scandales sexuels

Les dénonciateurs d’inconduites sexuelles se manifestent par dizaines depuis trois jours. Hier, l’éditeur Michel Brûlé a dû se défendre des allégations d’agression sexuelle dont il fait l’objet, alors qu’une des victimes d’Éric Salvail estime que le mouvement des derniers jours est un « pas dans la bonne direction ».

Scandales sexuels

« Je ressens du soulagement, mais il reste beaucoup de travail à faire »

Marco Berardini, l’une des victimes de Salvail, réagit

« Quand les victimes joignent leurs voix, leur clameur est trop forte pour qu’on l’ignore », se réjouit Marco Berardini, le maquilleur qui a dénoncé les inconduites sexuelles d’Éric Salvail, à l’issue d’une semaine où il a reçu pas moins de 3000 courriels d’appui, dont plusieurs centaines provenant de victimes d’agression ou de harcèlement sexuels qui le remerciaient d’avoir témoigné à visage découvert.

« Je me suis fait demander par plusieurs journalistes comment je me sentais d’avoir démarré un mouvement d’une telle puissance au Canada. J’aimerais dire que je ressens du soulagement, mais la vérité, c’est qu’il reste beaucoup de travail à faire, écrit-il dans un message dont certaines parties s’adressent directement à Éric Salvail et qu’il a fait parvenir à La Presse. Nous, les victimes, avons fait un pas dans la bonne direction. Nous avons prouvé qu’une voix seule peut peut-être être ignorée, mais que si nous joignons nos voix, la clameur est trop forte pour qu’on l’ignore. »

M. Berardini, qui a échangé cette semaine avec d’innombrables victimes, non seulement de M. Salvail, mais aussi d’autres personnes, connues ou non, a encouragé de nombreuses victimes à porter plainte à la police. « J’ai reçu tellement de messages dans les derniers jours que ma messagerie privée de Facebook a crashé », raconte-t-il.

Dans sa lettre, Marco Berardini remercie Éric Salvail d’avoir reconnu l’ampleur de ses problèmes. Cependant, il se demande s’il pourra réellement suivre une thérapie qui changera ses comportements. « Les alcooliques ne boivent pas une goutte par peur de la tentation. Comment peut-on se guérir d’une dépendance qui implique des relations avec les gens ? Et qui surveillera les agissements d’une telle personne si elle reprend un jour une position de pouvoir ? »

Le Groupe Phaneuf prend ses distances

Il se demande également si Éric Salvail peut rester propriétaire de sa maison de production.

« Est-ce correct de continuer à faire des profits en ayant été aussi irresponsable alors qu’il était en position d’autorité ? »

— Marco Berardini

À ce chapitre, l’actualité a semblé lui donner raison, puisque le Groupe Phaneuf, qui gère la carrière de nombreuses vedettes de l’humour, dont Louis-José Houde, Philippe Laprise et François Bellefeuille, a annoncé qu’il ne collaborerait plus à des projets impliquant Juste pour rire et Salvail & Co tant que Gilbert Rozon et Éric Salvail en demeureraient actionnaires.

« En tant que chef d’entreprise, je suis moi-même très souvent en situation d’autorité. Jamais je ne pourrai accepter ni cautionner de tels comportements », a déclaré sur Facebook le président de l’entreprise, Benjamin Phaneuf. Il s’est dit particulièrement touché par les allégations puisque sa propre fille a été victime d’agression sexuelle. Ces événements ne sont pas liés aux cas qui ont fait les manchettes.

Actualités

« Il a clairement abusé de son autorité »

Deux auteures ont porté plainte à la police, hier, contre Michel Brûlé. L’éditeur et politicien est visé par des allégations d’agression sexuelle.

L’éditeur et candidat aux élections municipales Michel Brûlé fait l’objet d’allégations d’agression sexuelle envers deux auteures, qui affirment avoir subi des attouchements alors qu’elles le rencontraient pour lui présenter leurs projets d’écriture.

