Entrevue

Julien Clerc :  « Hélène, je vous aime »

Son public a pu choisir les 44 titres de son best of… sauf un : Entre elle et moi, une chanson inédite inspirée par Hélène. Avec sa femme de lettres, le plus célèbre vibrato français a trouvé l’harmonie. Et une muse pour de nouveaux refrains. À 69 ans, Julien Clerc compose un album pour l’automne 2017. Pendant qu’elle travaille sur l’adaptation pour le cinéma de son roman Le confident, écoulé à 500 000 exemplaires, Hélène Grémillon prête une oreille attentive. « Elle est mon premier filtre », confie Julien. Avec elle, il partage sans limites sa passion de la musique, et des mots… Il n’y en a qu’un qui ne leur convienne pas : « tu ». La déférence des débuts est restée leur préférence.

« Il y a des printemps/Quelques années qui ruissellent/Entre elle et moi c’est comme ça. » Sur les touches de son piano, trente ans d’écart deviennent une déclaration inconditionnelle. Quand Julien Clerc s’éprend de l’ancienne étudiante en lettres, elle n’a que 26 ans et ne connaît de lui que le tube Ce n’est rien. Avec Hélène, il fait le pari de devenir papa pour la cinquième fois. Léonard naît en 2008 et propulse le chanteur, déjà grand-père, à la tête d’un clan recomposé. L’éternel jeune homme de la variété s’en amuse : « Me voilà patriarche ! »

Paris Match. La première chose qui étonne lorsqu’on vous rencontre, c’est que vous vous vouvoyiez. D’où cela vient-il ?

Hélène Grémillon. Au début, se tutoyer aurait été comme accepter un amour dont je ne voulais pas. Le vouvoiement a été une manière de tenir à distance le danger potentiel de notre histoire… Le garder, c’était comme se dire : « Je pourrais vous quitter avec moins de chagrin. » [Elle rit.] C’était pragmatique. Pas romanesque. Les gens pensent que c’est une coquetterie, mais c’est devenu instinctif.

Julien Clerc. [Il rit.] Mes parents s’engueulaient tellement fort, à coups de vouvoiements, que je n’aurais jamais pensé vouvoyer quelqu’un au quotidien. C’est venu comme ça et c’est naturel désormais. Mais je comprends que cela soit difficile à croire, que l’on puisse y voir une posture. Je vous rassure, ce n’est pas le cas.

Comment vous êtes-vous rencontrés ?

H.G. Je travaillais en 2003 pour l’émission de Thierry Ardisson, Rive droite, rive gauche. Julien était le dernier invité de la dernière émission. À la fin, Thierry était du genre à dire : « Il ne faut pas que les invités restent dans les couloirs, il faut les faire sortir vite. » Donc je suis sortie en même temps que Julien, dont le taxi était en retard. Je me souviens très bien de cet arbre très vert, très rond, très dense qui était en face de nous ce jour-là, et je lui avais dit : « Est-ce que vous prenez les textes ? » J’avais déjà des velléités d’écriture…J.C. « Rarement », lui ai-je répondu…H.G. Il n’a pas pris les textes, mais il a pris la fille. Il a d’ailleurs eu l’honnêteté de me dire très vite au téléphone : « Vos textes ne sont pas pour moi. » C’était déjà merveilleux d’avoir un retour…

Dans quel état d’esprit étiez-vous à ce moment-là, Julien ?

J.C. J’étais libre dans ma tête, mais c’était une période entre deux… N’est-ce pas ?

H.G. Vous étiez libre dans votre tête, mais il a fallu prendre des dispositions pour que vous le soyez vraiment…

La différence d’âge ne vous effrayait-elle pas ?

J.C. Je l’ai un peu crainte vis-à-vis de mes enfants. Mais, pour moi, Hélène n’était que du bonheur. De son côté, c’était plus difficile. À cause de moi, elle se retrouvait dans une position inconfortable, elle était ma maîtresse et cette idée ne lui convenait pas du tout. Je l’ai senti assez vite. J’ai connu dans cette période des côtés d’elle que je n’ai pratiquement jamais revus. Elle était malheureuse, on se disputait, malgré des moments magiques. C’était très passionnel…

Hélène, vous n’aviez pas peur d’embrasser la vie d’un artiste ?

