LGBT

TÉMOIGNAGES

JEAN-CLAUDE PUATI

Enfin normal

Natif de la République démocratique du Congo, Jean-Claude Puati, 39 ans, affiche très ouvertement son homosexualité. « C’est plutôt difficile de me cacher », lance-t-il à la blague. Ses gestes sont efféminés, ses vêtements voyants, ses cheveux de couleur vive. « C’est essentiel pour moi de m’exprimer tel que je suis, je suis extraverti. C’est ce qui m’a valu bien des ennuis dans mon pays. »

Dès qu’il a posé les pieds à l’aéroport Trudeau de Montréal, avec un statut de réfugié, Jean-Claude a senti une immense vague de soulagement le submerger. Une certaine surprise aussi. « Personne ne réagissait à mon passage. J’ai eu, pour la première fois de ma vie, l’impression que j’étais normal. J’avais enfin l’espoir que je pourrais mener la vie que je souhaitais. » C’était il y a un an, en mai 2015.

Jean-Claude a affiché son homosexualité vers l’âge de 17 ans. « Avant, j’ai tenté de dissimuler mon orientation, mais c’était plus fort que moi : il fallait que ça sorte. J’ai commencé à recevoir des menaces, des insultes. On me disait : les gens comme toi ne méritent pas de vivre. Ça venait surtout des fanatiques religieux », raconte l’étudiant en cuisine.

Il a fréquenté des fêtes privées, très peu les bars clandestins. Ses parents, mis au courant de son orientation sexuelle par des voisins, ont été très choqués. Mais jamais ils ne l’ont rejeté. « Ma mère, une fervente catholique, est allée voir le prêtre, qui a demandé conseil à un pasteur. Elle voulait tellement que je guérisse. »

« Être gai en Afrique, c’est dur ; [ma mère] se faisait du souci. Mes frères ont prié pour moi, pour que je change. J’en ris aujourd’hui. »

— Jean-Claude Puati

En 2007, alors que la situation au Congo était imprévisible et que les violations des droits de l’homme se multipliaient, Jean-Claude a quitté le pays. « Je me sentais en danger. Les milices, sans éducation, étaient imprévisibles, elles pouvaient tirer à tout vent. J’ai commencé à avoir très peur. »

Direction Afrique du Sud. L’homme y a vécu, malheureux, pendant sept ans. « Les lois y protègent les LGBT, mais dans les mentalités, c’est autre chose. La grande majorité des gens ne nous tolèrent pas. Je me suis fait insulter, attaquer. »

À Montréal, la vie est plus facile. Il fréquente très peu les Africains établis au Québec. « J’ai été tellement traumatisé là-bas. Ici aussi, je vois l’horreur dans leurs yeux quand ils m’aperçoivent. J’ai plus de contacts avec des gens d’ici ou d’ailleurs. Mais c’est difficile de se créer un réseau, les gens sont réservés, il y a les préjugés envers les étrangers. Dans la communauté LGBT, il y a des stéréotypes, une catégorisation. Dans l’ensemble, les gens sont amicaux. L’adaptation se fait tout doucement. »

MALEK*

Assumer sa sexualité

Essoufflé, Malek*, 25 ans, arrive en retard à notre point de rencontre, au cœur du village gai. Dans moins de 24 heures, il s’envolera vers la Tunisie pour les vacances d’été. « Je suis désolé. Je suis dans les préparatifs de dernière minute, j’ai plein de courses à faire. »

Malek est gai et musulman. Il comptait célébrer l’Aïd el-Fitr, la fin du ramadan, auprès de sa famille à Tunis. « Je suis croyant, je ne vois aucune contradiction entre ma religion et ma sexualité. » Il fait la prière régulièrement, chez lui. « J’évite la mosquée et je ne côtoie que des musulmans ouverts. »

Étudiant universitaire de deuxième cycle, Malek vit au Québec depuis deux ans, à la suggestion de ses parents qui paient ses études. « Ils l’ont expulsé avec finesse », commente son ami Karim. « Je n’ai jamais dévoilé mon orientation sexuelle à mes parents, mais ils savent implicitement. Ils voulaient que je puisse faire ma vie en paix, sans danger », affirme Malek

Portant un débardeur et un short court, le jeune homme déambule dans la rue Sainte-Catherine avec assurance. 

