Vaccin contre la méningite

Québec paie deux fois plus cher que le Royaume-Uni

Le Québec a accepté de payer deux fois plus cher que le Royaume-Uni pour un nouveau vaccin contre la méningite, dont l’efficacité apparaissait incertaine.

La divulgation du prix payé par Québec – environ 80 $ la dose – a été obtenue de haute lutte par un bioéthicien, qui a dû traîner le ministère de la Santé et des Services sociaux et l’industrie pharmaceutique devant la Commission d’accès à l’information (CAI). Il a obtenu une décision qui devrait faire jurisprudence.

Le jeune chercheur, Jean-Christophe Bélisle-Pipon, et ses anciens collègues de l’Université de Montréal voulaient évaluer le bien-fondé d’une campagne de vaccination de masse contre les méningocoques du groupe B.

L’Institut national de santé publique (INSP) avait conclu que si on vaccinait les jeunes des trois régions québécoises les plus touchées avec le nouveau vaccin Bexsero, il faudrait qu’il soit « très abordable (de 20 à 30 $ par dose) » pour que l’intervention se révèle acceptable « dans la plupart des scénarios » – sauf celui d’une performance exceptionnelle.

« L’argumentaire d’une réduction du prix de vente du vaccin dans un contexte d’incertitude sur ses performances réelles est tout à fait justifiable », précisait l’organisme.

90 $

Le Ministère a finalement payé de trois à quatre fois plus cher (soit 90 $ pour les 8500 premières doses et 78 $ pour les 110 000 suivantes), révèle le contrat que la CAI lui a ordonné de remettre à M. Bélisle-Pipon et que La Presse a obtenu.

La campagne a toutefois eu lieu dans une seule région, le Saguenay–Lac-Saint-Jean, la plus durement frappée de toutes. Douze personnes infectées aux méningocoques y sont mortes entre 2000 et 2015, dont une fillette de 4 ans et un adolescent de 16 ans.

L’an dernier, une nouvelle campagne québécoise a été lancée dans une MRC de Chaudière-Appalaches. Et le fabricant du Bexsero n’a pas réduit son prix par rapport à celui payé au Saguenay–Lac-Saint-Jean en 2014, a précisé une porte-parole du Ministère en réponse aux questions de La Presse. « Le prix courant du Bexsero a augmenté depuis », a pour sa part écrit une porte-parole de la société pharmaceutique GlaxoSmithKline (GSK).

Meilleur prix au Royaume-Uni

Touché par d’autres cas tragiques à la même époque, le Royaume-Uni a préféré attendre avant de lancer une campagne nationale – vivement réclamée par la population dans une pétition affichant un nombre de signataires record. Il accusait le concepteur du Bexsero, Novartis et non GSK, de le tenir « en otage » avec ses prix exorbitants (restés confidentiels).

L’année suivante, Novartis a vendu sa division des vaccins à GSK, qui a rapidement réduit le prix de ce vaccin à 20 livres sterling (soit 36 $CAN) la dose, et le Royaume-Uni a plongé. Ce prix, dévoilé dans des médias londoniens, n’a jamais été confirmé par l’entreprise.

« Lors de la préparation pour la campagne en 2014, le [ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec] n’a jamais eu accès à l’information sur le prix d’achat du vaccin Bexsero au Royaume-Uni car cette information n’était pas partagée par ses autorités, qui la considéraient comme confidentielle. »

— Une porte-parole du Ministère dans un courriel

En ajoutant le Bexsero à son programme régulier de vaccination, le Royaume-Uni a sans doute bénéficié de rabais associés aux achats de grands volumes, plaide-t-elle aussi.

En vertu de la Loi sur la santé publique, la décision de vacciner a relevé du directeur de la santé publique du Saguenay–Lac-Saint-Jean, dit-elle enfin.

Trop mou

« Notre gouvernement ne négocie pas assez fort avec l’industrie pharmaceutique. C’est l’une des raisons pour lesquelles les prix des médicaments sont extrêmement élevés ici », estime plutôt le bioéthicien Bryn Williams-Jones, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

« On manque d’effectifs infirmiers de façon criante et on a dépensé 10 millions dans une seule région, sans que la pertinence soit manifeste. On n’a pas priorisé l’intérêt public. »

GSK affirme qu’elle ne divulgue pas les prix accordés par contrat à des tiers. Et qu’une de ses études a conclu que la campagne de vaccination avait permis de réduire de 77 % l’incidence de la maladie au Saguenay–Lac-Saint-Jean.

Le chercheur s’étant battu devant le CAI se réjouit que GSK n’ait pas porté la décision de la CAI en appel. « Je souhaite sincèrement que ce soit le début d’une démarche proactive et authentique de la part de l’industrie à rendre plus transparentes ses pratiques. Et que la décision de la CAI contribue à augmenter l’imputabilité des décideurs », a commenté M. Bélisle-Pipon, actuellement chercheur postdoctoral au Petrie-Flom Center à la Harvard Law School.

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