Le golf de la discorde

Le Golf de L’Île-des-Sœurs vient de rouvrir après une fermeture de plus d’un an. Il a changé de nom et de vocation et veut séduire maintenant, à gros prix, la clientèle de Québec inc. Mais parviendra-t-il à faire la paix avec les autorités municipales et le ministère de l’Environnement, avec qui il est en conflit depuis 2010 ? 

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Conflits autour des verts

Le Golf de L’Île-des-Sœurs a fermé en novembre 2016. Et bien qu’il soit officiellement ouvert depuis le 30 juillet dernier, il est pratiquement vide. 

La raison est simple : depuis sa réouverture, le golf, situé sur un terrain qui appartient à la Ville de Montréal, n’admet que les membres en règle. Ceux, très peu nombreux jusqu’à présent, qui paient le prix pour fouler les verts. Le forfait est de 10 000 $ par an pour les gens de 18 à 30 ans, de 15 000 $ pour les plus âgés, et de 25 000 $ pour les membres d’affaires, qui peuvent inviter jusqu’à 3 clients par jour, 365 jours par année.

Le terrain comporte neuf trous. Et il s’agit d’une normale 32, donc d’un parcours plus petit que la norme.

« C’est excessif ! », lance l’ancien maire de Verdun, Claude Trudel, qui était aux commandes de l’arrondissement quand le projet du Golf de L’Île-des-Sœurs a été approuvé, en 2006. « Ce golf n’est pas un golf privé. Notre objectif était de permettre aux gens de jouer sur l’Île à un prix raisonnable. L’intention était très claire : il fallait que ce soit ouvert au public. »

« Ça n’a pas de bon sens, ajoute l’actuel maire de Verdun, Jean-François Parenteau. On a demandé un avis juridique sur la mission du golf, à la fin de la semaine dernière. »

« Ce n’est pas écrit noir sur blanc qu’il doit être accessible à tout le monde, mais dans ma compréhension, c’est un golf pour le public. Il y a une grande déception chez les citoyens qui ont l’impression de s’être fait flouer. »

— Jean-François Parenteau, maire de Verdun

« Tout le monde est invité à s’abonner à nos forfaits, rétorque le propriétaire du golf, Pierre Emond. Nous ne sommes pas un club privé. Les gens du public peuvent s’abonner. »

André Legault, résidant de L’Île-des-Sœurs, se dit déçu de la nouvelle politique tarifaire du club. « Je suis sidéré, commente celui qui habite dans le secteur. Le terrain appartient toujours à la municipalité de Verdun. Je vois mal comment les autorités municipales vont réagir à cette absurde proposition. » Tout comme l’ancien maire Claude Trudel, lui aussi amateur de golf, André Legault préfère aller à Saint-Lambert, où jouer neuf trous coûte autour de 25 $ et où la carte de membre n’est pas exigée.

À titre de comparaison, le club de golf Le Mirage, qui jouit d’une excellente réputation, comprend deux parcours de 18 trous et offre un abonnement illimité à 5700 $ par année. Et le très sélectif Club Laval-sur-le-Lac, qui compte 475 membres, exige un coût d’entrée de 25 000 $ et une somme de 10 000 $ par année pour jouer sur ses deux parcours de 18 trous.

« M. Emond a fait des aménagements coûteux et mis beaucoup de soin à rendre son terrain de golf attrayant. Ça sert à quoi ? Comme ancien maire et citoyen de Verdun, j’ai l’impression qu’il va faire échouer le projet. »

— Claude Trudel, ancien maire de Verdun

« Et ce qui m’agace le plus, c’est de voir que l’objectif poursuivi n’est pas atteint. Les gens de l’île réclamaient un golf accessible. Or, il n’est pas accessible. Il est resté fermé pendant presque deux ans et il y a toujours des problèmes et des chicanes. »

Démêlés

Ce n’est pas la première fois que le propriétaire du golf réserve des surprises aux élus. Depuis l’ouverture du parcours de neuf trous, en juillet 2010, Pierre Emond a eu de nombreux démêlés avec l’arrondissement de Verdun et le ministère de l’Environnement pour non-respect de certaines clauses de son contrat.

Au cœur du litige : le fait que ce golf refuse de remplir une condition essentielle à son permis de golf écologique, soit de s’approvisionner avec l’eau du fleuve plutôt qu’avec l’eau potable de la Ville.

La Ville lui a remis, la semaine dernière, quatre avis de non-conformité. Elle lui reproche notamment d’avoir fait installer 40 lumières sur son terrain d’entraînement sans en avoir eu l’autorisation. « Jamais on ne lui aurait permis de les mettre », assure M. Parenteau.

De son côté, M. Emond assure être en règle avec les autorités, même s’il admet avoir eu des ennuis dans le passé.

LE TERRAIN

Le golf, rebaptisé Golf Exécutif Montréal, est aménagé sur un ancien lieu d’enfouissement de 260 000 m2 qui appartient à la Ville. Il est situé à 10 minutes du centre-ville, bordé au nord par le fleuve Saint-Laurent et au sud par le lac des Battures et la forêt. Le parcours est impeccable et offre des vues superbes sur les gratte-ciel de Montréal. Son slogan ne laisse aucun doute sur la nouvelle clientèle ciblée : « Le Québec inc. ne sera plus jamais le même ».

