Chronique

Racisme et trottinette

Pressé la semaine dernière par Québec solidaire de mettre sur pied une commission de consultation sur le racisme systémique, le gouvernement libéral dit toujours vouloir réfléchir à la question. À la mi-août, le premier ministre Philippe Couillard a promis une réflexion « sérieuse » sur le sujet et non un « cirque de blâmes mutuels ».

Réfléchir est le plus souvent une bonne chose, surtout quand le sujet est un enjeu de société important. Mais d’ordinaire, quand je réponds à mes enfants « je vais réfléchir », ils savent qu’il y a 99 % de chances que cela soit un « non » déguisé en réflexion.

À CBC, mardi, la ministre de l’Immigration Kathleen Weil, par la voix de son attachée de presse, disait qu’elle travaillait à trouver « la meilleure approche pour une consultation constructive ». La nouvelle faisait suite au dépôt jeudi dernier d’une pétition à l’Assemblée nationale rassemblant plus de 2600 signataires en faveur d’une commission de consultation sur le racisme systémique.

Rappelons que l’idée avait été lancée au printemps dernier par Émilie Nicolas, présidente de Québec inclusif, Will Prosper, documentariste et fondateur du mouvement Montréal-Nord Républik, Suzie O’Bomsawin, du Réseau jeunesse des Premières Nations du Québec et du Labrador, et Haroun Bouazzi, de l’Association des musulmans et des Arabes pour la laïcité.

À quoi servirait une commission de consultation sur le racisme systémique ? Il ne s’agit pas de faire le procès du Québec, rappellent les signataires de la pétition. Il ne s’agit pas non plus d’organiser un grand défouloir où des gens de minorités viendraient crier des noms à l’ensemble des Québécois et vice-versa. Il s’agit plutôt de tenter de comprendre le phénomène pour mieux s’y attaquer. Et pour le comprendre, il importe qu’une commission sur le sujet donne la parole à ceux-là mêmes qui subissent les effets du racisme systémique, y compris les Autochtones.

De la même façon qu’il serait mal avisé de décider entre hommes des meilleures mesures pour améliorer la condition des femmes, il serait tout aussi mal avisé de ne pas inclure dans une commission sur le racisme systémique les principaux concernés.

Quand on parle de racisme systémique, on ne parle pas d’une affaire individuelle ou du comportement méchant d’une personne, rappelle Émilie Nicolas, en soulignant que la notion est souvent très mal comprise. C’est plus complexe, plus subtil et souvent inconscient. « On parle de pratiques institutionnelles. Même si certaines personnes racisées réussissent très bien, les statistiques ne sont pas de leur bord. »

Admettre que le racisme systémique existe – comme l’admet déjà le gouvernement –, c’est aussi admettre que les structures de pouvoir, où les minorités brillent par leur absence, font partie intégrante du problème et sont mal placées pour dicter de haut une solution. « Pour nous, ce n’est pas satisfaisant que le gouvernement avec ses experts ponde une solution », me dit le député Amir Khadir.

Certains font valoir qu’une commission de consultation serait inutile, car le Québec dispose déjà de données et d’outils pour passer à l’action. Ne vaudrait-il pas mieux agir plutôt que de mener des études et des consultations ? C’est oublier que l’un n’empêche pas l’autre. Le fait de mieux documenter le phénomène ne saurait freiner la mise en place immédiate de mesures pour lutter contre toute forme de racisme.

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Quand le gouvernement dit vouloir trouver la « meilleure approche pour une consultation constructive », faut-il en comprendre qu’il accepte de mettre sur pied sur une commission de consultation sur le racisme systémique dont la forme exacte serait à préciser ? Pas exactement, me dit l’attachée de presse de la ministre Kathleen Weil, Gabrielle Tellier. Pour l’heure, le gouvernement ne dit encore ni oui ni non à une commission de consultation. La ministre est encore en train de déterminer quel « véhicule » serait le meilleur pour aborder cet enjeu. « On veut le bon véhicule pour avoir la conversation la plus optimale sur le sujet. »

Faut-il voir dans cette recherche du véhicule idéal un faux-fuyant ou une réelle réflexion ? Aura-t-on le courage de monter dans un train électrique avec zéro émission d’iniquités que serait une véritable commission de consultation sur le racisme systémique ? Ou se contentera-t-on d’une trottinette de vœux pieux que serait un simple forum consultatif pour se donner bonne conscience ?

RACISME SYSTÉMIQUE

Production sociale d’une inégalité fondée sur la race dans les décisions dont les gens font l’objet et les traitements qui leur sont dispensés. L’inégalité raciale est le résultat de l’organisation de la vie économique, culturelle et politique d’une société.

(Source : Barreau du Québec, mémoire déposé à la consultation sur le profilage racial de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, juin 2010)

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