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Plus de réfugiés

« Jusqu’à 90 % de nos 200 membres sont des réfugiés. La tendance est à la hausse. En Afrique, l’homophobie est plus virulente depuis quelques années. Les homosexuels peuvent être battus et tués par leur entourage », indique Laurent Maurice Lafontant, d’Arc-en-ciel d’Afrique. L’organisme vient en aide aux personnes LGBT des communautés africaines et antillaises. « De plus en plus de gens nous écrivent d’Afrique du Nord, ils veulent fuir, dit Rémy Nassar de Helem Montréal. Il y a une montée du radicalisme dans le monde arabe, l’État islamique persécute les gais. On ne fournit plus à la demande. » La Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada confirme une hausse de cas.

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Étrangers au village

Les personnes LGBT immigrées ou réfugiées trouvent difficilement leur place dans la communauté gaie montréalaise, qu’ils fréquentent peu, révèlent des études québécoises. « Comme leurs besoins et leurs réalités ne sont pas toujours compris, il peut y avoir un sentiment d’exclusion », relate le sociologue Olivier Roy. À la Fondation Émergence, on se dit conscient de la problématique. « On redouble d’efforts pour inclure les minorités culturelles, actuellement sous-représentées », indique Laurent Breault. Dans le milieu gai, les stéréotypes ethnosexuels sont encore présents : on présente des hommes noirs musclés et hypersexuels, des Asiatiques dociles et efféminés, selon le groupe de recherche METISS.

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La prison au Canada

Certains homosexuels, qui ne pouvaient faire autrement, mettent les pieds au pays munis de faux documents, obtenus par des passeurs. « Ceux-ci sont mis automatiquement en détention pendant la vérification de leur identité, dit Sofiane Chouiter, qui accompagne des réfugiés lors d’audiences. Certains croupissent des mois en prison sans savoir quand ils sortiront, et ce, même s’ils n’ont jamais commis de délit. Ils se retrouvent parmi d’autres réfugiés qui ne sont pas nécessairement gay-friendly. C’est de la torture mentale. Ils pensent que le Canada est l’eldorado, mais ils déchantent vite. »

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Difficile adaptation

Depuis 1993, le Canada accepte les demandes d’asile pour motif d’orientation sexuelle. Quand l’exil est forcé, l’adaptation peut être plus ardue. « Après avoir vécu la peur, ils arrivent dans un pays qui leur est totalement inconnu, qu’ils n’ont pas choisi, dit M. Lafontant. Ils sont confrontés au style de vie occidental, à la précarité financière, à l’isolement. Ils peuvent aussi être victimes de racisme et d’homophobie. »

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Peu de ressources 

Au Québec, les groupes de soutien aux personnes LGBT de communautés culturelles sont très peu nombreux et la plupart, non financés, survivent grâce à l’implication de bénévoles dévoués. « Ces groupes sont des initiatives très importantes. Ça permet aux immigrés de se sentir en confiance, de tisser des liens d’amitié, d’être orientés vers des ressources », dit Olivier Roy. « C’est aussi une façon d’échanger, de débattre, dans sa langue natale et dans un contexte sécuritaire », dit Marianne Chbat.

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Double minorité, double vie ?

Rémy Nassar est toujours en alerte. Quand un coming out tourne mal, son téléphone sonne. Il reçoit parfois des appels de détresse au beau milieu de la nuit. « Il arrive qu’on héberge des gens qui sont expulsés du domicile familial », raconte le président bénévole de Helem Montréal.

Le groupe de soutien aux personnes LGBT libanaises et arabophones compte 40 membres officiels. Dans les faits, ils sont bien plus nombreux. Plusieurs nouveaux arrivants ou enfants d’immigrés gravitent autour du groupe sans s’identifier. « Ils ne veulent pas mettre leur nom sur papier, ils ont peur. Ils communiquent avec nous par courriel pendant des mois avant d’oser se présenter. Certains opèrent deux pages Facebook. On leur répète que le Québec est un endroit sécuritaire où ils peuvent s’épanouir », dit M. Nassar.

Encore aujourd’hui, l’homosexualité est passible de peine de mort dans une douzaine de pays, dont le Pakistan, l’Afghanistan, l’Iran et la Mauritanie. Dans 77 États, les relations sexuelles entre personnes du même sexe peuvent mener à l’emprisonnement. C’est vrai notamment au Sénégal, au Cameroun, au Liban et en Algérie. Quand on vient d’un pays où l’homophobie et la transphobie sont prégnantes, il peut être difficile d’afficher ouvertement son orientation sexuelle ou son identité de genre. Même si l’on se sait protégé au Québec.

« Des personnes ont cultivé la culture du secret pendant des années. On ne doit pas s’attendre à ce qu’elles s’affichent du jour au lendemain, surtout si elles maintiennent des liens étroits avec leur communauté. Ça peut leur prendre du temps avant de faire un coming out », affirme Sofiane Chouiter, vice-président de l’Association des lesbiennes et des gais sur internet (ALGI) et militant au sein d’Action LGBTQ avec les immigrés et les réfugiés (AGIR).

