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La Fédération des inventeurs du Québec dans l’embarras

L’organisme est visé par une énième poursuite et des allégations de pratiques « frauduleuses »

Déjà visé par le dépôt d’une demande de recours collectif comptant 75 participants, l’enregistrement d’une cinquantaine de plaintes à l’Office de la protection du consommateur et une dizaine de poursuites d’entrepreneurs aux petites créances, la Fédération des inventeurs du Québec continue de susciter la grogne de ses clients.

Se disant floué par l’« incompétence manifeste » et des pratiques « frauduleuses » de la Fédération des inventeurs du Québec, un inventeur de Rawdon vient d’intenter une poursuite totalisant 633 000 $ en dommage punitifs, pertes de profits et dommages-intérêts contre l’organisme et son unique administrateur, Christian Varin.

« Il faut qu’on sorte cet individu de la circulation. Si l’État n’est pas capable de le faire, on va s’en charger nous-mêmes », plaide l’avocat qui défend le plaignant dans cette histoire, MPierre-Paul Bourdages.

Son client, Robert Boudreau, reproche à M. Varin et sa Fédération d’avoir bâclé sa demande de brevet pour protéger son invention, un équipement permettant aux enfants de fabriquer des igloos sécuritaires. Il lui reproche aussi, à travers de « fausses représentations à caractère frauduleux », d’avoir omis de faire le suivi nécessaire pour s’assurer que le brevet demeurait valide au moment de la commercialisation.

Une demande d’autorisation d’action collective déposée l’année dernière par l’avocat Marc Antoine Cloutier au nom de 75 inventeurs allègue que la Fédération et M. Varin ont systématiquement donné des « services déficients », ont fait de la « fausse représentation » auprès d’inventeurs et se sont servis de l’entreprise comme d’un « écran de fumée afin de commettre diverses manœuvres frauduleuses ». L’action collective n’est toujours pas autorisée pour le moment.

Une « désastreuse aventure »

Créée en 2014, la Fédération des inventeurs du Québec se donne pour mission d’aider les inventeurs à obtenir un brevet, en disant faire, contre d’importants honoraires, les recherches dans les bases de données mondiales pour déterminer si leurs inventions sont brevetables ou non. Robert Boudreau a ainsi versé en 2015 plus de 3500 $ à M. Varin et sa fédération pour protéger son invention. Il a ensuite incorporé son entreprise – Igloo Tent – et a investi plus de 40 000 $ en frais d’ingénierie, de prototypage et de promotion de ce qui allait être une « désastreuse aventure », allègue la poursuite.

Un document déposé hier en Cour supérieure allègue que M. Varin n’a pas fait les démarches nécessaires pour obtenir un brevet permanent en son nom, forçant ultimement l’abandon du projet. M. Boudreau « doit se résoudre, complètement abattu et le cœur meurtri, de cesser définitivement son entreprise Igloo Tent », lit-on dans le document de poursuite.

Joint par La Presse, Christian Varin a rejeté catégoriquement ces allégations.

« On va se défendre. La recherche, pour ma part, c’est impeccable. Quand on rencontre des inventeurs, on leur dit que c’est important qu’ils s’occupent de leur invention. Ils voudraient qu’on fasse toutes les démarches, mais il faut qu’ils s’impliquent. »

— L’administrateur Christian Varin

Plusieurs éléments troublants dans les pratiques de la Fédération des inventeurs du Québec ont été dénoncés au fil des derniers mois par des dizaines d’inventeurs. Inventarium, une entreprise concurrente de la Fédération, dirigée par le policier à la retraite Daniel Paquette, s’est fait une mission de faire cesser les activités de M. Varin. 

M. Paquette a porté plainte à la police, multiplié les dénonciations auprès du ministère de l’Économie, de la Science et de l’Innovation (MESI) et tenté d’alerter plusieurs politiciens pour faire cesser les activités de la Fédération des inventeurs. Il s’est aussi adressé au Bureau américain des brevets pour demander une enquête, mais sans succès jusqu’à présent. M. Paquette ne décolère pas : « Tout le monde, des fonctionnaires aux policiers, se croise les bras en regardant le problème grandir et les victimes se multiplier. On a un sérieux problème de société », affirme-t-il.

