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Joël Dicker dévoile ses mystères

À l’occasion de la sortie de La disparition de Stephanie Mailer, le romancier nous livre ses secrets d’écriture et la façon dont naissent ses multiples personnages. Confessions d’écrivain.

Le jeune premier de la littérature suisse revient en force avec La disparition de Stephanie Mailer, 640 pages qui font adorer les insomnies. Mieux vaut ne pas lâcher ce pavé truffé de personnages et de rebondissements. Joël Dicker a écouté les critiques qui parfois avaient sévèrement jugé La vérité sur l’affaire Harry Quebert. Bien que largement récompensé avec ce best-seller, il a davantage travaillé la structure et le style de son nouveau roman. En janvier, Dicker a dû affronter la disparition de son éditeur Bernard de Fallois à qui il doit tout : « Il m’a donné plusieurs vies. C’est lui le succès de Harry Quebert. Il me manquera vraiment pour la suite ! »

Paris Match : Comment vivez-vous cette période de sortie de votre nouveau roman ?

Joël Dicker : C’est le début des retours et je suis plutôt heureux. J’ai beaucoup douté. Je crois que je n’ai pas choisi la voie de la facilité pour offrir une histoire fluide et pourtant j’y tenais ! C’est important pour moi de proposer un récit dans lequel le lecteur se retrouve. Et en même temps j’écris une histoire complexe, à tiroirs, avec trente personnages et plusieurs narrateurs. Je me suis souvent demandé : « Mais qu’est-ce que je fabrique  ? Ce n’est pas clair, personne ne va le lire… »

Cette phase de doute, vous l’avez ressentie lors de l’écriture ?

Tout le temps. Ce n’est pas un doute dépréciatif ou démoralisant mais constant. La première version faisait 1 200 pages. J’étais allé trop loin et pourtant je l’avais compris. Le livre manquait de nervosité. Il n’y avait pas le souffle nécessaire pour faire aussi long. J’avais fait lire cette version à Bernard de Fallois sans lui parler de mes inquiétudes et il a eu le même sentiment. Ce n’était pas possible, alors j’ai recommencé. Sinon, ces deux ans et demi de solitude n’auraient servi à rien. Malgré tout, le plus important est le plaisir que me procure cette première étape. Il faut que je sois heureux dans la lecture de ma propre histoire que je découvre, puisque je n’ai pas de plan.

Mais vous avez quand même votre histoire quand vous commencez ?

Non, c’est la surprise du chef ! C’est ça qui me plaît, je n’ai aucune idée de ce qu’il va se passer, où je vais aller. Dans la version initiale, il n’y avait même pas de crime, donc pas d’assassins. En réalité j’ai écrit soixante versions du livre ! Il m’en a fallu dix pour inventer un meurtre. J’ajoute des personnages et, ensuite, je me dis qu’il manque une unité de lieu. Alors je cherche un fil rouge. Il me faut une année de tâtonnements.

Alors, qu’avez-vous en tête quand vous commencez ?

Rien, je n’ai rien. J’ai seulement envie de raconter une histoire. Dans ce roman-là, j’avais une idée de personnage de femme qui deviendra Anna. J’avais envie aussi de replacer l’histoire dans la théorie des six degrés de séparation de Milgram, selon laquelle nous sommes tous séparés les uns des autres par une chaîne de six personnes. Et Facebook a réduit cette distance à quatre personnes. Ça me fascine. Au début je pensais installer six personnages ou entités réunis par un élément et dont les actions auraient eu des conséquences sur les uns et les autres. Je dois reconnaître que ce n’était pas clair dans mon esprit.

Aviez-vous tout de même le lieu du crime ?

À peine. Je ne voulais pas que cela se déroule aux États-Unis. J’avais envie de changer, de placer l’histoire en Suisse. J’ai essayé et ça n’a pas marché. J’ai encore un peu de difficulté à créer de la fiction en Suisse. Quand je raconte Genève, je reste dans la Genève que je vis et je ne veux pas faire d’autofiction. Alors que les États-Unis m’offrent un terrain de jeu illimité. Je les connais bien et cela est crédible. J’ai catapulté mon histoire dans les Hamptons qui s’y prêtaient bien. C’est après avoir fait entrer en scène quelques-uns des personnages que l’idée du crime s’est imposée. Je veux que la lecture de mon roman reste un jeu entre l’auteur que je suis et le public. L’histoire a existé une fois sous ma plume mais, pour que le roman prenne vie, il faut que quelqu’un le lise. Il est important que le lecteur fasse appel à son imaginaire. C’est le miracle d’un texte par rapport au cinéma. La littérature fait de nous des créateurs, alors que le cinéma nous transforme en spectateurs. Le résultat d’un film est beaucoup plus faible sur nos émotions.

