Indépendantisme, fédéralisme ou « fédéréalisme »
Je suis content de revenir dans les pages de La Presse+ en cette période électorale qui se déroule sur fond de « fédéréalisme ». Pour moi, le « fédéréalisme », c’est cette nouvelle façon d’éviter les mots comme indépendance, souveraineté et même autonomisme dans le débat politique. C’est cette nouvelle croyance qui demande d’enterrer la hache de guerre et surtout de ne pas dépoussiérer de vieilles chicanes qu’on dit désormais bien fossilisées.
Les « fédéréalistes » reprochent aux fédéralistes de ne pas exprimer assez fort leurs besoins dans le couple.
Mais qu’est-ce qui arrive quand le divorce n’est plus envisageable et que malgré les salves de frustration, le même partenaire refuse d’écouter ? Ce serait bien d’entendre M. Legault sur cette question.
Depuis bien longtemps, les élections québécoises se déroulent sur une dualité entre les fédéralistes et indépendantistes. Mais ce rendez-vous de 2018 marque un tournant avec l’arrivée de la CAQ qui, selon ma blonde, est un parti qui se réclame d’un certain fédéréalisme. Le choix de M. Lisée de mettre le couvercle sur l’indépendance dans un premier mandat relève aussi de cette nouvelle vision qui semble pourtant favoriser les troupes de M. Legault.
Du moins, si la tendance se maintient, car le Parti libéral du Québec est un lion dont il ne faut jamais sous-estimer la combativité. « Tant qu’il n’est pas minuit, le lion ne dit pas qu’il dort sans souper », ainsi dit la sagesse africaine. C’est ce que disent aussi tous les partisans de cette équipe qui tire de l’arrière par quelques points jusqu’à la dernière journée de campagne. Mais c’est ce que disent également année après année les partisans du Canadien de Montréal, malgré leur jeûne forcé de bientôt 25 ans où tout ce qu’ils ont eu à se mettre sous la dent, ce sont des Molson à 15 $ la canette.
Cette dernière image du Canadien ressemble drôlement à ce que vit le Parti québécois depuis une quinzaine d’années. Une disette qui a mené à la conversion permanente ou temporaire de beaucoup d’indépendantistes désabusés ou découragés en fédéréalistes qui prônent désormais l’enterrement de la hache de guerre pour mieux se consacrer à la défense du Québec à l’intérieur du Canada. Une nouvelle approche du fédéralisme qui comporte pourtant une certaine part d’utopie.
À l’heure où j’écris ces lignes, les producteurs de lait du Québec attendent la délivrance. Les renégociations de l’accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, qui se sont invitées dans la campagne électorale, risquent de rappeler aux fédéréalistes qu’on a beau vouloir changer le système de l’intérieur, sur la colline parlementaire canadienne, Bay Street à Toronto a bien plus de voix que la rue Saint-Jacques à Montréal.
Et M. Couillard a beau menacer le premier ministre Trudeau de représailles, il ne se passera absolument rien advenant le sacrifice des producteurs de lait du Québec. Rappelons que M. Couillard est si libre-échangiste qu’il a souvent associé toute salve contre ces accords internationaux à de la peur et de la fermeture. À la mi-octobre 2016, lorsque la Wallonie s’inquiétait pour son agriculture et le mode de règlement des litiges pendant les négociations sur le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, M. Couillard leur avait intimé amicalement « de faire le choix de l’ouverture ».
Gageons aussi qu’advenant l’ouverture d’une autre brèche dans la gestion de l’offre, aucun des députés québécois aussi invisibles qu’inaudibles du PLC ne sortira dans les médias pour dénoncer la partisanerie de son gouvernement. Que voulez-vous, sur le plan économique, c’est aussi ça le Canada avec lequel les fédéréalistes devront composer !
Pour ce qui est de la protection de la langue et autres velléités culturelles, la route sera tout aussi longue et difficile pour empêcher la bilinguisation du Québec. Aux sceptiques qui assimilent désormais la défense de la langue à un manque d’ouverture, la campagne électorale du Nouveau-Brunswick est une belle image miroir de ce à quoi ressemble le bilinguisme au Canada. Là-bas, non seulement le débat en français semble impossible, mais il existe même un chef de parti qui demande ouvertement de faire du Nouveau-Brunswick une province unilingue anglophone pour économiser l’argent investi dans les services aux francophones. Où est passée cette ouverture à la diversité qu’on dit être le socle des sacro-saintes valeurs canadiennes, si précieuses au premier ministre Trudeau ? Pourquoi n’a-t-on pas droit à une levée de boucliers d’un océan à l’autre pour dénoncer cette francophobie crasse ?
Qu’arriverait-il si un politicien québécois demandait d’abolir les services à la minorité anglophone de Montréal pour sauver de l’argent ?
Je vous laisse deviner la violence des titres dans les éditoriaux de l’anglophonie canadienne.
Les fédéréalistes savent que le Canada est une nation qui vénère la diversité surtout quand elle reste folklorique et non revendicatrice. Qu’elle ne parle jamais de peuples fondateurs, d’égalité entre francophones, autochtones et anglophones, ou de dualité linguistique, d’autodétermination. Bref, ils savent que le Canada aime la diversité qui n’a pas la prétention d’ébranler les colonnes principales du temple. Et c’est un peu ce que lui offre cette campagne électorale québécoise sans vagues ni tempête et autres revendications constitutionnelles. Et si le fédéréalisme à la mode était le somnifère dont le Canada avait besoin pour dormir tranquille ? Bon dodo, M. Trudeau !