En 2006, à la demande du Groupe IGG, formé d’investisseurs de L’Île-des-Sœurs, l’arrondissement de Verdun a conclu une entente de principe pour l’aménagement d’un terrain de golf à L’Île-des-Sœurs. Cette entente prévoit un contrat de bail emphytéotique de 40 ans. Le bail emphytéotique est un bail de longue durée conclu à des conditions avantageuses pour le locataire, qui s’engage en contrepartie à faire des travaux d’amélioration du bien loué. Le Groupe IGG a par la suite été acheté par Pierre Emond, devenu l’unique propriétaire. « C’est là que les problèmes ont commencé, dit l’ancien maire Trudel. Depuis ce temps-là, passez-moi l’expression, ç’a été le bordel. »

M. Emond a souvent eu maille à partir avec l’arrondissement de Verdun. Il a contrevenu à plusieurs règlements municipaux (empiétement sur la propriété de la Ville, construction non autorisée d’un talus et d’un mur, affichage non permis, fermeture illégale) et refuse toujours de respecter certaines exigences environnementales, selon le maire de Verdun. « Gérer son dossier, c’est une job à temps plein », déplore Jean-François Parenteau.

En 2009, le ministère de l’Environnement lui a remis un certificat d’autorisation pour l’aménagement et l’exploitation d’un terrain de golf de neuf trous. À la condition que ce soit un golf écologique. Ce certificat prévoit la construction d’un marais, d’un bassin de rétention et l’aménagement d’une prise d’eau dans le fleuve Saint-Laurent et d’une station de pompage. Mais le maire de Verdun est formel : « M. Emond arrose son golf avec de l’eau potable. » 

La Ville a fait installer une station de pompage, en 2013, au coût de 1,1 million, pour alimenter les bassins de cette portion de l’île. M. Emond devait assumer sa part, c’est-à-dire la moitié de la facture, pour se brancher sur la station et utiliser l’eau du fleuve. Mais, selon le maire Parenteau, il refuse de payer. Le ministère de l’Environnement le poursuit depuis 2014 pour avoir commis trois infractions à la Loi sur la qualité de l’environnement. Le procès doit avoir lieu les 29 et 30 novembre prochains.

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Un projet de 27 millions de dollars

Pierre Emond est un homme confiant. Il ne doute pas deux secondes du succès de son golf aménagé sur un ancien lieu d’enfouissement de L’Île-des-Sœurs, transformé en « sanctuaire écologique ». 

« C’est un des plus beaux neuf trous au monde ! », jure-t-il.

Mais aussi « le golf le plus intelligent au monde », doté de « la première cuisine végane au monde », de « la technologie la plus avancée au monde » et de « la plus belle terrasse de Montréal ».

Deux semaines après l’ouverture officielle, M. Emond a accepté de nous faire faire le tour du propriétaire en voiturette de golf propulsée à l’énergie solaire.

Le parcours de neuf trous existe depuis 2010, mais il vient de rouvrir après avoir été fermé pendant presque deux ans. La raison ? La construction d’un club house, d’une académie de golf et d’un champ d’entraînement amélioré. M. Emond attendait aussi l’aval de l’arrondissement de Verdun pour faire une demande de permis d’alcool, ce qu’il a obtenu l’an dernier.

« On minimise l’épandage de pesticides et d’herbicides », assure-t-il en roulant sur les sentiers du parcours entièrement réasphaltés.

« Ici, on va planter des arbres. Là, on laisse les herbes sauvages pousser. C’est bon pour le terrain et ça nous rapproche de Monet ! On a beaucoup d’oiseaux, de tortues et de canards. »

Avec, au loin, la spectaculaire ligne d’horizon de la ville.

M. Emond n’a pas lésiné sur les moyens : club house largement fenestré, construit en bois écologique de la région de Chibougamau, salons de golf virtuel à la fine pointe de la technologie, champ d’entraînement illuminé, à l’abri des intempéries, salle polyvalente pouvant accueillir jusqu’à 125 personnes, terrasse avec vue sur le centre-ville, cuisine exclusivement végétalienne.

« On a fait de grands travaux d’optimisation pour amener le terrain à un niveau de classe mondiale. On a mis une fortune pour amener le terrain au niveau PGA. On n’est pas loin. »

— Pierre Emond, propriétaire du Golf de L’Île-des-Sœurs

Total de son investissement ?

« C’est un projet de 27 millions de dollars », précise-t-il.

Un des plus grands avantages du golf est sa proximité avec le centre-ville, croit l’homme d’affaires.

« On a le spot. Aujourd’hui, les gens sont pressés dans la vie. En venant ici, ils sauvent énormément de temps. »

« On offre un golf pour les gens d’affaires, ajoute Guillaume Alexandre, son bras droit. On peut arriver ici à 7 h, jouer un neuf trous et être au centre-ville à 9 h, par exemple. C’est une expérience unique. Ça prend un peu d’éducation pour le comprendre, ou beaucoup d’intelligence ! »

Ça fonctionne ?

« Oui. On commence à signer des abonnements. Ça va être un très grand succès. Il va y avoir une liste d’attente », assure le propriétaire, qui possède l’entreprise Envirocycle et la Place Le Moulinier, à Magog. « On va contribuer à l’essor économique du Québec. Le Québec inc. ne sera plus jamais le même. »

M. Emond vient d’acheter un autre golf, le Club Inverugie, à Georgeville, qui appartenait à la famille McTavish depuis 40 ans. Il l’a fermé pour la saison et promet d’en faire un « projet très spécial ». 

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