Cuisine

Ragoût rassembleur

Il y a de ces plats à Noël que l’on souhaite retrouver sur la table année après année. Le ragoût de boulettes et de pattes de cochon fait partie de ces classiques. S’il rime avec tradition, rien ne l’empêche de changer avec les époques. Quand deux générations cuisinent le même ragoût.

Un dossier de Nathaëlle Morissette et d’olivier pontbriand

Cuisine

Noël des générations

Anne Desjardins et son fils Emmanuel ont travaillé ensemble pendant 12 ans dans la cuisine du restaurant L’Eau à la bouche dans les Laurentides, avant que leur chemin professionnel ne se sépare. Ils continuent toutefois de cuisiner côte à côte dans les rassemblements familiaux.

L’été dernier, lors du mariage de ses parents, c’est Emmanuel qui portait la toque à l’occasion du repas nuptial. Complices, ces deux compagnons de route ont curieusement encore beaucoup de mal à partager la même cuisine sans se piler sur les pieds.

À l’approche du temps des Fêtes, ce sympathique tandem a tout de même accepté de se réunir dans la maison ancestrale d’Anne Desjardins à Val-David et de s’installer derrière le même comptoir, elle juché sur son banc pour gagner quelques centimètres, lui tentant de prendre le moins d’espace possible dans la cuisine de sa mère conçue pour un seul chef, afin de nous préparer un ragoût de boulettes. Chacun y est toutefois allé de sa propre version. Méthode de travail, gestion du temps et de l’espace, sel, gras et quantités sont autant d’éléments qui distinguent ces deux générations de cuisiniers, parfois en confrontation, mais toujours avec le sourire.

Le gras

Le ragoût de boulettes et de pattes de cochon ne représente sans doute pas le plat par excellence des gens qui font attention à leur régime. Si la chef n’a pas hésité à se coller à la version plus traditionnelle du plat – avec la patte de cochon –, son fils a choisi une option plus « légère » en procédant à une cuisson sous vide et en mettant de côté la patte au profit d’un osso buco, une partie beaucoup moins grasse.

Anne Desjardins : « La nouvelle génération n’aime pas le gras. La patte de cochon, c’est très gras. Aujourd’hui, on fait beaucoup de substitutions. Je fais partie de la génération qui a le souvenir du goût d’un vrai ragoût de boulettes. »

Emmanuel Desjardins : « Je suis plus sensible par rapport à l’utilisation des gras. Pour la recette, j’ai utilisé de l’huile d’olive. Je n’ai pas pris de beurre. Je considère que le traitement des gras se fait au détriment des saveurs. Mais je ne veux pas que ça baigne dans le beurre. »

Anne : « Moi, j’ai gardé le gras de ma viande pour ma sauce. »

Emmanuel : « À cause de la cuisson sous vide, il y a beaucoup moins de gras. »

La technique

Ils ont beau avoir travaillé ensemble, la mère et son fils n’ont assurément pas la même façon de cuisiner. Dans le cas du ragoût, par exemple, Anne Desjardins a fait griller de la farine, une technique qui permet d’avoir le « goût du ragoût ». Son fils, lui, a préféré utiliser la fécule de maïs comme liant justement parce qu’il n’aime pas le goût sucré de la farine brûlée. Lorsqu’elle prépare une sauce, la chef mélange tous ses ingrédients en même temps, alors que fiston suit une séquence logique.

Emmanuel : « On a des signatures qui sont semblables. C’est juste dans le traitement que l’on diffère. »

Anne : « Lui, il est plus habile que moi. C’est un maître du couteau. Il a fait l’école d’hôtellerie. »

Emmanuel : « Elle a beaucoup plus de passion et moi, j’ai beaucoup plus de technique. »

Anne : « Je cuisine à l’instinct. C’est comme des notes de musique. »

Emmanuel : « À l’inverse, moi, je n’ai pas ça. Je n’entends pas la musique. »

La main à la pâte

Lorsqu’est venu le temps de façonner les boulettes, Anne Desjardins a plongé rapidement les mains dans la viande crue. Son fils a hésité plus longtemps.

