La Banque du Canada le qualifie de « technologie qui a le potentiel de remplacer des systèmes transactionnels entiers, incluant les systèmes de paiement de base ».
Le cabinet d’experts-comptables PwC croit qu’il peut « potentiellement déstabiliser une grande variété de processus d’affaires ».
La Banque Royale, qui s’y intéresse de près, s’en sert de façon expérimentale pour faciliter les paiements entre ses établissements américains et canadiens.
Qu’est-ce donc que la blockchain, cette technologie qui suscite la curiosité des géants de la finance ?
Intrinsèquement lié à la monnaie virtuelle bitcoin (dont la capitalisation a atteint cette semaine les 180 milliards US !), la blockchain est le mécanisme informatique par lequel toutes les transactions en bitcoins dans le monde sont enregistrées et validées entre l’ensemble des utilisateurs de la cryptomonnaie.
Pour résumer grossièrement, le protocole informatique du bitcoin prévoit que chaque transaction faite entre deux utilisateurs est diffusée à un réseau de milliers d’ordinateurs – appelés des nodes – qui placent cette transaction dans une file d’attente virtuelle en attendant d’être validée. Quand la transaction est confirmée, elle est combinée à des milliers d’autres transactions récentes dans un « bloc » de données contenant les détails des échanges. Les blocs de transactions sont ajoutés les uns à la suite des autres – d’où la fameuse blockchain, ou chaîne de blocs – dans un répertoire public relatant l’historique complet de toutes les transactions validées depuis la création du bitcoin.
On parle d’un « grand livre comptable distribué » (distributed open ledger, en anglais), et c’est précisément cette technologie qui suscite l’intérêt du monde de la finance.
« L’immense avantage de la blockchain, c’est son immutabilité. C’est mathématiquement impossible de la contrefaire. »
— Jonathan Hamel, cofondateur de Cattalaxy
« Dans une chaîne d’approvisionnement, c’est une source de vérité. C’est très utile pour suivre un actif du début à la fin d’un processus transactionnel », résume le cofondateur de la filiale du cabinet d’experts-comptables Raymond Chabot Grant Thornton dédiée exclusivement à la technologie de la blockchain et ses applications.
En éliminant ainsi la nécessité de « valider » les transactions, la blockchain élimine l’obligation d’impliquer un tiers – comme une banque ou un notaire – pour assurer la véracité de l’échange.
Mais les choses vont encore plus loin. Depuis le lancement du bitcoin en 2009, des dizaines d’autres cryptomonnaies ont été créées, suivant essentiellement les mêmes principes informatiques et mathématiques.
L’une d’elles, appelée Ethereum, permet de faire des transactions plus élaborées, intégrant directement dans la blockchain des « contrats intelligents », dont les paramètres s’exécutent automatiquement en fonction de critères définis à l’avance. On peut y inscrire à peu près n’importe quelle information, pour un coût dérisoire représentant seulement quelques cents par transaction.
En juin dernier, l’État du Delaware, où sont incorporées plus de la moitié des entreprises du S&P 500, a officiellement reconnu que la création et la tenue de livre directement dans la blockchain ont valeur légale sur son territoire. « Ces modifications législatives pourraient éventuellement « faire en sorte que le cycle complet d’une action – à savoir l’émission, la garde, la négociation, la communication avec les actionnaires et le rachat – soit mis en œuvre au moyen de la chaîne de blocs », écrivait le cabinet Norton Rose Fulbright dans une analyse publiée en septembre dernier.
La Banque du Canada et son projet Jasper
Depuis 2016, la Banque du Canada met aussi à l’épreuve l’efficacité de la blockchain dans le cadre d’une étude de faisabilité appelée projet Jasper, réalisé en collaboration avec 5 grandes banques canadiennes et un consortium de 22 banques internationales. La banque centrale s’est servie d’une version modifiée d’Ethereum pour simuler d’immenses transactions interbancaires représentant plusieurs dizaines de milliards de dollars.
L’étude a conclu que le grand livre ouvert partagé « pourrait ne pas procurer, dans l’ensemble, d’avantage net par rapport aux systèmes centralisés en place », notamment parce que les transactions peuvent être vues de tous.
L’organisme vient néanmoins d’annoncer, à la mi-octobre, le lancement de la phase III du projet Jasper, qui créera une « plateforme de paiements et de valeurs mobilières » expérimentale utilisant la blockchain à la Bourse de Toronto et au sein de ses filiales.
Les industries du prêt hypothécaire, de la réassurance et des services financiers peuvent aussi voir un intérêt important dans la blockchain, puisqu’elle permet de facilement confirmer l’identité d’un participant grâce à des clés uniques de chiffrement, tout en assurant son anonymat.
Lutte contre la corruption
La firme Deloitte y voit même une technologie permettant de « lutter contre la corruption » : « L’immuabilité de la blockchain rend quasi-impossible tout changement a posteriori, ce qui accroît la confiance en l’intégrité des données tout en réduisant les possibilités de fraude », écrit le cabinet de service-conseils en audit et assurances dans une note publiée en 2016.
Bien sûr, en propulsant le bitcoin et des dizaines d’autres cryptomonnaies obscures largement utilisées par les revendeurs de drogue et autres commerçants louches du dark Web, la blockchain a aussi très mauvaise presse.
Mais selon Jeremy Clark, professeur adjoint au Concordia Institute for Information Systems Engineering, les gouvernements au Canada sont néanmoins très intéressés par la blockchain en général. « Plusieurs organismes et départements ont même un intérêt marqué. Certaines des propriétés de la blockchain pourraient être utilisées, par exemple, pour le contrôle des passeports », dit-il.
« La blockchain est là pour rester. Cette idée d’un réseau décentralisé de joueurs indépendants qui fait fonctionner un système complexe de façon sécuritaire, ça va perdurer. Il n’y a aucune façon de faire disparaître ça », estime M. Clark.