle déjà dit à La Presse.

Victoria Kaspi

L’objet de sa passion : les étoiles à neutrons, des étoiles géantes qui se sont effondrées pour devenir extrêmement denses. Professeure à l’Université McGill, Victoria Kaspi obtient du temps d’observation sur les plus grands télescopes de la planète et collectionne les prix et récompenses. « Mon conseil aux filles tentées par une carrière scientifique est de poursuivre leur rêve et de ne pas abandonner devant les défis, dit-elle. La route ne sera peut-être pas facile, mais elle vaut vraiment la peine. Il y a tellement de questions intéressantes et de mystères à résoudre ! La diversité parmi les scientifiques est une source fantastique de force et de créativité. »

Caroline Ménard

Comment le stress touche-t-il le cerveau ? Pour répondre à cette question, Caroline Ménard fait tant des expériences moléculaires en laboratoire que des études sur les souris. Cette spécialiste de l’Université Laval a récemment découvert que le stress pouvait miner la barrière hématoencéphalique qui protège notre cerveau, une percée publiée dans la prestigieuse revue Nature Neurosciences. « Une carrière en sciences, c’est comme des montagnes russes : on vit des déceptions, des rejets douloureux, mais également des découvertes exaltantes, des moments de grande fierté avec nos protégés, dit Mme Ménard. Il faut être curieuse, passionnée, persévérante, un brin chanceuse et savoir bien s’entourer. Comme le disait Marie Curie : dans la vie, rien n’est à craindre, tout est à comprendre. »

Chantal David

Chantal David se passionne pour la théorie des nombres, branche des mathématiques théoriques qui remonte à la Grèce antique. Elle étudie les nombres entiers et en particulier les nombres premiers, ces nombres qui ne peuvent se diviser que par un et par eux-mêmes. La théorie des nombres est notamment à la base des systèmes de cryptographie qui sécurisent nos communications sur l’internet. « J’ai agi à titre de mentore pour plusieurs jeunes mathématiciennes lors des dernières années, qui sont maintenant des chercheuses établies et des collaboratrices de travail, pour ma très grande chance, dit-elle. Je ne peux que souhaiter que le nombre de mathématiciennes augmente encore au cours des prochaines années ! »

Mona Nemer

Eh oui : le poste de scientifique en chef du Canada est occupé par une femme ! Spécialiste de génétique moléculaire, Mona Nemer a notamment contribué à élaborer de nouveaux tests diagnostiques pour détecter l’insuffisance cardiaque. Elle était vice-rectrice à la recherche à l’Université d’Ottawa avant d’être nommée scientifique en chef. Aujourd’hui, elle conseille le gouvernement sur les enjeux scientifiques. « Les plus grands défis du XXIe siècle comme la santé, la sécurité alimentaire et la lutte contre les changements climatiques exigent des solutions novatrices axées sur la collaboration, dit-elle. Cela implique d’élargir et de diversifier nos bassins de talents. Il faut continuer d’encourager la participation des femmes et travailler à renforcer leur leadership. Il y va de l’intérêt même de la société. » — Philippe Mercure

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