H.G. Julien chante, vit de sa musique, mais nous n’avons jamais extrapolé ce côté public. Nous ne sommes pas des aficionados des soirées mondaines. Récemment, nous sommes allés à l’avant-première de Cousteau parce que nous sommes proches des producteurs…

J.C. Mais ça ne nous intéresse pas vraiment. On parle et on pose aujourd’hui ensemble. Mais nous avons attendu d’être mariés et d’avoir un enfant pour nous exposer. Ça me semblait le bon moment car tout est apaisé.

H.G. On évolue dans une famille merveilleusement recomposée.

Vous ne vous sentiez pas démunie, Hélène ? Vous épousez un chanteur que toute la France apprécie, dont on connaît aussi les histoires passées, les ex-femmes, les enfants…

H.G. Surtout, je pensais que Julien était le genre de type à consommer comme un fou. Et de surcroît, il était marié ! Mais on s’est vite mis à parler de littérature, de cinéma, de spectacles. Et là, ça a été comme une voiture lancée à fond la caisse. Cette superbe entente était folle et surprenante. Je n’avais jamais été amenée à croiser un individu aussi cultivé. Quand quelqu’un vous plaît et quand vous sentez confusément que c’est réciproque, c’est immédiatement perceptible. C’était très troublant… Mais je ne me suis jamais posé la question de la différence d’âge. En revanche, je me suis beaucoup interrogée sur la durabilité de cette histoire. Quand on se voyait, je ne faisais que regarder son alliance, presque par respect… Je n’ai pas volé l’homme d’une autre. On s’est laissé le temps d’accepter notre relation.

J.C. Il a fallu que j’annonce à mes enfants que j’avais rencontré quelqu’un, qui plus est une personne plus jeune… Tout était en train d’exploser dans ma vie. Je sortais au même moment une chanson, Double enfance, qui racontait ma douleur face au divorce de mes propres parents. Je me retrouvais dans la situation de leur faire vivre ce qui m’avait fait tant de mal.

Léonard arrive cinq ans après votre rencontre. Vous souvenez-vous du jour où vous avez appris qu’Hélène était enceinte ?

J.C. Ah oui ! Nous étions en vacances en Suisse, à la montagne… Hélène demande qu’on s’arrête Chez Nelly pour prendre un café. Ce qui n’était pas son genre. Elle s’éloigne puis revient, se plante devant moi et fond en larmes.

H.G. Et là, je lui annonce, après avoir fait un test de grossesse : « Il y a un bébé dans mon ventre. »

J.C. Ce que j’ai trouvé tellement charmant… C’était une journée poétique : une brume est tombée, on était en plein mois de juillet et on marchait dans un brouillard dense en entendant les cloches des vaches autour. C’était extraordinaire.

H.G. Mais ni l’un ni l’autre n’avions envie de commenter la nouvelle, on ne se parlait pas.

J.C. Je commençais à penser de nouveau à mes autres enfants. Là, j’ai vraiment vécu la problématique de l’âge…

H.G. Je savais aussi que s’il me demandait d’avorter, notre histoire était terminée.

J.C. Mais il était hors de question de dire ça, ma douce !

Vous aviez des doutes ?

J.C. Oui, j’allais avoir 60 ans… J’ai appelé Jacques Séguéla pour lui demander à quel âge il avait eu ses jumelles. Il m’a dit : « Si tu veux garder Hélène, accepte cet enfant. C’est formidable, tu verras. » Un nouveau chapitre de notre vie commençait.

Vous êtes devenu un meilleur homme ?

J.C. Oh ! Je n’étais pas vraiment mauvais. [Il rit.] Léonard a clairement rapproché tout le monde. Cet enfant, je l’ai énormément regardé grandir. Par le passé, j’ai pu être un homme plus pressé que je ne le suis aujourd’hui…

Hélène, diriez-vous que Julien est un père présent ?

H.G. Mais j’ai eu envie d’avoir un enfant avec lui quand j’ai vu quel père il était ! Et avec Léonard, ça ne se dément pas.

J.C. Il y a quand même des choses que je ne sais pas faire ! Je ne sais pas jouer avec eux, par exemple.

H.G. Oui, enfin… vous avez quatre enfants merveilleux. Et ce n’est pas de la flagornerie. Angèle, Jeanne, Vanille, Barnabé sont quatre personnalités fortes et différentes, avec chacun leur charme et leur intelligence. Je m’étais dit : « Cet homme fait de beaux enfants. » [Elle rit.]

Hélène, vous êtes devenue du coup le moteur de cette famille recomposée ?

H.G. Non, c’est Julien le socle, le pilier.

