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Trump veut « dominer les rues »

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Donald Trump a annoncé lundi soir le déploiement de « milliers et de milliers » de soldats à Washington et exhorté les gouverneurs à mettre à contribution la Garde nationale afin de « dominer les rues » et de mettre fin aux violences qui font rage depuis la mort de George Floyd.

Le fil des événements

25 mai

George Floyd, un Afro-Américain de 46 ans, est arrêté par quatre agents de la paix, dont Derek Chauvin, à Minneapolis. Soupçonné d’avoir voulu écouler un faux billet de 20 $, Floyd est menotté, puis projeté au sol. Chauvin s’agenouille sur son cou pour le maîtriser, alors que deux de ses collègues l’immobilisent en s’agenouillant eux aussi sur lui. Dans une vidéo filmée par des passants, on entend Floyd crier qu’il ne peut pas respirer. Il meurt sur place. Le rapport du service de police initial mentionnait que Floyd avait résisté à son arrestation.

26 mai

La vidéo de l’arrestation mortelle de George Floyd fait le tour du monde. Les quatre policiers impliqués dans l’arrestation de Floyd sont congédiés, et une enquête au FBI est réclamée. Des centaines de manifestants se retrouvent dans les rues de Minneapolis ce soir-là, et la situation dégénère. Voitures de police vandalisées, commerces incendiés ou pillés : la violence gagne en intensité et les manifestations se poursuivent dans les jours suivants.

27 mai

Le mouvement de protestation s’étend à plusieurs autres villes américaines. Indignés, choqués, révoltés, des citoyens de Memphis, Los Angeles, Louisville, Brunswick se joignent au mouvement. À Minneapolis, notamment, les policiers utilisent des gaz irritants et des balles de caoutchouc pour disperser les foules.

28 mai

La Garde nationale est appelée en renfort à Minneapolis, mais l’offre de l’armée d’envoyer des militaires est déclinée par le gouverneur du Minnesota. La ville avait demandé du renfort, incapable de contenir avec ses seuls moyens l’escalade de violence qui perdure.

29 mai

Derek Chauvin est arrêté et accusé de meurtre au troisième degré. Des documents judiciaires dévoilent que l’homme de 44 ans a retenu la victime avec son genou sur son cou durant 8 minutes et 46 secondes. George Floyd était mort durant les dernières 2 minutes et 53 secondes. Chauvin avait cumulé 18 plaintes à son dossier par le passé. 

Des déclarations de Donald Trump jettent de l’huile sur le feu. Le président traite les manifestants de « voyous », accuse le maire de Minneapolis, Jacob Frey, de manquer de leadership et d’être un faible, et il menace d’avoir recours à la force pour mettre fin aux manifestations.

Des émeutes éclatent à Atlanta, Brooklyn, Manhattan, Chicago et Washington, entre autres. À Detroit, des jeunes hommes de 19 ans et 21 ans sont tués par balle. À Washington, une foule menaçant la Maison-Blanche force sa fermeture, et le président se réfugie dans son bunker souterrain.

30 mai

Le maire de Minneapolis implore ses citoyens de rester chez eux. « Ce qui était des manifestations pacifiques pour George Floyd a tourné en terrorisme intérieur », dit-il. Un couvre-feu imposé à 20 h est défié. Les protestations coûtent la vie à deux hommes, à St. Louis et à Chicago.

31 mai

Des manifestations se poursuivent partout aux États-Unis et ailleurs dans le monde, y compris à Montréal, où 10 000 personnes manifestent contre le racisme. La majorité est pacifique, mais d’autres tournent en émeutes, donnant lieu à des scènes de pillage, de violence et d’affrontements entre les policiers et les manifestants. La Garde nationale est déployée dans plus d’une vingtaine d’États. Des dizaines de villes imposent un couvre-feu. Des centaines d’arrestations sont rapportées à travers le pays. Une personne est tuée à Indianapolis quand des coups de feu sont tirés sur les manifestants.

1er juin

Le médecin légiste responsable de l’autopsie de George Floyd estime qu’il est mort « par homicide » à cause de la « pression exercée sur son cou » par la police, et qu’il était drogué au fentanyl, un puissant opiacé.

