Black and White, à la mémoire d’un ami disparu
Le 11 novembre 2017, Mathieu Sévigny jouait un match comme les autres. C’était le 20e de la saison des Tigres de Victoriaville, contre les Olympiques à Gatineau. Sauf que derrière la façade, ce match n’avait rien d’ordinaire.
Ce jour-là, Sévigny ratait les funérailles de son ami d’enfance, Dannick Breton. De son propre aveu, Sévigny n’est pas particulièrement religieux. Pourtant, ce jour-là, il a parlé à son ami, où qu’il puisse être, et il lui a demandé de l’aide. Ce match-là, il a marqué deux buts, des buts chanceux. La rondelle sur le bâton, du genre presque trop beaux pour être vrais.
« J’ai toujours dit que c’était à cause de lui. Qui sait… »
Quelques jours plus tôt, Dannick Breton avait mis fin à ses jours, à 19 ans seulement. Pourtant, de l’extérieur, tout avait l’air de bien aller pour le jeune homme. Il jouait pour l’Université Southern Maine, en troisième division de la NCAA. Il avait la vie devant lui.
Breton et Sévigny étaient proches depuis longtemps. Ils venaient tous les deux de la région de Québec. Ils étaient allés à l’école primaire ensemble. Ils étaient allés à l’école secondaire ensemble. Ils avaient joué au hockey ensemble. Ils avaient même gagné ensemble, dans l’uniforme des Remparts, au tournoi pee-wee de Québec en 2011.
Ils gardaient contact, se parlaient chaque semaine malgré la distance. Sévigny n’a jamais pressenti le geste irréparable de son ami. « Aucun signe. Ce n’est pas l’argent qui fait le bonheur, ce n’est pas le succès qui fait le bonheur. Il était dans un collège américain, je le voyais moins souvent, mais je le voyais beaucoup l’été. L’humeur ne paraît pas nécessairement à travers un texto. Tu ne le ressens pas nécessairement. »
Le deuil d’un proche n’est jamais une chose simple. Mais le deuil d’un proche qui s’est suicidé vient souvent avec une certaine culpabilité. Il y a plusieurs manières de réagir, comme la quête du pourquoi ou les idées sombres. Pour Sévigny, la réponse n’a jamais fait de doute.
« Je ne voulais pas qu’il se soit enlevé la vie, qu’on fasse notre deuil et qu’on oublie tout ça. »
— Mathieu Sévigny à propos du suicide de son ami Dannick Breton
De là la création de la société de vêtements Black and White, avec son coéquipier, ami et désormais partenaire d’affaires Félix Paré.
Paré et Sévigny nous avaient donné rendez-vous au Colisée Desjardins de Victoriaville, après leur bilan de fin de saison. La page était à peine tournée après la sèche élimination en quatre matchs contre les puissants Huskies de Rouyn-Noranda. Ils se préparaient à retourner dans leurs terres, près de Québec.
Après quelques minutes de discussion, on constate tout de suite que les jeunes hommes de 19 et 21 ans respectivement sont de nature dotés d’une bonne dose d’esprit d’entrepreneuriat. Et de beaucoup de débrouillardise.
Ils travaillaient depuis un moment à se trouver un projet commun, n’importe quel projet. Ils ont écoulé les idées, avant de s’entendre sur une entreprise de vêtements. La mère de Paré travaille dans le domaine, l’héritage était presque logique. C’est aussi l’idée qui a suscité le plus d’enthousiasme auprès de leurs coéquipiers des Tigres, dont ils soulignent l’appui indéfectible.
« Au début, on se parlait d’idées d’entreprises qu’on voulait commencer, a expliqué Paré. On est arrivés avec l’idée de chandails. Pourquoi pas des chandails ? Tout le monde a besoin de chandails. Après, on s’est dit : tant qu’à faire ça, on pourrait se trouver une cause. »
Un plus un égale deux. Sévigny vivait son deuil, les deux entrepreneurs en herbe avaient leur idée. Ils ont donc fait de Black and White une entreprise qui ferait également œuvre utile.
Ils se sont associés au Centre de prévention du suicide de Québec (CPSQ). Pour chaque article vendu, 2 $ sont remis au centre. Ils ont d’ailleurs fait leur premier don au début de la semaine, un grand moment de fierté pour eux.
« Je l’ai vu que ça l’a vraiment touché, a ajouté Paré. Si un de ses amis qui jouait au hockey, qui avait un bel avenir devant lui, s’est suicidé, c’est sûr qu’il y en a beaucoup d’autres à qui ça pourrait arriver au Québec. On est allés rencontrer le Centre. Ils nous ont dit qu’il y avait beaucoup de suicides au Québec, plus qu’on le pensait. On voulait juste passer le message que c’est là et que si quelqu’un a besoin d’aide, on peut contribuer. On est là pour ça. »
C’est vrai que les statistiques sont alarmantes. Trois Québécois se suicident chaque jour. Un adolescent sur cinq y a pensé au cours des douze derniers mois, selon le CPSQ. Le Centre de prévention réalise en moyenne 22 000 interventions téléphoniques par année.
Le nom de la société reflète aussi la raison d’être, et c’est voulu ainsi. C’est d’ailleurs pourquoi le remue-méninges pour trouver le nom a été l’une des étapes les plus ardues. Avec le produit final, Black and White, le positif et le négatif, la lumière et l’ombre. Un nom qui rappelle qu’il est parfois facile, trop facile même, de basculer de l’un à l’autre.
Paré s’est mis à la création du logo et du design des vêtements. Un long exercice d’essais et erreurs pour lui, qui n’a aucune formation dans le domaine. Et pour rappeler que la société existe en mémoire de Dannick Breton, son dernier numéro au hockey, le 21, est brodé sur la manche de certains modèles.
« Je ne dirais pas que ça m’aide à faire le deuil, mais ça peut aider d’autres personnes à faire leur deuil. »
Sévigny se reprend après réflexion.
« Ça m’a aidé, oui. Je peux dire que ça m’a aidé à faire mon deuil. Je pense beaucoup à lui. On veut aussi aider toutes les autres familles. Par exemple, je connais une famille qui se réunit chaque année à la mémoire d’un de ses membres qui s’est suicidé. Ils ont tous décidé d’acheter un chandail. Si ça peut aider d’autres familles, c’est bien. »
Plus tard dans la conversation, Sévigny se tourne vers Paré. Il lui lance que l’entreprise, à son avis, n’existerait pas si son ami était encore en vie. Que les deux jeunes hommes auraient un autre projet, mais pas celui-là. Ce projet-là, Black and White, va bien au-delà des considérations financières.
« J’ai appris que ça pouvait arriver à tout le monde, a conclu Sévigny. Ça m’a réveillé que ceux qui ont besoin d’aide ne le diront pas nécessairement. Ç’a été un événement tragique. Pour la famille aussi, que je connaissais beaucoup. Je ne pouvais pas laisser Dan dans l’oubli un an après… »