Ces femmes, l’une à Montréal, l’autre à Québec, ont toutes deux porté plainte à la police contre M. Brûlé hier, dans la foulée des dénonciations qui ont commencé plus tôt cette semaine. Leurs allégations s’ajoutent à plusieurs dénonciations anonymes faites par d’anciens employés des éditions Les Intouchables, qui ont soutenu que M. Brûlé a, à plusieurs reprises, embrassé ou tenté d’embrasser des femmes contre leur gré sur les lieux de travail.

Il aurait aussi montré plusieurs fois des photos de son pénis et parlé ouvertement des prostituées avec lesquelles il couchait.

M. Brûlé a nié en bloc ces allégations hier. « Il y a de l’acharnement contre moi. Les faits sont distorsionnés et montés en épingle », s’est-il défendu lors d’un entretien téléphonique.

« Je faisais des blagues salaces au bureau, ça c’est vrai, mais je n’ai jamais agressé une femme, jamais », a insisté M. Brûlé, actuellement candidat à la mairie de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal.

Annie Dubé, une Montréalaise qui a porté plainte à la ligne spéciale mise en place par le SVPM, affirme avoir été « prise dans un piège professionnel » en août 2006 lorsque M. Brûlé l’a invitée dans son bar du Plateau Mont-Royal, le Planète Libre, pour discuter d’un projet de poésie anglophone sur lequel elle travaillait.

« Il a commencé à me dire que s’il devait investir des milliers de dollars en moi, je devais être à la hauteur et savoir répondre aux médias. Il m’a ensuite tenu des propos déplacés, me disant que je ne suis pas un mannequin. J’avais l’impression qu’il me testait. J’ai été très tolérante », affirme Mme Dubé.

Les choses ont ensuite dérapé. « C’est sorti de nulle part : il s’est mis à me parler d’une histoire de sodomie qu’il avait eue avec une prostituée. J’ai essayé de ramener la conversation sur le sujet de la littérature. Il m’a alors embrassée. J’ai figé. Je ne voulais pas réagir négativement, j’avais peur de compromettre mon projet. Il a alors mis sa main dans mes culottes, raconte Mme Dubé. Il m’a dit de mettre ma main dans les siennes et je l’ai fait. J’étais dégoûtée. Je suis partie. »

« Il a clairement abusé de son autorité. Je m’étais préparée comme si c’était une entrevue professionnelle. J’avais 24 ans, j’étais pleine de rêves, et j’ai toléré l’intolérable. J’ai perdu confiance en l’industrie de l’édition par la suite. Il m’a dégradée au point de me faire perdre confiance en moi », dit Mme Dubé.

Elle explique ne pas avoir porté plainte à l’époque à cause d’une expérience négative vécue six mois plus tôt : « J’avais porté plainte pour un autre événement. La police avait pris mon témoignage, mais les procureurs avaient rejeté la plainte. Ça m’avait passablement découragée », dit Mme Dubé.

Michel Brûlé dit n’avoir aucun souvenir de Mme Dubé et de cette rencontre. « Je n’ai rien à dire », a-t-il déclaré au téléphone.

« J’étais tétanisée »

Jill Côté, l’auteure qui a porté plainte à la police de Québec, affirme quant à elle avoir pris un rendez-vous professionnel avec Michel Brûlé en mars 2014, aux bureaux des Intouchables à Québec, qui lui servent aussi de résidence. « J’ai demandé un rendez-vous le matin, mais il l’a déplacé en après-midi, puis en soirée », raconte Mme Côté.

« Quand il a ouvert la porte, il était en chemise à moitié déboutonnée. Tout de suite j’ai senti qu’il y avait quelque chose d’anormal », dit-elle.

