Expulsion de la commission anticorruption de l’ONU

Le gouvernement passe de la parole aux actes

Après avoir longtemps menacé de le faire, le gouvernement guatémaltèque est passé aux actes en annonçant que son pays mettait le holà aux activités d’une commission anticorruption créée sous l’égide des Nations unies.

Le président Jimmy Morales a annoncé lundi que la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG) ne pourrait poursuivre son travail jusqu’en septembre comme le prévoyait un accord conclu avec l’organisation internationale l’année dernière.

Pour appuyer sa décision, le politicien a indiqué lors d’une conférence de presse tenue à Guatemala que la commission avait contrevenu par ses actions aux lois nationales et internationales et compromis la « sécurité nationale ».

La ministre des Affaires étrangères guatémaltèque, Sandra Jovel, a indiqué dans la même veine à New York, après une rencontre avec le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres, que son pays entendait ainsi défendre sa souveraineté.

Un porte-parole de M. Guterres, Stéphane Dujarric, a indiqué qu’il rejetait « avec fermeté » les plaintes du gouvernement guatémaltèque au sujet de la commission et demandait au pays de respecter le calendrier prévu.

Jimmy Morales, ex-comédien porté au pouvoir en 2015 en promettant de lutter contre la corruption, avait réclamé en vain en septembre dernier le remplacement du directeur de la CICIG, Ivan Velasquez, l’accusant de semer « la terreur judiciaire » dans le pays.

Des dizaines d'élus condamnés

La commission, créée en 2006 pour aider les autorités locales à lutter contre la corruption endémique, a fait condamner au fil des ans des dizaines d’élus et de hauts responsables du gouvernement, y compris le prédécesseur du président, Otto Pérez Molina.

Jo-Marie Burt, une spécialiste de l’Amérique latine rattachée à l’Université George Mason, en Virginie, relève que la CICIG est vue depuis des années comme un modèle à imiter.

L’initiative a permis de renforcer considérablement l’indépendance du système judiciaire du pays et a mené au démantèlement de nombreux réseaux de corruption importants, dit-elle.

« La litanie de plaintes formulées par le président et la ministre des Affaires étrangères du Guatemala contre la CICIG est une liste de mensonges. Il n’y a rien de vrai là-dedans. »

— Jo-Marie Burt, spécialiste de l’Amérique latine

Mme Burt estime que le président cherche en fait à se protéger des enquêteurs de la commission, qui le soupçonnent d’avoir reçu des contributions politiques illégales. Son frère et son fils font aussi l’objet d’accusations de malversation.

Le politicien, dit-elle, cherche aussi à protéger les acteurs du secteur privé et les militaires qui ont soutenu activement son arrivée au pouvoir et qui voient dans les activités de la commission une « menace existentielle ».

Tentative d’intimidation ?

Lors des attaques du président contre la CICIG en septembre dernier, des tanks avaient circulé à proximité des locaux de l’organisation. Leur intervention avait été largement considérée comme une tentative d’intimidation.

Dans une analyse parue dans El Periodico hier, la journaliste et militante guatémaltèque Irmalicia Velasquez Nimatuj a dénoncé l’action du président Morales en l’accusant de « défendre les intérêts de l’oligarchie nationale » et ceux d’élus, de fonctionnaires et de militaires corrompus.

« La CICIG n’a pas violé la souveraineté du Guatemala ni les droits de la personne. Au contraire, c’est le gouvernement de Jimmy Morales qui les viole tous les jours. »

— Irmalicia Velasquez Nimatuj, militante et journaliste, dans El Periodico

La décision du président a aussi suscité des critiques aux États-Unis, notamment du sénateur démocrate Patrick Leahy.

« Le président Morales et ceux qui ont participé à ce flagrant abus de pouvoir ou l’ont soutenu ont fait leur choix. C’est un choix servant leur intérêt personnel plutôt que l’intérêt public, l’impunité plutôt que la justice, les mensonges plutôt que la vérité », a-t-il souligné.

virage à washington

La Maison-Blanche est pour sa part demeurée discrète sur les développements en cours.

Mme Burt note que démocrates et républicains ont longtemps soutenu les travaux de la commission à l’unanimité, mais que les choses ont changé sous la gouverne du président Donald Trump, nettement moins enthousiaste.

Ce virage, relève la professeure, est paradoxal, puisqu’il est susceptible de favoriser le chaos dans le pays et l’exode que le chef d’État américain prétend vouloir contrer en érigeant un mur à la frontière avec le Mexique.

« Il n’y a pas de crise à cette frontière. Il y a une crise au Guatemala, au Honduras et au Salvador, que des élites corrompues sont en train de détruire, forçant les populations locales à s’exiler », conclut Mme Burt.

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