Emmanuel : « Il manque de chapelure dans ta patente. »

Anne : « C’est maman qui va se salir les mains, évidemment. Les jeunes, eux, sont habitués de mettre des gants. »

Emmanuel : « Sinon, tu es toujours en train de te laver les mains. »

Anne : « C’est moins salissant de cuisiner de l’osso buco [que de la patte de cochon]. C’est une partie qui est dégraissée. »

La présentation

Pendant qu'Emmanuel Desjardins mettait la touche finale à son plat en laissant tomber quelques pousses, sa mère trouvait qu’il en ajoutait un peu trop.

Emmanuel : « Des fois, Anne trouve que je m’enfarge dans les fleurs du tapis. »

Anne : « Je fais partie de ces cuisiniers qui calculent leurs gestes en cuisine. À un moment donné, les gens veulent manger. »

Le rapport à la nourriture

Anne : « Emmanuel a été élevé dans les odeurs de fond de veau. »

Emmanuel : « Je savais à quel moment on était dans la journée seulement avec les odeurs de la cuisine. Le matin, c’était les odeurs de fond de cuisson et dans l’après-midi, c’était le vinaigre des sauces et les effluves du pain chaud. Et pourtant, je ne mangeais que du yogourt, du fromage, du bœuf haché et du bacon. »

Anne : « Il a peut-être été trop dedans. Moi, ma mère ne cuisinait pas. C’est ma grand-mère qui cuisinait. Mes souvenirs culinaires sont avec ma grand-mère. »

Recette traditionnelle

Ragoût de boulettes et pattes de porc

Par Anne Desjardins

Pour 8 personnes

Une recette un peu longuette qui se cuisine en trois temps. Les pattes de porc, les boulettes et la sauce du ragoût. Avantages : peut se faire à l’avance, se cuisine séparément, se congèle très bien.

Étape 1

Cuisson des pattes de porc

À préparer au moins 4 h avant, idéalement 1 jour avant, le bouillon de cuisson servira pour faire la sauce.

Ingrédients

4 kg de pattes de porc avec la couenne

2 c. à soupe d’huile de canola

4 oignons jaunes tranchés

4 c. à soupe d’ail haché

1/2 c. à thé de sel

Poivre noir au goût

1/4 de c. à thé de graines de céleri

1 anis étoilé

3 clous de girofle

3-4 grains de piment de la Jamaïque ou 1/4 c. à thé de piment de la Jamaïque moulu

1 bâton de cannelle

2-3 c. à soupe de vinaigre de cidre

Eau en quantité suffisante pour couvrir le tout

Préparation

1. Dans une grande casserole, sur feu moyen, caraméliser les oignons dans l’huile de canola, y ajouter tous les autres ingrédients, puis les pattes de porc, couvrir d’eau, pas plus.

2. Porter à ébullition, puis réduire le feu, couvrir et laisser mijoter environ 2 h 30.

3. Retirer les pattes de porc du bouillon, passer celui-ci au chinois (tamis), réfrigérer le bouillon.

4. Laisser tiédir les pattes de porc, désosser et récupérer les morceaux de chair, réserver dans un autre contenant, réfrigérer.

Étape 2 

Les boulettes

Donne 24 boulettes

Ingrédients

500 g de porc maigre haché

1 échalote française ou 1 petit oignon haché finement

1 c. à thé d'ail haché

1 c. à soupe de persil

1/4 de c. à thé de moutarde sèche

1/4 de c. à thé piment de la Jamaïque moulu

1 c. à thé de sel

1 œuf

60 ml de lait

4 c. à soupe de chapelure

Préparation

1. Préchauffer le four à 180 °C (350 F°).

2. Déposer dans un bol le lait et l’œuf, battre légèrement avec une fourchette, y mélanger la chapelure et tous les autres ingrédients sauf le porc. Laisser reposer 5 minutes, puis y amalgamer le porc haché.

3. Former 24 boulettes avec les mains huilées, déposer sur une tôle à biscuits recouverte de papier parchemin.

4. Cuire dans le four environ 15 minutes. Retirer du four, réserver, réfrigérer les boulettes.

Étape 3 

La sauce du ragoût

Ingrédients

3/4 de tasse de farine tout usage

Bouillon des pattes de porc, dégraissé.