De mystérieuses subventions

La Fédération des inventeurs prétend notamment sur son site web qu’elle remet 5 % de ses revenus en subvention aux inventeurs pour les aider à développer leurs projets, dans le cadre d’un programme appelé « Fonds d’aide inventeurs Québec ». Le plus important bénéficiaire de ce programme, selon un communiqué de la Fédération, Paul Tschäpät, aurait reçu 11 497 $ en subvention grâce au programme. Mais M. Tschäpät s’est montré surpris au téléphone lorsque La Presse lui a demandé s’il avait reçu un tel coup de pouce. « Je n’ai pas reçu d’aide financière ou de subvention de la Fédération. La seule somme que j’ai reçue – 6000 $ – est une avance pour la construction d’un système de recouvrement pour la piscine intérieure du Pavillon des inventeurs que M. Varin est en train de faire construire. C’est une avance sur des travaux qu’il m’a payée », a-t-il assuré.

Ce « pavillon » est un immeuble que la Fédération fait construire à Shefford afin d’offrir aux inventeurs un lieu « calme et champêtre » pour fraterniser et « finaliser leurs prototypes ». L’immeuble, qui n’appartient pas à la Fédération, mais plutôt au conjoint de M. Varin selon un bail emphytéotique de 20 ans, est actuellement visé par une hypothèque légale de 32 000 $ pour des travaux de construction non payés à l’entrepreneur UrbanEco inc. « Les contracteurs, ils font toujours ça. Dès qu’il y a une construction, ils mettent une hypothèque légale », soutient M. Varin en guise d’explication. Un autre fournisseur, Atmosphère Béton, poursuit la Fédération à hauteur de 6700 $ aux petites créances pour des travaux de plancher qui n’ont pas entièrement été payés pour l’immeuble de Shefford.

L’immeuble sera transféré à 100 % au conjoint de M. Varin à la fin du bail, selon les documents légaux obtenus auprès du Registre foncier du Québec.

Des programmes qui prêtent à confusion

Deux autres programmes mis de l’avant par la Fédération et M. Varin pour « promouvoir l’innovation » suscitent également d’importantes questions. La description d’un programme appelé « Prix inventeur Québec » est manifestement un simple copié-collé du site web d’un concours semblable organisé par l’Office européen des brevets. Des passages entiers du site de M. Varin sont en tout point identiques au descriptif du concours européen. « Ça se peut qu’on se soit inspirés de ça, dit-il. Il faut à un moment donné faire une rédaction. Ça fait deux, trois ans, j’ai pas souvenance de ça. »

Plusieurs inventeurs disent par ailleurs avoir été bernés avec un programme de la Fédération des inventeurs appelé « Mon Premier Brevet ». Celui-ci a officiellement été annoncé quelques mois avant que le MESI ne mette sur pied son propre programme au nom très semblable, appelé « Premier Brevet ». Grâce à des publicités payées, le programme de la Fédération est le premier lien qui s’affiche dans Google lorsqu’on fait des recherches sur la question au Québec.

Sébastien Drouault, inventeur d’une technique de transformation des bananes plantains qui poursuit la Fédération aux petites créances pour « travaux bâclés », affirme que M. Varin lui a « fait miroiter qu’il travaillait en collaboration avec le programme gouvernemental » du MESI, ce qui n’est absolument pas le cas.

Robert Boudreau soutient que la ressemblance entre le programme de la Fédération et celui du gouvernement l’a aussi induit en erreur. « Je ne connaissais rien à cet univers. C’était ma première invention. Le site de la Fédération avait l’air très professionnel, donnait l’impression qu’il y avait plein d’employés de soutien et que c’était lié au gouvernement. Finalement, ce ne l’était pas du tout. M. Varin n’a pas de professionnels qui travaillent avec lui, pas de conseil d’administration », lance-t-il.