Donald Trump annonce le recours à la méthode forte et mobilise l’armée pour contenir les débordements qui ébranlent le pays depuis une semaine. Il enjoint à tous les gouverneurs de déployer la Garde nationale « en nombre suffisant pour dominer les rues » et maîtriser les manifestants, et il impose un couvre-feu à 19 h. Trois États déclarent l’état d’urgence.

— La Presse

Manifestations aux États-Unis 

Des milliers de soldats déployés à Washington

NEW YORK — Se présentant aux Américains comme leur « président de la loi et de l’ordre », Donald Trump a annoncé lundi soir le déploiement de « milliers et de milliers » de soldats « lourdement armés » à Washington, territoire fédéral, et exhorté les gouverneurs à mettre à contribution la Garde nationale afin de « dominer les rues » et de mettre fin aux violences qui font rage depuis la mort de George Floyd.

Le président s’est adressé au public américain à partir de la roseraie de la Maison-Blanche, au moment même où des policiers et des militaires dispersaient à coup de bombes lacrymogènes et de balles en caoutchouc des centaines de manifestants pacifiques rassemblés à deux pas de là.

Les chaînes de télévision ont retransmis en direct ces deux scènes dramatiques en les présentant sur des moitiés d’écran.

« Nous mettons fin aux émeutes et à l’anarchie qui s’est étendue partout dans notre pays », a déclaré le chef de la Maison-Blanche en qualifiant les pillages et les manifestations violentes d’« actes de terreur intérieure ».

« Nous y mettrons fin maintenant », a-t-il ajouté après avoir assuré qu’il était parmi les Américains « écœurés à juste titre et révoltés » par la mort de l’Afro-Américain de Minneapolis.

La déclaration de Donald Trump est survenue à la fin d’une journée mouvementée au cours de laquelle le président s’est adressé de façon crue aux gouverneurs américains lors d’une conférence téléphonique.

Il a notamment affirmé que la plupart d’entre eux s’étaient montrés « faibles » depuis le début des manifestations et qu’ils passeraient pour une « bande de crétins » s’ils ne prenaient pas les moyens pour « dominer » les manifestants.

« Si une ville ou un État refuse de prendre les mesures nécessaires pour défendre la vie et les biens de ses citoyens, alors je déploierai l’armée des États-Unis et réglerai rapidement le problème pour eux », a-t-il plus tard déclaré de la roseraie de la Maison-Blanche.

Bible à la main

Selon Steve Vladeck, professeur de droit à l’Université du Texas, Donald Trump pourrait mettre sa menace à exécution en s’appuyant sur une loi adoptée en 1807 – l’Insurrection Act –, qui autorise le président américain à déployer l’armée américaine sur le territoire des États-Unis afin de mettre un terme aux troubles civils, à l’insurrection et à la rébellion.

« Dès lors qu’il invoque cette loi, le président peut utiliser l’armée pour l’application de la loi au niveau national », a indiqué le professeur Vladeck à La Presse. « Il pourrait en théorie être contesté en cour, mais les chances qu’une telle mesure réussisse me semblent minces. »

Cela dit, le déploiement de l’armée dans des villes américaines n’irait pas sans risque pour le président. « S’il passe à l’action, le président devra assumer la responsabilité pour tout le reste », a dit le professeur de droit.

Après sa brève intervention – et la dispersion violente des manifestants rassemblés près de la Maison-Blanche –, Donald Trump s’est rendu à pied devant l’église Saint John, aussi appelée l’église des présidents, dont le sous-sol a été incendié dimanche. Une fois arrivé à destination, il a pris la pose pour les photographes, brandissant une bible.

Puis, sans répondre aux questions des journalistes, il est retourné à la Maison-Blanche, entouré notamment du procureur général William Barr, de sa fille, Ivanka Trump, et de son gendre, Jared Kushner.

L’image contrastait avec celle que Donald Trump a présentée durant le week-end dernier à Washington. Vendredi soir, alors que des affrontements entre manifestants et policiers éclataient près de sa résidence officielle, le président a été escorté avec les membres de sa famille dans un bunker.

Dimanche soir, pendant une nouvelle nuit de manifestations violentes dans la capitale fédérale, l’extinction des lumières extérieures de la Maison-Blanche a ajouté à cette impression d’un président coupé du monde et réduit à publier des tweets incendiaires sur les médias, les démocrates et Antifa, ces « anarchistes » auxquels il fait porter la responsabilité des violences.

