Indispensables libraires
Catégorie roman hors Québec : Station Eleven
Ses trois premiers romans ayant été publiés par des éditeurs indépendants, donc « sans pouvoir de marketing important et dans l’indifférence des médias », Emily St. John Mandel a longtemps eu l’impression qu’« à part les gens du milieu de l’édition, les seules personnes qui se souciaient de [son] travail étaient les libraires ».
« C’est pour cela que ce prix signifie beaucoup pour moi », a indiqué à La Presse la romancière canadienne installée à New York qui, hier, a reçu le Prix des libraires du Québec dans la catégorie roman hors Québec pour Station Eleven (Alto).
Ce roman inclassable, son quatrième, suit une troupe itinérante qui va porter musique et théâtre d’une colonie à l’autre quelque 20 ans après qu’une pandémie a anéanti une grande partie de l’humanité.
Et si ce livre-ci a attiré l’attention des médias, le travail d’Emily St. John Mandel a, dès le départ, retenu celle des libraires. « J’ai eu la chance d’en rencontrer dans sept pays, et j’en suis venue à la conclusion qu’ils sont essentiels pour préserver une vie culturelle et intellectuelle dans leur ville. »
« Jamais Amazon, avec ses algorithmes, ne pourra remplacer [les libraires]. »
— Emily St. John Mandel
C’est donc avec le sourire que la jeune femme est de retour à Montréal, qu’elle aime visiter… même si la métropole n’avait pas été très tendre avec elle quand elle y a séjourné en 2002. « Avec le recul, je vois que j’étais très naïve de penser pouvoir y vivre en ne parlant qu’une des deux langues officielles du Canada », dit-elle en rigolant.
Elle vivait, à l’époque, à quelques rues du Lion d’or – où se tenait la cérémonie de remise des prix d’hier – et travaillait dans un commerce au coin de Sainte-Catherine et de McGill College. À partir de 7 h chaque matin, elle déchargeait le camion de livraison. C’était l’hiver. Le temps était glacial. « Mais une chose positive est arrivée : je me suis mise à l’écriture de ce qui deviendrait mon premier roman, Dernière nuit à Montréal. »
C’est avec Station Eleven qu’elle a commencé à vivre de sa plume. Une adaptation pour le cinéma est aussi en cours (« les choses bougent lentement »), et elle avait commencé à écrire un scénario de roman graphique campé dans cet univers.
« Mais j’ai mis ça de côté pour l’instant, j’ai l’impression qu’il y a trop de Station Eleven dans ma vie ! » Là-dessus, elle éclate de rire. Parce que depuis trois ans, ce roman la fait voyager : « Je reviens tout juste de France, j’y retourne en septembre. » Parce qu’il la ramène également à Montréal, par une porte plus chaleureuse que la première fois.
Pas pour rien si, depuis un moment, elle s’est mise à l’étude du français. « À présent, je peux commander un café avec beaucoup d’assurance », conclut en riant celle qui, avec ce roman défiant les étiquettes (Shakespeare y côtoie l’apocalypse sur un air de Star Trek), vit une aventure « extraordinaire, formidable et, honnêtement, surréaliste ».