CHRONIQUE

Legault : le point de non-retour

La saga du burkini à la Coalition avenir Québec (CAQ) n’est pas qu’un épisode pittoresque et folklorique. Elle représente, selon moi, un moment charnière dans l’histoire hésitante de ce parti.

On aurait pu croire, après les sorties quelque peu primaires de la députée Nathalie Roy, qui avait affirmé que son parti interdirait le port du burkini dans les plages et piscines du Québec, pour reculer quand elle a découvert, sur le tard, que nos chartes ne le permettraient pas, que François Legault aurait mis la pédale douce dans ce dossier.

Mais non. Cette semaine, François Legault en a remis. Il est allé beaucoup plus loin en laissant clairement entendre que le port du burkini ne passerait pas le test des valeurs que son parti veut imposer aux nouveaux immigrants, parce que quelqu’un qui ne croit pas à l’égalité hommes-femmes « aurait un problème à être accepté ».

Cette déclaration montre que François Legault a choisi son camp et décidé de façon claire et probablement irréversible d’inscrire la CAQ dans la mouvance populiste de droite qui, à travers le monde industrialisé, se nourrit des angoisses identitaires et de la peur de l’autre.

On ne se rend peut-être pas compte de l’énormité de cette prise de position. François Legault va beaucoup, beaucoup plus loin que les maires de droite de petites villes françaises.

Ceux-ci se contentaient de donner une contravention à celles qui portent ce vêtement de bain et de les chasser de la plage. François Legault leur refuserait la citoyenneté et les chasserait du Québec, rien de moins.

En outre, si le port du burkini est un signe d’une non-adhésion au principe de l’égalité hommes-femmes suffisant pour faire échouer ce test des valeurs et perdre le droit à la citoyenneté, on peut supposer, en toute logique, que le port du voile islamique ne passerait pas non plus le test. Cela ferait du Québec le seul endroit du monde civilisé à refuser formellement les musulmanes qui portent un voile.

Je ne sais pas si quelqu’un à la CAQ se rend compte où mène cette idée de test de valeurs. Comment déterminer si les choix vestimentaires reflètent ou non un refus de l’égalité ? Comment traiter les autres immigrants qui n’adhèrent pas à ce principe, ne serait-ce qu’un prêtre catholique belge en accord avec les dogmes foncièrement inégalitaires de son Église, ou une femme hassidique dont la perruque cache un crâne ras ?

Mais ces nuances ne semblent pas trop embarrasser la CAQ pour la simple raison que tout le monde devine qu’au nom de l’égalité, on ne vise qu’un groupe, les musulmans religieux, et que ce qu’on défend, c’est moins l’égalité elle-même, qui n’a quand même pas été inventée au Québec, que les différences culturelles qui nous menacent ou qui nous agressent. C’est ce que décrivait bien Nathalie Roy quand elle parlait du burkini : « Écoutez, ce n’est pas dans notre culture, ce n’est pas dans notre religion, ce n’est pas dans nos valeurs ».

Le chef caquiste a enfoncé le même clou hier en revenant sur les seuils d’immigration. Un nombre de 50 000 immigrants par année, selon lui, c’est trop. Il faudrait réduire ce nombre à 40 000. Entendons-nous : cette réflexion sur les seuils d’immigration doit être faite. Mais dans le climat de méfiance que son parti entretient en insistant ad nauseam sur les valeurs, l’effet net de ses propos est de remuer les peurs de l’immigration. Il fallait entendre la façon dont M. Legault, hier, parlait des ratés de nos politiques d’intégration, en disant « on a un gros problème », et en insistant lourdement sur chaque syllabe pour mieux dramatiser son propos.

Pour ne pas être en reste, il n’a pas manqué de jouer sur l’autre peur, la linguistique. « C’est mathématique. Au Québec, on ne fait pas beaucoup d’enfants, on reçoit 50 000 immigrants par année, et 41 % d’entre eux ne parlent pas français. Ça devient mathématique. Faites une petite règle de trois sur 25 ans et ça devient inquiétant, d’abord pour Montréal, et pour l’ensemble du Québec ». Derrière l’apparente logique mathématique, il y a une grosse erreur de fond, parce que le 41 % n’est pas fixe dans le temps, et qu’une bonne partie de ce 41 %, la majorité, finira par parler français.

Est-ce que François Legault croit tout ce qu’il dit ? Je ne le pense pas. Mais le chef caquiste a tout essayé pour relancer son parti, sans grand succès.

Il croit sans doute avoir trouvé sa niche, celle des peurs identitaires, que le PQ a abandonnée après la débâcle de la charte, en se disant que les gens qui aimaient la charte des valeurs aimeront aussi son test des valeurs. Une niche d’autant plus confortable qu’après des années où il s’est fait voler ses bonnes idées, il peut croire que ni le PLQ ni le PQ nouveau ne voudront aller patauger sur ce terrain.

Le premier ministre Couillard a exagéré en comparant François Legault à Donald Trump. Ce serait encore plus inapproprié de comparer la CAQ au Front National, même s’ils ont combattu le burkini avec la même ardeur. Mais on peut dire que la CAQ, à sa façon – Dieu merci plus modérée –, vise les mêmes clientèles et joue sur les mêmes peurs.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.