« En Tunisie, si je marche habillé de la sorte, je reçois des insultes. Ça m’est arrivé l’an dernier à Tunis. J’ai eu peur, je ne circule plus seul dans certains quartiers populaires. » — Malek*

Depuis le printemps, les militants LGBT de l’association Shams multiplient les appels à la décriminalisation de l’homosexualité en Tunisie, alimentant le débat jusque sur les plateaux de télévision. Les actes homophobes prolifèrent. « Il y a une réflexion, il y a de l’espoir. » Une loi interdit la sodomie et le lesbianisme, passibles de trois ans d’emprisonnement. « Rares sont les homosexuels qui sont emprisonnés plus de trois mois, précise Malek. Le plus pénible, c’est la mentalité des gens qui sont plutôt fermés. Il peut être difficile d’obtenir certains emplois. »

Aussi, durant l’adolescence, Malek y a vécu son homosexualité de façon clandestine. « J’avais un faux profil Facebook pour croiser des mecs. J’ai fréquenté un sauna caché et des cafés gais. » C’est au Québec qu’il a pleinement assumé sa sexualité. « J’ai fréquenté beaucoup de mecs, beaucoup de bars gais, je me suis permis d’explorer. J’ai eu l’opportunité de connaître des gens du milieu, j’ai habité le village. »

S’il déplore la ghettoïsation et la superficialité du milieu gai, c’est au Québec qu’il compte faire sa vie, qu’il se sent bien. « Je me marierai peut-être un jour et, qui sait, j’aurai peut-être des enfants ! Tout est permis. Qui ne voudrait pas vivre au Canada ? »

* Le prénom a été changé pour préserver l’anonymat.

MARIANNE CHBAT

Célébrer sa différence

Fille d’un père libanais et d’une mère égyptienne, Marianne Chbat, 33 ans, est la fière maman d’une fillette de 10 mois. Ses parents sont gagas d’admiration devant les sourires de leur première petite-fille. La famille est tissée serré. Si son coming out a secoué le cocon familial, il y a 15 ans, les liens n’en sont que plus forts aujourd’hui.

« Je suis fière d’être fille d’immigrants, fière d’être en couple avec la même femme depuis six ans, fière d’être maman, fière d’être queer, affirme la Montréalaise. Derrière cette fierté se cache un désir profond de célébrer mes différences. » Son discours n’a pas toujours été aussi assumé.

« À l’adolescence, j’ai commencé à me poser des questions sur mon orientation sexuelle. Vers 17 ans, j’ai commencé à fréquenter une fille. Je me suis dit que je devais être lesbienne. » Mais l’étiquette la dérangeait. « J’avais peur de dire que j’étais lesbienne, comme bien des jeunes vivant dans une société où la norme est hétérosexuelle et où cette identité était associée à des représentations négatives. »

De surcroît, elle croyait son appartenance ethnique et son orientation sexuelle incompatibles. 

« Je pensais devoir choisir entre les deux. J’avais l’impression qu’il fallait être “blanche et occidentale” pour être lesbienne ou queer. »

— Marianne Chbat 

« Je n’avais jamais rencontré de lesbiennes d’origine libanaise, je n’avais pas eu de modèles. » La participation aux activités du groupe Helem Montréal, qui réunit des personnes LGBT de pays arabes, « a été libératrice, structurante ».

DIFFICILE DÉVOILEMENT

Lorsqu’elle était en couple depuis un an, les parents de Marianne ont fini par la questionner, assis à la table de la cuisine. Elle avait 18 ans. « Ils voyaient que j’étais toujours avec ma blonde, que l’amitié semblait plus forte et intense que nous le laissions paraître. J’ai avoué que nous étions amoureuses. Ç’a été un choc. Ils ne s’y attendaient pas, probablement parce que je suis féminine, que je corresponds aux attentes de genre. »

Voyant que ses parents acceptaient difficilement sa différence, elle a quitté la maison quelques mois plus tard. « Ça a pris un an ou deux avant que ça se replace. La distance a aidé. Mes parents sont des personnes fantastiques, aimantes, jamais ils n’ont cessé de me parler. Ils m’ont aidée financièrement. »

« Mes parents, même s’ils sont catholiques et originaires de pays arabes, n’étaient pas plus hétérosexistes que les parents de mes amis québécois de l’époque, tient-elle à préciser. Je connais des personnes dont les parents sont nés au Québec ou non pratiquants qui craignaient aussi le rejet de leur famille. »

Aujourd’hui, les questions et les doutes sont loin derrière. « Mon père m’a dit à quel point il est heureux d’être grand-père, que je partage ça avec eux. Ma mère dit que ma fille est chanceuse d’avoir deux mamans. Ils se réjouissent de me voir bien entourée d’amis, amoureuse, autonome. C’est exactement ce que je souhaite pour ma fille. »

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