20 ans dans un quartier 

LA TRANSFORMATION DE LA WELLINGTON

Aimer son coin au point d’y vivre des décennies… Pour cette série, Nathalie Collard s’est entretenue avec des passionnés de leur quartier. Aujourd’hui : Verdun  Mardi prochain : Sainte-Rose

« Avant, on avait honte de dire qu’on vivait à Verdun, c’était la ville des BS et des pyromanes. Aujourd’hui, c’est tout le contraire. Il y a une fierté… », confie Luc Gendron, né il y a 46 ans dans cette ville devenue un arrondissement depuis.

Père de quatre enfants, ce Verdunois pure laine est revenu s’installer dans son quartier natal il y a 10 ans, après quelques années passées à Saint-Bruno. « Rien n’avait vraiment changé à mon retour, lance-t-il. La rue Wellington était mal en point, il y avait beaucoup de locaux vides. »

Malgré la morosité, Luc Gendron et sa conjointe Cristel Henssen ont décidé d’ouvrir une fromagerie dans l’artère commerciale qui a vu déambuler plusieurs générations de Verdunois sur ses trottoirs.

« Les gens du coin nous disaient : vous ne durerez pas six mois avec vos fromages. Ils se sont trompés, on a vraiment réussi à s’implanter dans le quartier. »

— Luc Gendron, qui a ouvert une fromagerie rue Wellington

Bien sûr, il y a eu de l’éducation à faire. « À la fromagerie, on vend aussi des gaufres liégeoises, poursuit-il. Je me suis déjà fait dire : pourquoi je paierais une gaufre 4 $ quand je peux acheter une boîte d’Eggo à 2 $ ? » Un client à la fois, et grâce au dynamisme de ses propriétaires qui organisaient des dégustations et s’impliquaient auprès de la communauté, la fromagerie s’est bâti une réputation.

Au fil des ans, plusieurs nouveaux commerces visant une clientèle plus jeune et diversifiée – une microbrasserie, des restaurants, des cafés, des épiceries fines et bios – ont ouvert leurs portes. Puis, le printemps dernier, une modification au règlement municipal a permis de servir de l’alcool sans obliger les clients à prendre une bouchée, Verdun étant l’une des deux dernières villes sèches au Québec, avec Saint-Lambert.

« On a vraiment senti l’impact sur Wellington, affirme Luc Gendron. Le soir, la rue est plus animée, les gens étirent la soirée sur les terrasses. »

LES MULTIPLES VISAGES DE VERDUN

Verdun a trois personnalités distinctes. D’un côté, son quartier populaire autour de « la Wellington », celui qu’on appelait « Vardun » il n’y a pas si longtemps, avec quelques commerces rappelant une autre époque, ses triplex et ses maisons plus modestes. Plus à l’ouest, vers LaSalle, c’est le secteur du parc Crawford, avec ses maisons plus cossues. « C’est le quartier bourgeois, explique Luc Gendron. Quand j’étais jeune, on ne traversait jamais du côté des riches… »

Puis il y a L’Île-des-Sœurs, la ville dans la ville, cette enclave qui refuse systématiquement de s’identifier à Verdun.

« Quand j’étais petit, on allait glisser là l’hiver et attraper des couleuvres l’été. Il y avait très peu de maisons, c’était la nature. »

— Luc Gendron, en parlant de L’Île-des-Sœurs

À cette époque, dans les années 60 et 70, Verdun vivait une sorte d’âge d’or. La rue Wellington était prospère et de grands magasins comme Woolworth avaient pignon sur rue. Mais dans les années 80, les problèmes de drogue, de prostitution, et les pyromanes qui mettaient le feu aux vieux hangars ont eu raison du dynamisme du quartier. L’arrivée des motards, quelques années plus tard, en a fait fuir plus d’un.

« C’était connu que les Rock Machine étaient installés ici, explique Luc Gendron. Quand il y a eu un meurtre en pleine rue, en 2000, les gens ont eu peur. Plusieurs familles qui avaient choisi de s’installer à Verdun ont fait leurs valises. »

#VERDUNLUV

Aujourd’hui, Verdun connaît une renaissance. Le dynamisme de la rue Wellington (le quartier a même son mot-clic : #verdunluv) attire à nouveau les jeunes qui sont séduits par les atouts du quartier. Il faut dire qu’ils sont nombreux : proximité du centre-ville, trois stations de métro, accès au fleuve, logement abordable. Sans compter sa riche histoire. Nommé en 1671 par un jeune militaire originaire de Verdun, en France, l’arrondissement compte encore quelques superbes monuments, dont la magnifique église Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, actuellement en rénovation. Sur papier, c’est un peu le quartier idéal. On parle aussi d’aménager une plage à l’ouest du célèbre Natatorium, sur les berges du Saint-Laurent.

« Le projet de plage est intéressant à condition qu’il ne vienne pas avec un développement immobilier et qu’il respecte la vie du quartier, note Luc Gendron. Verdun est un des rares endroits où le fleuve appartient à tout le monde, il n’est pas réservé aux propriétaires de condos. Riches et pauvres peuvent venir s’y balader, il faut que ça reste comme ça. »

VERDUN POUR TOUS

Quand on se promène dans les rues bordées de grands arbres, on constate que la tranquillité des lieux est souvent troublée par le son de la scie et du marteau. Ça rénove beaucoup, et on devine que bientôt, les beaux duplex et triplex verdunois n’auront plus rien à envier à ceux du Plateau ou de NDG.

Pour Luc Gendron, qui a déjà siégé à la tête de la Société de développement commercial Wellington, il faut être prudent. « Oui, Verdun doit évoluer, mais tout en respectant la communauté d’origine », insiste-t-il.

« Ici, il y a des gens riches, des gens pauvres, des anglophones, des francophones, et plusieurs communautés culturelles qui cohabitent. C’est cette cohabitation qui fait la richesse du quartier. Il faut tenir compte de tout ça. »

— Luc Gendron

Récemment, l’arrondissement a inauguré une terrasse dans la rue Wellington, juste à côté d’une bibliothèque libre-service et d’un piano public, en face du presbytère. « Les gens du quartier peuvent venir en profiter sans dépenser, sans consommer. »

« Quand les commerces organisent des ventes-[débarras], ajoute M. Gendron, il faut pouvoir offrir des activités qui ne coûtent rien. Il y a des gens qui n’ont pas les moyens de dépenser pour le superflu à Verdun. Il faut qu’eux aussi puissent continuer à fréquenter la rue Wellington. »

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