« L’armée contre les Américains »

Son rival virtuel, Joe Biden, a vivement dénoncé son intervention ainsi que la dispersion des manifestants près de la Maison-Blanche, n’y voyant rien de plus qu’une vile opération de communication.

« Il utilise l’armée américaine contre les Américains. Il envoie du gaz lacrymogène contre des manifestants pacifiques et tire des balles en caoutchouc. Pour une photo. »

— Joe Biden, sur Twitter

Des républicains ont cependant défendu vigoureusement l’approche militaire de Donald Trump. Le représentant de Floride Matt Gaetz a même reçu un avertissement de Twitter après avoir tweeté cette question : « Maintenant que nous voyons clairement Antifa comme des terroristes, pouvons-nous les chasser comme nous le faisons avec ceux du Moyen-Orient ? »

Plus tôt dans la journée, le gouverneur démocrate de New York, Andrew Cuomo, avait ajouté New York à la longue liste des villes américaines où un couvre-feu a été imposé. Entré en vigueur à 23 h, celui-ci faisait suite à une nuit où des pilleurs ont saccagé plusieurs magasins de luxe dans le quartier SoHo de Manhattan.

Des pilleurs étaient toujours à l’œuvre après le début du couvre-feu lundi soir.

À Louisville, dans le Kentucky, le maire, Greg Fisher, ne s’est pas seulement attaqué aux pilleurs et casseurs locaux. Il a congédié le chef de police de sa ville, Steve Conrad, après la mort d’un homme abattu lors d’une intervention impliquant deux policiers qui n’avaient pas activé leurs caméras corporelles.

À Minneapolis, le médecin légiste a confirmé la mort de George Floyd « par homicide » après un « arrêt cardiaque » causé par la pression exercée sur son cou par les policiers. Ce rapport officiel fait état de la présence de fentanyl, un puissant opiacé, dans le système sanguin de l’Afro-Américain de 46 ans.

Quelques heures plus tôt, un rapport d’autopsie indépendant concluait à une mort par asphyxie. Selon le résumé de Ben Crump, avocat de la famille de George Floyd, « la pression exercée sur son cou a coupé le flot sanguin allant vers son cerveau et la pression sur son dos a entravé sa capacité de gonfler ses poumons ».

États-Unis

Quatre mythes sur les manifestations

Pas facile de démêler le vrai du faux à propos des manifestations qui font rage aux États-Unis depuis la mort de George Floyd. C’est le cas en ce qui concerne les principaux responsables des violences qui secouent les villes américaines. Et ça l’est tout autant pour les comparaisons historiques qui sont établies entre les émeutes de 1968 et celles de 2020, de même que pour leurs portées politiques. Voici donc quatre mythes à déboulonner.

Des groupes d’extrême droite sont mêlés aux violences

Devin Burghart ne se gênerait pas pour confirmer cette thèse lancée samedi par le gouverneur démocrate du Minnesota, Tim Walz, et reprise depuis par certains médias. Il dirige à Seattle un centre de recherche sur les mouvements d’extrême droite. Or, son organisation, qui a des antennes partout aux États-Unis, ne possède « aucune indication d’une implication importante de l’extrême droite » dans les violences.

« Nous avons quelques signalements d’individus ou de petits groupes qui apparaissent à différents endroits, mais aucun effort de coordination, aucune tentative de rehausser le niveau d’implication, dit à La Presse Devin Burghart. Je ne sais pas où les autorités publiques obtiennent leurs informations. »

Les signalements obtenus par le centre de recherche de Seattle, dont le nombre s’élevait à 20 lundi matin, concernent principalement les Proud Boys, groupuscule d’extrême droite masculiniste, et, à un moindre degré, les Boogaloo Boies, nouvel avatar des milices d’extrême droite qui rêvent à une nouvelle guerre civile, et des groupes nationalistes blancs.

« C’est vraiment un petit nombre dans l’ensemble, dit Devin Burghart. Et même si nous sommes préoccupés par leur présence autour de certaines manifestations, nous ne voulons pas que cette présence éclipse ou colonise la douleur des Noirs et fasse oublier le message concernant la violence policière. »

La mouvance Antifa organise et mène les violences

C’est le message que Donald Trump martèle ces jours-ci. Or, Antifa, contraction du mot antifasciste, n’est pas une organisation et, partant, n’a pas de dirigeants ni de membres en règle. Il s’agit plutôt d’un mouvement diffus dont les sympathisants se sont donné la mission d’affronter les groupes d’extrême droite là où ils se présentent, ce qu’ils font parfois de façon violente. On les a notamment vus à Charlottesville en août 2017.