Pouvez-vous dire qui est Stephanie Mailer ?

On ne sait pas très bien car elle disparaît aussi vite qu’elle apparaît. C’est le personnage le moins présent dans le livre ! Elle n’a qu’une petite scène sur un parking, mais en même temps elle est à l’origine de tout. Du démarrage de l’histoire avec Jesse, un policier à la retraite, qui revient enquêter sur une affaire qu’il avait bouclée vingt ans plus tôt. Ce retour va lui permettre de réparer une blessure et il entraînera une succession de personnages qui eux aussi vont tous soigner des fêlures. Grâce à Stephanie Mailer, ils vont tous se retrouver ensemble pour cette réparation. C’était pour moi une finalité.

En quoi ce livre est-il différent des deux autres ?

Je ne l’ai pas écrit de la même façon. J’ai désormais plus conscience des outils que j’ai entre les mains. Je crois que Stephanie Mailer est mieux construit, la structure se tient beaucoup mieux aussi. Dans Quebert certains passages étaient bancals, là je voulais parvenir à une structure quasiment aussi parfaite que possible. Je me suis accordé une liberté supplémentaire dans la langue et dans le récit. J’ai osé davantage. Mais je reste un jeune auteur et il y a encore beaucoup de travail qui m’attend. Dans Quebert, on avait critiqué certains des personnages, j’ai voulu faire mieux, les travailler davantage.

Justement, comment créez-vous vos personnages ? Comment passent-ils de six à trente ?

Ils sonnent à la porte tout simplement ! Et j’ouvre. Plus il y a de personnages et plus il y a d’action et de possibilités. Au départ, j’en avais même une quarantaine. J’ai commencé ensuite à en enlever pour garder ceux qui me semblaient les plus essentiels. Il y a en un qui me fait beaucoup de peine, le pauvre, je le dégage à chaque livre. Il n’a sa place nulle part ! Peut-être qu’un jour j’arriverai à le situer dans un roman. Au fond, un personnage réussi c’est celui qui permet la projection, la connexion entre lui et le lecteur. Il est comme un ami, quelqu’un qu’on connaît bien et qu’on aime quand même. La seule chose impossible, c’est la répulsion.

Et pour le profil du tueur, vous documentez-vous sur les criminels  ?

Non, je déteste ça, je n’ai aucune fascination pour les tueurs en série, ni pour les tueurs maniaques ou malades, ça n’éveille rien en moi. Je suis beaucoup plus intéressé par des séquences ou des gestes de M. Tout-le-Monde animé par une pulsion. Un homme ordinaire qui n’aurait jamais aimé ou imaginé commettre un crime. Le fait divers en lui-même ne m’intéresse pas. C’est souvent sordide. Je préfère l’aspect sociologique qui pose de vraies questions. Je déteste le gore, j’éteins la télé quand ça l’est !

Pourtant vous écrivez des thrillers…

Non, je ne considère pas que mes livres soient des thrillers, ni des polars d’ailleurs. Ils ne correspondent pas aux codes du polar, c’est comme une AOC. Et si je dis cela, c’est par respect pour ce genre-là, je ne veux pas décevoir les amateurs. Mais je pense que mes romans appartiennent à la littérature générale.

Que vous reste-t-il à prouver alors que vous êtes déjà auteur à succès de page-turners  ?

Je me considère comme un jeune auteur qui doit encore progresser. J’ai eu plus de romans refusés que de romans publiés. J’ai le sentiment d’être en début de carrière. Je suis avide d’apprendre. OK, on parle de page-turner mais qu’est-ce qu’un livre si on n’a pas envie de tourner les pages ? Faut-il qu’un livre soit horriblement ennuyeux ?

La disparition de Stephanie Mailer 

Joël Dicker

éd. de Fallois

640 pages

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