Après quelques minutes, M. Brûlé lui aurait offert à manger et à boire, puis aurait proposé de prendre une douche. « J’étais tétanisée. Il était sur une chaise, il a fini de déboutonner sa chemise, et il a roulé à toute vitesse vers moi. Il m’a touché les seins, le vagin, et il a réussi à détacher un bouton de mon veston. J’étais juste à côté d’un escalier que j’ai failli débouler. »

« Quand j’ai dit que je voulais partir, il a refusé de me donner mon manteau. Je suis sortie en pieds de bas, je hurlais, je pleurais. »

— Jill Côté

« Juste avant que je m’enfuie, il m’a dit : “Je vais te publier, Jill.” Je me suis sentie coupable. J’ai passé les deux années suivantes sans être capable d’écrire. Je me suis questionnée en long et en large sur le monde de l’édition. J’ai cette histoire sur le cœur depuis trois ans », affirme Mme Côté, qui dit se sentir libérée depuis qu’elle a porté plainte à la police.

Michel Brûlé qualifie les propos de Mme Côté de « délire total ». « C’est le bout du bout. J’ai vérifié dans mon agenda, et à la date et à l’heure à laquelle notre rencontre a eu lieu, il y avait des employés dans mon bureau. Si elle avait hurlé comme elle le prétend, quelqu’un l’aurait entendue », soutient-il.

Inconduite sexuelle au bureau

Sara-Emmanuelle Duchesne, ancienne employée pigiste du journal électronique Mir, qu’éditait M. Brûlé, affirme pour sa part que ce dernier a essayé de l’embrasser de force lors d’une rencontre dans ses bureaux de la rue Saint-Denis, en 2006.

« Un moment on parlait affaires, et la seconde suivante, il me coinçait sur le bord d’un mur et il essayait de m’embrasser. J’ai dit : “Non, non, non”, mais il continuait à rire, et deux autres employés qui ont vu la scène ont ri aussi », affirme-t-elle.

Questionné hier à ce sujet, Michel Brûlé a dit ne voir « pas grand-chose de répréhensible là-dedans ».

« J’ai déjà essayé d’embrasser une fille, mais il faut comprendre qu’il y avait un climat festif au bureau. Je n’ai jamais été un harceleur pour autant. »

— Michel Brûlé

Trois anciens employés ont affirmé sous le couvert de l’anonymat que des gestes semblables étaient fréquents. « On riait, mais c’étaient des rires de malaise. C’était lui le boss, il signait les chèques. Je lui ai dit à quelques reprises que ça ne se faisait pas. Mais quand tu faisais ça, le lendemain, tu risquais d’être le souffre-douleur », soutient un ex-employé, qui refuse d’être nommé, mais qui dit être prêt à aller témoigner en cour si on lui demande de le faire.

« C’était une de ses marques de commerce. Il ne demandait pas la permission et essayait d’embrasser les femmes en les prenant par les épaules, un peu par-derrière. Ça tombait sur la joue, sur la bouche ou sur le cou. Il le faisait souvent, affirme une autre employée. Il allait très souvent en Europe de l’Est et ne cachait pas que c’était pour aller voir des prostituées. Il a déjà voulu me montrer des vidéos de ses ébats et j’ai refusé. »

« J’ai vu des scènes de montrage de pénis. Il me disait souvent qu’il prenait des prostituées et se vantait d’aller dans les salons de massage. Il était exubérant, mais il y avait une certaine tristesse dans ce qu’il disait. Comme s’il savait que son comportement était anormal », croit un autre ancien employé.

« C’est un danger public »

Yannick Lacoste, ancien propriétaire des éditions Litté, qui a publié des livres en coédition avec Michel Brûlé, s’est dit « scandalisé » de le voir ainsi tout nier en bloc et banaliser ses gestes. M. Lacoste affirme que Michel Brûlé lui a, à lui aussi, montré une photo de son pénis « dans un contexte professionnel, qui n’avait rien à voir avec la vie privée », et parlé de ses relations avec des prostituées.