APPRIVOISER LA LIBERTÉ

Au printemps, Fatima* est sortie de chez elle sans perruque, sans maquillage. C’était la première fois depuis son arrivée à Montréal. « J’avais l’impression que les passants me dévisageaient. Je trouvais mes cheveux trop courts, j’avais l’impression qu’on m’identifiait automatiquement comme lesbienne. Comme si l’étiquette était collée à ma peau », a-t-elle confié à Lani Trilène, responsable du volet immigration au Centre de solidarité lesbienne (CSL) à Montréal.

Mme Trilène rencontre régulièrement dans son bureau des femmes qui ont fui leur pays en raison de leur orientation sexuelle. Plusieurs étaient mariées. Elles ont dû couper les liens avec leur famille, parfois avec leurs enfants. « Ce sont des histoires tristes, dit l’intervenante. Ces femmes sont seules, elles vivent une culpabilité immense. »

« Elles nous disent : mon mari a bien fait de me battre ; si j’étais quelqu’un de bien, je serais auprès de mes enfants ; si je n’étais pas homosexuelle, tout ça ne serait pas arrivé. »

— Lani Trilène, responsable du volet immigration au Centre de solidarité lesbienne

Au CSL, elles s’informent d’abord sur les traitements offerts : elles veulent guérir. Puis, le discours change. Elles souhaitent plutôt être soutenues dans l’acceptation de leur homosexualité. « Quand elles voient deux femmes s’embrasser ou deux hommes se tenir par la main, elles sont mal à l’aise, voire offusquées. Ça les confronte à leur propre identité, elles ont involontairement intériorisé l’homophobie. Apprivoiser la liberté est un long apprentissage. C’est un travail de titan. »

Selon Rémy Nassar, plusieurs personnes LGBT de communautés arabes préfèrent « rester cloîtrées », même à Montréal. « Elles tentent de se conformer aux idéaux et aux normes du pays d’origine, elles se marient. Tant que l’homosexualité n’est pas assumée, plusieurs pensent que ça va passer. On le voit même chez les plus jeunes, nés au Québec. L’emprise du pays reste forte. »

Alors qu’il était adolescent en Algérie, Adib* a réalisé qu’il avait une attirance pour les garçons. « Il croyait que c’était de la frustration sexuelle. Les musulmans n’ont pas de rapports sexuels avant le mariage », précise son ami Sofiane Chouiter. Une fois à Montréal, Adib a vu ses sentiments envers les hommes s’amplifier. Pris de peur, il a rapidement marié une Algérienne. Le jour du mariage, il a pleuré comme jamais. Encouragé par des collègues, ouvertement gais, il a peu à peu accepté sa vraie nature. Et il a divorcé. « Aujourd’hui, il vit bien son homosexualité, raconte M. Chouiter. Il est discret, il pratique sa religion, mais ça ne l’empêche pas de fréquenter le village gai. Il est heureux. »

AU-DELÀ DU COMING OUT

« On ne doit pas confondre épanouissement et coming out, souligne Marianne Chbat, doctorante en sciences appliquées à l’Université de Montréal. En Occident, le modèle dominant de la vie homosexuelle implique la figure du coming out, mais on peut très bien vivre sa sexualité de façon tacite, sans y voir une oppression. Ça permet de trouver un espace de négociation entre la famille et la sexualité. Plusieurs font ainsi. »

Dans son mémoire de maîtrise, Mme Chbat a documenté le parcours de personnes LGBTQ de la communauté libanaise à Montréal. Selon les témoignages recueillis, la distance géographique avec la famille (quand celle-ci est peu ouverte), l’autonomie financière et une attitude normative de genre facilite la libre expression de l’orientation sexuelle. 

« Il y a mille et une façons de vivre sa sexualité et son ethnicité. »

— Marianne Chbat, doctorante en sciences appliquées à l’Université de Montréal

Il y a tout autant de nuances dans la perception de l’homosexualité au sein des communautés culturelles, insistent les experts interviewés. Il serait « réducteur » et « porteur de dérives » de « présumer que l’homophobie, qui prévaut dans certains pays, se retrouve à l’identique au sein des minorités ethniques et racisées du Québec », indique-t-on au ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion du Québec.

« Les communautés culturelles ne sont pas des blocs homogènes. Il faut éviter de généraliser », confirme le sociologue Olivier Roy. L’éducation, le niveau socioéconomique et la religiosité peuvent influencer la perception de la diversité sexuelle. « C’est la connaissance d’une personne de minorité sexuelle qui favorise le plus l’ouverture. Ça revient dans plusieurs enquêtes, dit M. Roy. On ne doit pas faire l’erreur d’opposer un là-bas homophobe et un ici très ouvert. »

* Le prénom a été changé pour préserver l’anonymat.

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