ENTREVUE AVEC CATHERINE HAREL BOURDON, PRÉSIDENTE DE LA CSDM

« Pour nous, tous les employés devraient travailler à visage découvert »

La Commission scolaire de Montréal (CSDM) demande des balises du gouvernement québécois pour notamment lui permettre d’exiger de ses employés qu’ils travaillent à visage découvert. Entrevue avec Catherine Harel Bourdon, présidente de la CSDM, après son audition cette semaine au parlement dans le cadre du projet de loi favorisant la neutralité religieuse de l’État.

Dans votre avis, vous réclamez que la future loi fasse en sorte que les employés d’institutions comme la vôtre soient tenus de travailler à visage découvert. Pourquoi ?

C’est d’abord une question de sécurité, dans la mesure où nous avons la responsabilité de personnes mineures. Dans le projet de loi, il est question de ne l’exiger que lors de la « prestation du service ». Est-ce à dire qu’un employé qui ne fait pas affaire directement avec un élève ou un parent pourrait être voilé ? Pour nous, tous les employés devraient travailler à visage découvert.

Vous dites que c’est « d’abord » une question de sécurité. Y a-t-il donc d’autres raisons qui justifient votre requête ? En faites-vous aussi une question de principe ?

Oui, on peut le dire, dans le sens où une commission scolaire est une institution laïque.

Mais dans la vraie vie, est-ce que cela arrive que des employées se présentent avec une burqa ?

C’est en fait arrivé de la part d’élèves, à l’éducation aux adultes. Nous avons dû spécifier que les cours devaient être suivis à visage découvert.

Vous dites que la gestion des congés religieux est lourde pour vous. Dans quel sens ?

En moyenne, nous avons 500 demandes du genre. Ça crée de la tension au sein du personnel [les congés supplémentaires pour motif religieux sont rémunérés], et c’est parfois difficile à gérer. En début d’année, pour la même fête, une seule école secondaire a reçu 17 demandes. Au total, ces demandes de congés supplémentaires payés nous coûtent 150 000 $. C’est bien peu sur un budget de 1 milliard, mais en ces temps de compressions, c’est quand même le salaire de deux ou trois orthopédagogues.

Le projet de loi de Québec propose que l’employé qui demande un congé pour des motifs religieux offre une contrepartie, qu’il modifie son horaire de travail, utilise les heures de sa banque de temps ou s’engage à reprendre les heures travaillées. Est-ce une bonne idée ?

Le problème, c’est qu’un arrêt de la Cour suprême nous dit qu’on ne peut rien exiger de tel. [La Cour suprême a statué en 1994 que le paiement du salaire des enseignants de religion juive n’imposait pas un fardeau financier déraisonnable.] La loi québécoise peut-elle aller à l’encontre de ce qu’a statué la Cour suprême ? On ne veut certes pas s’exposer à des poursuites qui pourraient nous mener jusqu’en Cour suprême, ce qui coûte très cher.

Devez-vous trancher beaucoup d’autres demandes d’accommodements ?

Normalement, en discutant avec les parents, ça se passe très bien. Ce que nous avons dû autoriser, c’est le burkini. Nous avons des piscines dans quatre écoles secondaires, et la natation fait partie du programme. Autrement, il est arrivé que des parents refusent que leur enfant suive le cours de musique, pour un motif religieux. Certaines sorties au musée sont aussi parfois problématiques. Et pour toutes sortes de raisons, religieuses ou pas, les sorties à la piscine de quartier, qui sont souvent offertes par le service de garde de l’école, posent régulièrement problème.

Comment tranchez-vous quand il s’agit de cours de musique ou de sorties au musée ?

Au musée, en faisant en sorte que le travail demandé ne porte pas sur un nu, par exemple. De façon générale, ça se règle facilement, mais il arrive qu’on n’arrive pas à s’entendre. Certains parents ont ainsi retiré leur enfant de l’école, et comme les commissions scolaires sont guidées par les mêmes principes, tout indique alors que les enfants sont envoyés vers le réseau des écoles privées [religieuses].

Que demandez-vous à Québec ?

Que le gouvernement légifère pour mettre en place un socle de principes clairs.

Croyez-vous que ça se fera ?

En allant faire notre présentation au parlement, cette semaine, nous voulions faire comprendre quelle était notre réalité sur le terrain. Pour le raconter, nous avons parlé au préalable avec une vingtaine de directeurs d’école […] qui, entre autres choses, ont dit s’inquiéter de voir des enfants aussi jeunes que 7 ou 8 ans commencer à se voiler. Il y a quelques années encore, ça n’arrivait qu’au secondaire ou à la toute fin du primaire.

Mais là-dessus, les commissions scolaires n’ont pas à se prononcer.

En effet. C’est ici un constat.

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