« Tout le monde le savait dans le milieu de l’édition. Cette omerta n’est pas normale. Il faut que Michel en prenne conscience et reconnaisse qu’il a un problème. Avec lui, tout tourne autour du sexe. Il n’y a pas de respect de l’autre. C’est un danger public », dénonce M. Lacoste.

Selon M. Brûlé, ces faits sont néanmoins « très banals ». « Il y avait une ambiance très festive au bureau. Une maison d’édition, ce n’est pas un couvent. On publiait des textes érotiques », s’est défendu l’éditeur. « Je me demande si [Sara-Emmanuelle Duchesne] ne travaille pas pour Projet Montréal », a ajouté M. Brûlé, laissant entendre que ses déclarations visaient uniquement à faire capoter sa campagne électorale municipale.

La main sur un sein en pleine émission de radio

Complice de Gilles Parent sur les ondes de 2001 à 2013, Catherine Bachand a avoué hier qu’elle avait aussi été la cible d’un geste déplacé de la part de l’animateur qui fait l’objet d’allégations d’inconduite sexuelle. L’animatrice a fait ces révélations dans un témoignage empreint d’émotion à l’émission Dalair le matin, sur les ondes de WKND 91,9. L’événement, le seul où Parent aurait eu un comportement déplacé envers elle durant leur collaboration, serait survenu en 2005 alors qu’elle était enceinte de son premier enfant. Après avoir affirmé que ça bougeait dans son ventre, Parent lui aurait demandé s’il pouvait toucher. « J’ai accepté, et c’est à ce moment qu’il se penche par-dessus la table qui nous séparait et qu’il me prend un sein de façon totalement délibérée. Je l’ai immédiatement, en ondes, traité de gros cr… de cave. Il est parti à rire et l’émission s’est poursuivie comme si de rien n’était. J’ai serré les dents et j’ai continué de faire mon travail », a raconté Catherine Bachand. « J’habitais Stoneham à l’époque et je me rappelle très bien avoir pleuré tout le long du retour à la maison », a-t-elle ajouté.

— Ian Bussières, Le Soleil

Scandales sexuels

Déferlement de dénonciations

Les dénonciateurs d’inconduites sexuelles se manifestent par dizaines depuis trois jours, que ce soit auprès des policiers, des organismes d’aide ou d’une comédienne ayant eu l’idée de mettre les victimes d’un même agresseur en contact les unes avec les autres.

En milieu de journée, hier, pas moins de 80 plaintes avaient été déposées au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Quatre sergents-détectives et un lieutenant-détective de la section des crimes majeurs reçoivent actuellement les déclarations des victimes potentielles. Et le nombre d’enquêteurs pourrait croître dans les prochains jours.

« On attend des effectifs incessamment. On va regarder l’ampleur du phénomène et on va s’ajuster. C’est dans l’air, ça vient de commencer, on va évaluer cela la semaine prochaine », a déclaré à La Presse le commandant des crimes majeurs du SPVM, Vincent Rozon.

Les organismes d’aide aux victimes sont eux aussi très sollicités. 

« Depuis trois jours, nos quatre lignes téléphoniques sont constamment occupées. Ça ne dérougit pas. »

— Samia Belouchi, intervenante au Groupe d’aide et d’information sur le harcèlement sexuel au travail

En temps normal, le Groupe d’aide reçoit environ une vingtaine d’appels par jour.

« Chaque fois que de tels scandales éclatent sur la place publique, le nombre de demandes d’aide monte en flèche. Après l’affaire Jutra, notre volume d’appel avait triplé », a indiqué Sébastien Richard, président du Centre de ressources et d’intervention pour hommes abusés sexuellement dans leur enfance (CRIPHASE) sur les ondes du réseau TVA.