Démarches floues des fonctionnaires

Au MESI, l’administrateur du programme gouvernemental Premier Brevet, Charles Goyette, a indiqué lors d’une brève conversation que des démarches avaient été faites pour remédier à la confusion, mais il n’a pas donné plus de précisions.

L’Office de la protection du consommateur, qui a pour sa part reçu plus de 50 plaintes contre la Fédération, dont une vingtaine pour « pratiques trompeuses ou déloyales », dit avoir délivré un avis d’infraction contre M. Varin en 2017 parce qu’il rencontrait ses clients sur la route sans avoir de permis de vendeur itinérant. Il a depuis obtenu ce permis. « Un retrait de permis n’empêcherait pas le commerçant de continuer ses activités. Il pourrait simplement cesser de faire du commerce itinérant », a indiqué par courriel le porte-parole Charles Tanguay. « Au plan pénal, pour envisager des poursuites, l’Office doit établir hors de tout doute raisonnable que des représentations trompeuses ont été faites ou que les consommateurs n’ont pas obtenu les services pour lesquels ils ont payé, le cas échéant », a ajouté M. Tanguay.

Dans sa poursuite, Robert Boudreau soutient que la Fédération est en fait une « coquille vide ayant pour seul et unique objectif de mettre le défendeur [M. Varin], seul et unique administrateur, dirigeant et employé de la défenderesse, à l’abri de toute responsabilité juridique ».

« Si je mets mon visage derrière ce recours, dit M. Boudreau, c’est parce que je me dis que peut-être ça va l’arrêter. Ça fait quatre ans qu’il arnaque le monde. Il faut que ça arrête. »

Un ancien associé de Barrette au passé trouble

Avant de mettre sur pied la Fédération des inventeurs du Québec, Christian Varin a brassé des affaires dans le monde des télécommunications et dans le domaine de la santé. Il compte parmi ses anciens associés le ministre de la Santé Gaétan Barrette, du temps où il dirigeait la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ).

C’est Christian Varin lui-même qui a contacté la FMSQ en 2011 pour lui proposer un projet d’affaires consistant à installer des tablettes électroniques destinées aux patients dans des hôpitaux du Québec. La FMSQ a alors créé l’entreprise Méditab inc., dont Gaétan Barrette était le président du conseil d’administration, et Christian Varin le président. L’actuelle présidente de la Fédération des médecins spécialistes, la Dre Diane Francoeur, était quant à elle administratrice de cette société.

Les tablettes, qui devaient être programmées par M. Varin, devaient servir d’outil de divertissement pour les patients, mais aussi d’outil de « vulgarisation médicale ». « C’était une bonne idée sur le plan conceptuel, mais ça s’est rapidement terminé, affirme Gaétan Barrette en entrevue avec La Presse. La population n’a pas adhéré au produit. » 

« La faisabilité n’était pas au rendez-vous et on s’est rendu compte que ce n’était pas notre “core business” », ajoute la Dre Nicole Pelletier, directrice des affaires publiques de la FMSQ.

Selon elle, la FMSQ a investi son propre argent dans l’aventure, mais un document obtenu grâce à la Loi sur l’accès à l’information révèle que Méditab a obtenu près de 13 000 $ de subventions gouvernementales en 2011 pour développer le projet.

Passé trouble

En 1991, une autre entreprise appartenant à Christian Varin, la Banque centrale des entreprises du Canada, avait déjà été condamnée à payer 4000 $ d’amende après avoir plaidé coupable à des accusations déposées par le Bureau de la concurrence du Canada. 

Le palais de justice de Montréal n’a plus aucune archive de la décision qui a été rendue à l’époque, mais un article publié un an plus tôt par le Montreal Gazette laisse croire que M. Varin se servait d’un document pratiquement identique à un formulaire gouvernemental pour solliciter indûment de l’argent auprès des entreprises devant se conformer à la Loi canadienne sur les sociétés par actions. 

Questionné à ce sujet par La Presse, M. Varin a dit n’avoir aucun souvenir de ces accusations. « J’ai peut-être plaidé coupable simplement pour éviter de payer trop de frais d’avocats », a-t-il suggéré.

— Tristan Péloquin, La Presse

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