Préparation

1. Chauffer la farine à feu doux, dans un poêlon à fond épais (en fonte). Remuer constamment avec une cuillère en bois, jusqu’à l’obtention d’une couleur caramel clair. Réserver. Plus la farine est foncée, plus son pouvoir épaississant disparaît, une partie de l’amidon se convertit en dextrines.

2. Porter le bouillon de porc dégraissé à ébullition, ajouter la farine grillée avec un fouet ou un minimélangeur sur pied, laisser mijoter 15 minutes. Goûter et rectifier l’assaisonnement s’il le faut.

3. À cette étape, on peut y ajouter les boulettes et les morceaux de chair de pattes de porc et laisser mijoter encore 15 minutes pour que les saveurs soient bien liées.

Accompagnements

Pommes de terre « en riz »

Betteraves jaunes et rouges

Recette réinventée

Osso buco et boulettes de porc

Par Emmanuel Desjardins

Pour 8 personnes

Voici une recette à cuisiner sous vide, une méthode qui garde les saveurs et permet de la faire à l’avance. Dans ce type de cuisson, les assaisonnements sont dosés au minimum, car la cuisson sous vide concentre les saveurs.

Étape 1 

Tranches de jarret de porc sous vide

Préparé à l’avance, le bouillon de cuisson servira pour la cuisson des boulettes et la sauce.

Ingrédients

6 tranches de jarret de porc (coupe osso buco)

2 c. à soupe d’huile de canola

2 oignons jaunes tranchés

2 c. à soupe d’ail haché

1/8 c. à thé de sel

Poivre rose au goût

1 anis étoilé

1 clou de girofle

1 grain de piments de la Jamaïque

1/4 de bâton de cannelle

1 c. à soupe de vinaigre de cidre

200 ml de bouillon de viande

2 sacs pour cuisson sous vide (ou Ziploc épais)

1 thermoplongeur (ou un thermomètre de cuisson)

Préparation

1. Dans une casserole, verser l’huile de canola. Sur feu moyen, saisir de chaque côté les six tranches de jarret de porc, puis les insérer dans les deux sacs sous vide.

2. Ajouter dans la casserole les oignons tranchés, faire brunir, puis ajouter l’ail, le sel et les épices.

3. Déglacer avec le vinaigre, verser le bouillon, bien gratter le fond de la casserole, laisser réduire de moitié, ajouter les ingrédients dans chaque sac sous vide, sceller.

4. Déposer ceux-ci dans le bassin d’eau avec agitateur et thermoplongeur, porter la température à 85 °C, cuire 8 heures (ou voici une méthode sans thermoplongeur : remplir une grande casserole d’eau, fixer un thermomètre, maintenir la température à 85 °C pendant 8 h).

5. Lorsque le temps est écoulé, plonger les sacs dans un récipient d’eau glacée pendant 30 minutes.

6. Retirer les tranches de jarret de porc, filtrer le bouillon dans une passoire, réfrigérer.

7. Récupérer les morceaux de chair de porc, réserver dans un autre contenant, réfrigérer.

Étape 2

Les boulettes

Donne 24 boulettes

Ingrédients

500 g de porc maigre haché

1 échalote française ou 1 petit oignon haché finement

1 c. à thé d’ail haché

1 c. à soupe de persil

1/4 de c. à thé de moutarde sèche

1/8 se c. à thé de piment de la Jamaïque moulu

1/2 c. à thé de sel

1 œuf

30 ml de lait

2 c. à soupe de chapelure

4 c. à soupe (60 ml) de bouillon dégraissé récupéré de la cuisson des jarrets (ou autre bouillon de viande)

2 sacs pour cuisson sous vide (ou Ziploc épais)

1 thermoplongeur (ou un thermomètre de cuisson)

Préparation

1. Dans un bol, déposer le lait et l’œuf, battre légèrement avec une fourchette, y ajouter la chapelure et tous les autres ingrédients sauf le porc, mélanger. Laisser reposer 5 minutes, puis y amalgamer le porc haché.

