Chronique

Des pharmaciens par la poste

Benoît Picard et Karl Desjardins ne sont pas des pharmaciens comme les autres. Le concept qu’ils lancent la semaine prochaine est à l’opposé de la pharmacie traditionnelle du coin de la rue où on trouve de tout, même un ami.

Ne cherchez pas de papier de toilette en solde, de parfum ou de chocolat dans leur petite pharmacie installée quasi incognito sur la rue Louvain, à Montréal. Eux se concentrent sur les médicaments. Et sur les coûts.

Avec leur modèle de pharmacie 2.0, ils misent sur la technologie et les économies d’échelle pour réduire les prix des médicaments qu’ils vont livrer gratuitement par la poste à travers le Québec. Les médicaments arrivent en 24 à 48 heures, à la maison, au bureau, au chalet, pour accommoder les patients pressés, comme ceux en perte d’autonomie.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que les deux pharmaciens ont fait leurs devoirs avant de se lancer en affaires. Diplômés en 2010, tous deux ont aussi fait leur droit ainsi qu’une maîtrise en administration des affaires (MBA).

Grâce au concept novateur qu’ils mijotent depuis un an, ils espèrent réduire l’écart de prix de 17 % entre les assurés du privé et ceux du public, que je dénonçais justement dans ma chronique de la semaine dernière.

Pour mieux contrôler les coûts, les pharmaciens vont favoriser le renouvellement tous les trois mois pour des patients qui ont une maladie chronique stable. De cette façon, les clients paieront moins cher en honoraires que s’ils allaient voir leur pharmacien tous les mois.

Les pharmaciens encourageront aussi le recours aux médicaments génériques, qui restent sous-utilisés même s’ils sont moins dispendieux. Au Québec, l’utilisation des génériques dans les régimes privés se limite à 56 % par rapport à 77 % du côté public, selon l’Association canadienne du médicament générique.

Enfin, la pharmacie Picard & Desjardins souhaite fouetter la concurrence grâce à son outil web qui permettra aux internautes de comparer les prix des médicaments.

Cette transparence est la bienvenue dans l’industrie opaque de la pharmacie, où les assurés ont souvent du mal à comparer les prix des médicaments. Sans compter que plusieurs consommateurs ne savent même pas que les prix varient d’une pharmacie à l’autre.

Pourtant, les écarts sont significatifs. À preuve, trois boîtes d’un médicament générique contre la migraine coûtent 159,19 $ chez Picard & Desjardins, d’après son outil web. Le même médicament coûte 25 % plus cher, soit 199,99 $, dans une grande pharmacie du même quartier. Ça fait réfléchir…

Claude Montmarquette se réjouit de l’arrivée de ce nouveau modèle de pharmacie, lui qui a déjà mené une étude fouillée sur la transparence des prix des médicaments. « C’est excellent ! Je suis totalement en faveur de tout ce qui est innovation et application de la nouvelle technologie », lance le président-directeur général du CIRANO.

À son avis, Québec doit poursuivre dans cette voie. « Les économies qui vont survivre sont celles qui vont rapidement accepter ces transitions. Le Québec a suffisamment de talents, il faut leur laisser la chance de s’épanouir », dit-il.

Inutile de se mettre la tête dans le sable. Aucun secteur ne peut échapper à l’avancement de la technologie qui a révolutionné le commerce de détail en supprimant les intermédiaires, réduisant les coûts et refilant les économies aux clients.

On en a eu un autre exemple spectaculaire la semaine dernière. Le géant Unilever a payé 1 milliard de dollars US pour Dollar Shave Club, une jeune entreprise américaine qui livre des rasoirs à bas coûts par la poste. Si vous avez envie de rire, allez voir l’hilarante publicité de son président sur le web.

Évidemment, les médicaments ne sont pas comme des rasoirs. Il y a des précautions à prendre pour assurer la qualité du produit (ex. : certains médicaments sont livrés dans des enveloppes réfrigérées).

Mais surtout, le médicament doit venir avec un service personnalisé, afin de respecter le Code de déontologie. C’est pourquoi, chez Picard & Desjardins, un pharmacien sera au bout du fil ou disponible sur place pour aider les patients.

« Le pharmacien n’est pas qu’un distributeur de médicaments. Il y a un service qui doit venir avec ça. Le service peut se faire en personne, au téléphone, de toutes sortes de façons. Nous, on va s’assurer que le service soit rendu et qu’il soit de qualité », indique Bertrand Bolduc, président de l’Ordre des pharmaciens du Québec.

Mais au Québec, les pharmacies postales auront un défi de plus que dans le reste du Canada et aux États-Unis, où une ordonnance sur trois est envoyée par la poste.

Chez nous, les compagnies d’assurance n’ont pas le droit d’obliger leurs assurés à consulter un pharmacien plutôt qu’un autre.

Et les pharmaciens n’ont pas le droit d’offrir des cadeaux aux employeurs pour qu’ils encouragent leurs troupes à consulter leur pharmacie. Si les employeurs choisissent de le faire, ce sera uniquement parce qu’ils réalisent que cela peut réduire les coûts, pour eux et pour leurs employés.

Voilà qui explique certainement pourquoi le concept de la pharmacie postale reste pratiquement absent du Québec, à une exception près : PharmaGo, installée sur la rue Sherbrooke, à Montréal, dont 85 % de la clientèle reçoit ses médicaments par la poste… depuis près de 20 ans.

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