J.C. Hélène a quand même fait tout ce qu’il fallait, à coups de fêtes, d’anniversaires surprises…

H.G. En 2007, au moment de la naissance de son fils, Jeanne m’avait demandé si sa mère pouvait venir avec nous en vacances sur le bateau. Ce qui était une requête ubuesque. C’est un petit endroit, je n’avais pas l’habitude de fréquenter Miou-Miou et on ne sait jamais ce qui peut sortir de ces huis clos. Ça pouvait être 15 jours préjudiciables. Mais Jeanne m’a dit : « Ce serait vraiment important d’avoir mon père et ma mère autour de moi pour les premières vacances de mon fils. » Mon cœur a fondu. Et ce furent des vacances formidables.

J.C. Et maintenant, elles se voient en dehors de moi !

Vous êtes proche de vos anciennes compagnes, Julien ?

J.C. Oui, j’ai de bons rapports avec Miou-Miou comme avec Virginie. Il n’y a que France [Gall] que je ne vois plus, mais je ne suis pas resté très longtemps avec elle. Et nous avions 20 ans… Dans toutes mes histoires, j’ai eu mes torts, mais j’ai toujours essayé de ne pas utiliser mes enfants dans mes disputes. C’est la leçon que j’ai tirée de ma propre histoire… Même tout petit, je ressentais que ma mère m’en disait trop. Il y a plein de choses que j’aurais préféré ne pas savoir.

H.G. Pendant un an et demi, par exemple, pour que Vanille et Barnabé gardent leur foyer, c’était Virginie puis Julien qui occupaient la maison une semaine chacun. Ce n’était pas confortable, mais c’était super.

Cette année, vous avez découvert la trahison de votre agent, votre plus ancien ami. Est-ce qu’une nouvelle vie, une nouvelle carrière démarrent pour vous ?

J.C. Nous avons pris avec Bertrand de Labbey la décision de mettre fin à notre collaboration, un long parcours de 48 ans. Aujourd’hui, je suis devant une grande page blanche, j’arrive à un moment de ma vie où il va falloir que je trouve un nouveau contrat avec une maison de disques, un nouveau management, un nouveau producteur de tournées. Hélène et moi allons ensemble nous intéresser à ces questions.

H.G. À partir du moment où Julien doit prendre des décisions, faire des choix, c’est vrai qu’on le fait tous les deux. On écoute à deux. Mais c’est lui qui sait ce qu’il veut.

Julien, vous semblez plus occupé que jamais. Un album pour l’an prochain, une tournée en 2018…

J.C. Tant que je chante, ça va ! La tournée qui ne s’arrête jamais, comme celle de Bob Dylan, ça me plairait bien. C’est la vie que je me suis choisie : s’il y a un piano, j’y vais.

Vous comptez rentrer en France prochainement. La vie à Londres ne vous plaît plus ?

J.C. On reste jusqu’à la fin de l’année scolaire, mais avec ma prochaine tournée, il semblerait que vivre à Paris soit plus simple. Nous n’avons jamais vécu séparément… Quand je suis à moins de 300 km de Paris, je rentre après mes concerts. Au moins, on dort et on se réveille ensemble. Et si je chante à Marseille, Hélène me retrouve.

Vous êtes proches du couple Sarkozy. Les avez-vous vus depuis l’échec de l’ancien président ?

J.C. Non. Mais nous avons suivi cela de près. Jusqu’alors, je ne lui avais jamais envoyé de SMS. Ce soir-là, je lui ai écrit pour lui dire qu’il s’était montré tel que ses amis le connaissent et l’aiment. Il était d’une grande dignité. Même ses ennemis politiques l’ont reconnu. Cette primaire a donné une bonne image de la démocratie française. Mais il reste de vraies réformes à faire, me semble-t-il. Il y a quand même un déficit du mieux vivre ensemble dans ce pays, et c’est la chose que devra régler le prochain président de la République.

Quand on parle de vous deux, on entend souvent les mots « élégance », « sobriété » et « discrétion ». Ça vous va ?

J.C. Il faudrait ajouter « fusionnels » ! Je suis également assez fier de mes enfants qui ne courent pas après l’argent, qui ont des bonnes valeurs. C’est ce que j’ai essayé de leur montrer. Plus jeune, quand on terminait une chanson avec Étienne Roda-Gil et Jean-Claude Petit, on se regardait tous les trois et on se disait : « Ça va, c’est digne. » Alors quand je regarde ma vie aujourd’hui, je me dis : « Ça va, c’est digne. »

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