« Ils ont tendance à défendre les communautés attaquées par les nationalistes blancs, pas à commettre des actes de violence gratuits », dit Devin Burghart, dont le centre de recherche s’intéresse aussi à Antifa.

Et pourquoi l’administration Trump a-t-elle montré du doigt cette mouvance ?

« Cela fait partie d’une campagne de propagande plus large qui a commencé après les violences de Charlottesville et dont l’objectif est de diaboliser ceux qui s’opposent au racisme. La campagne a commencé sur des sites de droite comme Breitbart et The Daily Caller et se poursuit aujourd’hui sur Fox News. Ils ont créé un épouvantail plus grand que nature. »

À New York, le responsable de l’unité antiterroriste du NYPD, John Miller, a mis les pires violences des derniers jours dans sa ville sur le compte de groupes anarchistes bien organisés qu’il n’a pas nommés. Selon Miller, ceux-ci ont utilisé des technologies de cryptage sophistiquées pour planifier notamment leurs pillages des magasins de luxe de SoHo dans la nuit de dimanche à lundi.

Les émeutes sont pires que celles de 1968

Les comparaisons entre les émeutes raciales de 1968 et celles de 2020 se multiplient. Et certains observateurs n’hésitent pas à dire que les violences des derniers jours sont pires encore que celles qui avaient suivi l’assassinat de Martin Luther King, figure de proue du mouvement pour l’égalité des Noirs aux États-Unis, le 4 avril 1968. Michael Cohen, qui a fait paraître en 2016 un livre sur 1968 (American Maelstrom : The 1968 Election and The Politics of Division), rejette cette comparaison pour le moment.

« Ce qui se passe actuellement n’a pas de précédent dans l’histoire la plus récente, mais cela n’atteint pas le niveau qu’on a vu en 1968 », a dit l’auteur new-yorkais à La Presse. « En 1968, on ne parlait pas de manifestations qui dégénèrent. Il s’agissait d’émeutes pures et simples : des pillages, des incendies criminels et des violences dans de nombreuses villes américaines. Il est vrai que le point de départ était le même à bien des égards, soit la discrimination raciale dans ce pays. Mais l’ampleur était très différente. »

Des émeutes ont éclaté dans plus de 100 villes américaines après l’assassinat de Martin Luther King, le 4 avril 1968, se prolongeant pendant des jours à certains endroits. Elles ont mené à l’arrestation de plus de 15 000 personnes et à la mort d’une quarantaine. À Washington, l’une des villes les plus touchées, plus de 1000 édifices ont été incendiés.

Les violences aideront Donald Trump

« La loi et l’ordre » : l’expression associée à la campagne présidentielle de 1968 est revenue à quelques reprises sur le fil Twitter de Donald Trump au cours des derniers jours. De toute évidence, le président aimerait exploiter en 2020 ce thème avec autant de succès que Richard Nixon. Et certains de ses conseillers (et adversaires) sont convaincus que chaque jour de violences joue en sa faveur. Or, selon Michael Cohen, ils ont tout faux.

« Il y a une énorme différence, et elle tient au fait que Richard Nixon était le challenger en 1968. Il s’attaquait aux démocrates, qui détenaient le pouvoir à la Maison-Blanche », rappelle l’auteur d’American Maelstrom. « Les gens avaient l’impression que les démocrates n’étaient plus en contrôle du pays, qu’ils n’étaient plus capables de diriger le pays. Et cette critique était légitime. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Aujourd’hui, Donald Trump est le président sortant. Il y a de bonnes chances que les électeurs lui imputent le blâme. Ce n’est pas comme si les gens allaient dire : ‟Le pays s’écroule, donnons-lui quatre ans de plus.” Ce n’est pas impossible, mais je ne pense pas que cela se produira. »

Le slogan « la loi et l’ordre », faut-il rappeler, ne s’appliquait pas seulement à un pays dévasté par des émeutes. Les États-Unis étaient également aux prises en 1968 avec un taux de criminalité très élevé.

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