« L’union fait la force »

Environ 75 personnes se sont par ailleurs tournées vers la comédienne et coach de jeu Félixe Ross, qui a proposé d’aider les victimes d’un même agresseur à entrer en contact les unes avec les autres. « Si vous faites partie des #MeToo… que vous avez été abusées par un gros producteur de Montréal… ou par qq [quelqu'un] de connu… Écrivez-moi en privé […] a-t-elle écrit sur son compte Facebook. Je ne ferai que le relais et cela ne vous engage à rien. Juste à ne plus vivre ça toute seule et pouvoir en parler… car ne l’oublions pas : l’union fait la force. »

L’afflux de témoignages a été tel que l’Union des artistes lui a offert son aide. « Les messages entrent sans arrêt : sur Facebook, par courriel, par textos, a expliqué à La Presse la comédienne, qui ne se s’attendait pas à pareil déferlement. J’ai ouvert les valves, mais je n’arrive pas à gérer l’eau qui entre, je manque de temps. Et les témoignages sont bouleversants. »

« À la base, mon but était de trouver les victimes [de l’ancien patron de Juste pour rire, Gilbert] Rozon. Après, ça a été naïvement de dire aux victimes…vous n’êtes pas seules. De me donner les noms des agresseurs et de mettre les victimes du même agresseur en contact. Mais là…ma ligne est en feu…et moi je suis vidée », précise-t-elle sur Facebook.

Les ressources

Si vous avez été victime d’agression ou de harcèlement, voici des ressources gratuites et confidentielles : 

Ligne temporaire de dénonciation mise en place au SPVM

514 280-2079

CAVAC (Centre d’aide aux victimes d’actes criminels)

1-866 LE CAVAC

1-866-532-2822

CALACS (Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel)

1-877-717-5252

Groupe d’aide et d’information sur le harcèlement sexuel au travail

514 526-0789

Ligne-ressource provinciale, bilingue, sans frais, en tout temps

1-888-933-9007

CRIPHASE (organisme pour hommes)

514 529-5567

Scandales sexuels

« Des gens développent un sentiment d’invulnérabilité »

Comment comprendre certains comportements d’agresseurs et de victimes ? À la fin de cette semaine tourmentée, et sans parler de cas précis, la présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, Christine Grou, fait le point.

Qu’est-ce qui explique, au-delà de la peur de perdre son emploi ou un contrat, que des victimes d’agressions ou de harcèlement sexuel dans un contexte professionnel gardent le silence ?

Pour certaines personnes, le silence est la solution la plus adéquate et la mieux adaptée psychiquement. Et si on contraint cette personne à parler ou à dénoncer, ça équivaut parfois à la violenter une nouvelle fois. Plusieurs motivations poussent les gens à ne pas parler. Dans un grand nombre de cas, les personnes connaissent leur agresseur et le connaissent depuis longtemps. Parfois, c’est pour protéger son entourage. Parfois, c’est parce qu’on peut éprouver un sentiment d’ambivalence face à l’agresseur.

Dans certains cas, la personne souhaiterait que l’agresseur reconnaisse le tort qu’il a causé, mais sans nécessairement le voir crucifié sur la place publique. Pour d’autres, c’est la meilleure façon de composer avec le trauma. Des gens ont besoin de prendre une distance. 

On a beaucoup dit que certaines victimes éprouvaient de la honte. Dans certains cas, elles avaient suivi l’agresseur dans sa chambre ou, à l’inverse, l’avaient invité chez elles. Est-ce qu’un tel contexte favorise un sentiment de culpabilité ? 

Étonnamment, la honte n’est pas tributaire du contexte. Généralement, c’est un sentiment qui est là même quand la victime ne connaissait pas son agresseur et même quand elle se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment. Elle sent que quelque chose n’est pas « racontable ». 

Le développement d’une culture de non-tolérance et la possibilité pour les gens de pouvoir dénoncer sans préjudice est extrêmement important. Mais il ne faudrait pas en venir à blâmer ceux qui ne le font pas, car ils ont des raisons de ne pas le faire.