2. Former 24 boulettes avec les mains huilées, réserver sur une tôle à biscuits recouverte de papier parchemin.

3. Insérer les boulettes dans deux sacs sous vide, ajouter le bouillon.

4. Déposer ceux-ci dans le bassin d’eau avec agitateur et thermoplongeur, porter la température à 85 °C, cuire 3 heures (ou voici une méthode sans thermoplongeur : remplir une grande casserole d’eau, fixer un thermomètre, maintenir la température à 85 °C pendant 3 h).

5. Lorsque le temps est écoulé, plonger les sacs dans un récipient d’eau glacée pendant 30 minutes.

6. Retirer les boulettes du bouillon, réserver au frigo, passer le bouillon dans une passoire, réfrigérer.

Étape 3

La sauce du ragoût

Ingrédients

Bouillon des jarrets et des boulettes de porc, dégraissé.

2 c. à soupe de fécule de maïs délayée dans 2 c. à soupe d’eau froide

Préparation

1. Dans une casserole, verser le bouillon, porter à ébullition, et lier en y versant et fouettant doucement la fécule mélangée à l’eau, réduire la chaleur et laisser mijoter 2 minutes, rectifier l’assaisonnement s’il y a lieu.

2. Ajouter les boulettes et la chair des jarrets, laisser mijoter quelques minutes pour bien amalgamer les saveurs.

Accompagnements

Un sauté de pommes de terre grelots

Des feuilles de choux de Bruxelles.

Cuisine

La recette de nos grands-mères

Chaque année, le ragoût de boulettes et de pattes se retrouve sur la table de Suzanne Duchesneau à l’occasion de l’un de ses repas des Fêtes. Et pour prolonger le plaisir, la présidente provinciale du Cercle des fermières prépare son plat en grandes quantités, puis en congèle une partie. Elle en mange ainsi tout au long de l’hiver.

« C’est un plat réconfortant », note la dame de 73 ans. D’aussi loin qu’elle se souvienne, le ragoût a toujours fait partie de son menu. Sa mère en préparait aussi. Cette dernière le cuisinait toutefois uniquement avec les pattes de cochon, sans les boulettes. « On en mangeait pendant les Fêtes, mais aussi tout l’hiver », se rappelle-t-elle.

Et si sa recette diffère un peu de celle de sa maman, car elle ajoute du porc haché, Mme Duchesneau assure que le bouillon, épaissi avec de la farine grillée, a le goût de son enfance. D’ailleurs, bien que la plupart des ragoûts contiennent de la cannelle, la présidente du Cercle des fermières boude littéralement cette épice. « Ma mère n’aimait pas la cannelle, donc elle n’en mettait pas. Il faudrait que j’essaie un jour… »

Ceux qui souhaiteraient préparer le ragoût de Suzanne Duchesneau devront toutefois se résoudre à le mitonner à ses côtés, en prenant des notes, puisque celle-ci ne suit aucune recette… Pour s’inspirer, il y a toujours moyen de se rabattre sur celle publiée dans le livre Les recettes des fermières du Québec, paru en 1978.

Ragoût de pattes et de boulettes

Tirée du livre Les recettes des fermières du Québec

Ingrédients

2 pieds de porc ou plus

3 pintes d’eau

454 g de porc haché

5 c. à table de farine grillée

2 oignons

Sel, poivre, clou de girofle et cannelle

Préparation

1. Cuire les pieds de porc dans une grande marmite contenant 3 pintes d’eau, les oignons, le sel, le poivre, les épices, jusqu’à ce que la viande se détache de l’os. Désosser.

2. Couler le bouillon et le remettre avec la viande.

3. Former des boulettes avec le porc haché, de l’oignon, du sel, du poivre et des épices au goût.

4. Faire revenir les boulettes dans une poêle, les ajouter à la viande dans la marmite et continuer la cuisson jusqu’à ce qu’elle soit à point.

5. Ajouter la farine grillée délayée dans l’eau, une demi-heure avant de servir.

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