Construction

Construit sans permis, un porche devra être détruit

Agrandir sa maison sans permis coûte cher. Alexandre Roberge, un traducteur de 45 ans, l’a appris à ses dépens. Même s’il a fait les choses dans les règles de l’art et que son bungalow est l’un des plus beaux de son quartier, dans l’arrondissement montréalais de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, il va devoir démolir la petite rallonge qu’il a fait construire sur le côté. 

« Le citoyen n’a pas obtenu de permis pour les travaux d’agrandissement [porche], car l’alignement de construction n’était pas respecté. L’agrandissement demandé était donc non conforme. Puisque le porche a été construit sans permis, il n’est pas recevable en dérogation mineure et devra donc être démoli », explique Nadia Said, chargée de communication à l’arrondissement.

M. Roberge n’est certes pas le seul dans son cas. Mais il habite dans un secteur doté de règles particulières, appelé Village Champlain, dans l’est de la ville. Délimité par la rue Sherbrooke, au nord, la rue Hochelaga, au sud, la rue Liébert, à l’est, et la rue Lepailleur, à l’ouest, cet ensemble résidentiel a été construit sur d’anciennes terres agricoles au début des années 50.

Il compte environ 400 bungalows, vendus 6350 $ chacun à l’époque : 1100 $ au moment de l’achat et 37 $ par mois durant cinq ans, ou 29 $ par mois durant 15 ans…

PLUSIEURS MAISONS DÉJÀ RÉNOVÉES

En 2004, Mercier–Hochelaga-Maisonneuve a adopté un règlement pour préserver le caractère homogène de ce secteur même si plusieurs maisons ont subi, au fil des ans, des modifications importantes : recouvrement en clins d’aluminium ou en pierre rustique, agrandissement sur le côté, ajout de deuxième étage, fenêtre en baie en façade… Ce règlement est un plan d’implantation et d’intégration architecturale (PIIA).

Depuis, les propriétaires qui désirent faire des travaux doivent soumettre une demande au conseil de leur arrondissement. S’il est conforme, le projet est acheminé au comité consultatif d’urbanisme (CCU), qui évalue son aspect qualitatif en vertu du PIIA.

« J’aimerais qu’on se questionne sur l’applicabilité de ce règlement adopté en 2004. Il vient encadrer quoi ? Il reste à peine 15 % des maisons non rénovées. »

— Alexandre Roberge, propriétaire

M. Roberge déplore aussi l’attitude des employés qui délivrent les permis dans son arrondissement. « Je peux comprendre l’intérêt de vouloir protéger et encadrer les rénovations, précise-t-il. Mais, à la Ville, ils sont très baveux. On m’a dit que la beauté, c’est subjectif. Ma maison, je le sais, est dans les belles du quartier, parmi celles qui ont été bien rénovées. Mais l’arrondissement ne fait pas de compliments. C’est juste des punitions. »

Ce propriétaire a voulu se conformer en faisant une demande de permis pour changer sa porte arrière pour une porte-fenêtre et construire un porche sur le côté de sa maison, où se trouvait déjà une entrée avec des murets en béton et un toit. L’agrandissement proposé respectait l’empreinte au sol de son ancienne entrée. Mais ce permis lui a été refusé en raison du PIIA. Dans l’espoir de trouver un terrain d’entente, M. Roberge a téléphoné au directeur de son arrondissement, mais celui-ci ne l’a pas rappelé, dit-il. Au bout de huit mois, croyant naïvement qu’on l’avait oublié, il a procédé sans permis.

ENQUÊTE ET POURPARLERS

Résultat : en juin, le propriétaire a reçu un avis d’infraction. Il a plaidé non coupable et devra se présenter en cour municipale en mars prochain. Mais, entre-temps, M. Roberge a porté plainte au Bureau de l’ombudsman de Montréal parce qu’il se sentait lésé. Au terme d’une petite enquête et de pourparlers, la Ville a accepté sa porte-fenêtre, mais pas son porche, qu’il devra démolir.

« Les conclusions du rapport de l’Ombudsman de Montréal à ce sujet révèlent que l’interprétation de l’arrondissement en la matière ne peut être qualifiée de déraisonnable », précise Mme Said, chargée de communication. 

« Comme l’agrandissement a été réalisé malgré l’absence de permis, l’arrondissement est en droit de demander sa démolition. Ainsi, l’enquête n’a pas permis de conclure que le citoyen aurait subi un traitement injuste ou inéquitable de la part de l’arrondissement. »

— Nadia Said, chargée de communication à l’arrondissement Mercier–Hochelaga-Maisonneuve

M. Roberge continue pourtant à croire qu’il a été maltraité par son arrondissement.

« Je n’irai pas voir un avocat, assure-t-il. Je n’ai pas d’argent à mettre là-dedans. Je veux vivre. Mais je suis anxieux depuis un an. Je suis batailleur, c’est vrai. Je suis pour la justice, c’est ça, l’affaire. Je trouve injuste que, parce que j’ai demandé un permis pour tout, on m’a scruté, on m’a achalé pour tout. Pis, mes travaux sont beaux, en plus. Comparons donc le résultat avec les horreurs du quartier. À mon avis, c’est une valeur ajoutée par rapport à l’existant. »

« ÉVITER LES MASSACRES »

Le gros problème, selon les experts interrogés par La Presse, c’est que M. Roberge a procédé sans permis.

« À partir du moment où on fait des travaux sans permis, on est dans une situation très difficile, assure Gérard Beaudet, professeur d’urbanisme à l’Université de Montréal. C’est vrai que le PIIA allonge les délais, mais quand on veut éviter les massacres auxquels on a assisté dans le passé, il faut prendre les moyens. Ça a des bons côtés, mais ça a aussi des côtés agaçants. » 

Anne Cormier, professeure à l’École d’architecture de l’Université de Montréal, pense aussi que M. Roberge s’est mis les pieds dans les plats. 

« Je suis désolée pour lui, mais il n’aurait pas dû faire des travaux sans permis. »

— Anne Cormier, architecte

L’architecte rappelle que les PIIA ont été adoptés par des villes et des arrondissements pour empêcher le « n’importe quoi ».

« Les règles ne sont jamais parfaites, même si elles ont été mises en place avec la meilleure volonté du monde, assure-t-elle. Ce n’est jamais noir ou blanc. Chaque cas a ses particularités. On peut trouver le processus un peu lourd, mais, en même temps, ça empêche le n’importe quoi. Autrement, les grands promoteurs, avec beaucoup d’argent, pourraient faire tout ce qu’ils voudraient. La moitié du centre-ville de Montréal serait probablement rasée demain matin. On serait dans une tout autre ville dans 5 à 10 ans. Est-ce que c’est ça qu’on veut ? La réponse, c’est clairement non. »

Reste que ces PIIA sont des outils qu’il faut utiliser avec beaucoup de doigté, rappelle M. Beaudet. « Je le dis toujours à mes étudiants : quand on travaille avec un PIIA, la marge entre le discrétionnaire et l’arbitraire est très mince. » 

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