Comment avoir une réaction d’empathie pour quelqu’un qui avoue avoir été victime d’inconduite ou d’agression sexuelle dans un contexte de travail ? 

Quand on ne sait pas quoi faire, la première chose à se dire est que l’on doit être là pour cette personne. Le soutien psychosocial est important. Maintenant, comment être là ? La meilleure façon de faire est de demander à l’autre : qu’est-ce qui pourrait t’aider ? Il faut faire attention de ne pas aider l’autre comme nous, nous voudrions être aidés. Parce que nous ne sommes pas dans la même situation. C’est une erreur à ne pas faire : vouloir aider à tout prix et être convaincu de la bonne façon de le faire.

On peut simplement lui dire qu’on est là, que c’est dur, ce qu’elle a vécu. […] C’est possible qu’elle ait envie juste d’aller prendre un verre, sans en parler. La personne peut ne pas avoir envie d’en parler, sans vouloir s’isoler. 

Qu’est-ce qui peut expliquer qu’une personne en position d’autorité en vienne à abuser de son pouvoir, jusqu’à avoir un comportement sexuel déviant ?

Des gens développent, dans un certain contexte, un sentiment d’invulnérabilité, de toute-puissance. Greffé à un profil séducteur, charmeur, cela peut mettre les autres en position de vulnérabilité.

Lorsque quelqu’un cause du tort à autrui ou a un comportement inacceptable dans le cadre du travail parce qu’il est en position d’autorité, on parle de personnes ayant des carences affectives importantes ou des pathologies narcissiques. Ce sont des gens brillants, qui accèdent à des postes importants. Des fois, on dit que les gens d’exception sont aussi des gens d’excès. Ce sont des gens qui, sur le plan relationnel, peuvent développer des difficultés d’autocontrôle qui seront exacerbées par toutes sortes de choses. Ils peuvent devenir très intrusifs, briser certaines limites, sans même s’en rendre compte et être assez insensibles à ce que l’autre vit. Les autres sont utilisés, mais il y a un certain vide émotif par rapport à ça. 

Est-ce que toute personne en position d’autorité peut développer des sentiments de supériorité susceptibles de devenir problématiques ?

Non. Tous les gens qui sont en position d’autorité ne sont pas à risque de développer ces comportements-là. Mais quand on est en position d’autorité, avec une structure de personnalité qui prédispose à ce genre d’inconduite ou encore un problème de santé mentale ou un problème de personnalité qui se greffe à un problème de consommation, c’est un ensemble de facteurs qui peuvent créer une zone de risque. Si, de surcroît, il y a une omerta dans le milieu, tous les facteurs de risque sont là. 

Les cas mis au jour cette semaine impliquent de nombreuses victimes. Des dizaines. Comment expliquer que ces personnes agissent en toute impunité jusqu’à ce qu’elles se fassent prendre ? 

Quand on a une personnalité où l’autre est un peu à notre service, quand quelqu’un se permet d’être invasif, intrusif, c’est un pattern de fonctionnement qui fait partie d’une structure. Ça ne va pas se déployer juste une fois et ça va se répéter dans différentes sphères. Ça ne sera pas toujours dans une sphère sexuelle, l’abus peut avoir bien des formes. Plus on fait une action, moins il y a de conséquences, plus on va continuer à faire l’action.

Deux choses font qu’on réprime une action : des mécanismes de contrôle intérieurs qui font que cette action est inadmissible et des mécanismes de contrôle extérieurs qui vont faire que l’on n’agit pas comme ça. Idéalement, il faut avoir les deux. Il faut avoir une culture d’intolérance aux inconduites, mais il faut soi-même avoir le sens de l’autre, le sens de l’empathie. […] Quand on n’a ni l’un ni l’autre, c’est problématique. Et dans ce cas, les comportements peuvent se répéter. 

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