EXAMENS DES FIRMES

Des symptômes préoccupants

Les principales firmes chargées de la construction du CHUM ont déjà eu meilleure mine. C’est particulièrement le cas du constructeur espagnol Obrascón Huarte Lain (OHL), a constaté La Presse. Y a-t-il un docteur dans la salle ?

LA PIRE PERFORMANCE

Le constructeur espagnol Obrascón Huarte Lain (OHL) est en très mauvaise forme. Sa filiale OHL Canada est un des chefs de file du consortium Construction Santé Montréal, responsable de la construction du nouveau CHUM.

Son titre a perdu plus de 70 % depuis un an. Il s’échange désormais dans la zone des 3 euros l’action à la Bourse de Madrid. Il y a deux ans, il valait 10 fois plus…

En 12 mois, OHL a connu « la pire performance » boursière du secteur construction et ingénierie, précise un analyste financier qui préfère garder l’anonymat.

En comparaison, la multinationale québécoise SNC-Lavalin a bondi de plus de 40 % durant cette période.

OHL était sortie indemne de la crise espagnole. Mais depuis, la firme est plombée par de mauvais résultats. Son plus présent rapport, publié en mai dernier, montre que sa rentabilité a fondu de moitié pour les trois premiers mois de son exercice 2016.

ALLÉGATIONS, AEMNDE ET FAILLITE

Mais ce n’est pas tout. Dans les derniers mois, la firme a géré plusieurs dossiers « chauds ».

En mai dernier, le Wall Street Journal a rapporté des allégations de corruption impliquant sa filiale mexicaine. Des enregistrements laissent entendre que des dirigeants d’OHL Mexico voulaient surfacturer un projet de concession d’autoroute. Les autorités mexicaines ont ouvert une enquête.

La porte-parole d’OHL, à Madrid, Mar Santos Fabian, réfute cette information. « OHL Mexico considère que ces enregistrements font partie d’une campagne de dénigrement, dit-elle. Ils sont illégaux et ils ont été manipulés. Notre filiale a entamé une poursuite contre ses auteurs. »

En mars dernier, cette même filiale s’est vu imposer une amende de 4,1 millions US par un organisme réglementaire mexicain pour des manquements dans ses informations financières, selon Reuters. « On ne parle pas de fraude », précise la porte-parole.

En juillet dernier, une filiale espagnole d’OHL spécialisée dans le transport d’un train local a fait faillite, a confirmé l’entreprise.

Tous ces problèmes ont rejailli sur le principal actionnaire d’OHL, a indiqué Reuters en août dernier. Ce holding privé, lié étroitement à OHL, est détenu par le milliardaire espagnol Juan Miguel Villar Mir. Pour stabiliser la situation, le Grupo Villar Mir a récemment obtenu un refinancement de 200 millions d’euros, explique Mar Santo Fabian.

Et comme si ce n’était pas assez, un administrateur d’OHL, et gendre de M. Villar Mir, est soupçonné d’avoir financé illégalement un parti politique espagnol. Sa résidence a fait l’objet d’une perquisition en février dernier. La porte-parole n’a pas voulu commenter l’affaire. « OHL n’est pas, sous aucune façon, sous enquête pour fraude », dit-elle.

COTE DE CRÉDIT À LA BAISSE

En mars dernier, Moody’s a abaissé la cote de crédit de OHL à B2. Il y a un mois, elle l’a réduit à B3. Cette fois, avec perspectives négatives. Et la firme Fitch a maintenu sa cote à BB-.

La porte-parole Mar Santos Fabian reconnaît la situation. Mais elle ajoute que les firmes de notation voient aussi des points positifs.

Dans son rapport, Moody’s croit que « le repositionnement, sous la nouvelle direction, vers de plus petits projets moins risqués et une plus grande discipline financière axée sur la qualité des profits sont des éléments positifs ».

En juin dernier, OHL a changé sa haute direction en nommant un nouveau président du conseil et un nouveau chef de la direction.

« Il n’y a aucune incertitude à avoir au sujet de notre rôle dans la construction du CHUM ou des autres projets dans lesquels nous sommes impliqués », affirme la porte-parole. 

Jean-Pierre Aubry, fellow invité à CIRANO, est plus préoccupé.

« La cote de crédit d’OHL a baissé depuis qu’elle est impliquée dans le CHUM. Aujourd’hui, avec une cote B3, plus spéculative, je ne suis pas sûr qu’on l’aurait choisie pour faire partie du consortium. »

— Jean-Pierre Aubry, fellow invité à CIRANO

Face à la situation, M. Aubry exige plus de transparence de la part du gouvernement du Québec. « Ce qui ce passe avec OHL est un moment idéal pour demander au gouvernement un compte-rendu de la situation, dit-il. Il faudrait des rapports trimestriels pour faire un suivi des budgets et de l’échéancier des travaux au CHUM. »

UNE FIRME SECRÈTE

L’autre chef de file du consortium est la firme britannique d’ingénierie Laing O’Rourke (LOR).

Cette entreprise privée est peu accessible aux médias. Elle ne commente pas ses projets particuliers. Sa société mère, Suffolk Partners, est incorporée dans le paradis fiscal des îles Vierges britanniques.

Un article du site spécialisé Building.co.uk, publié en juin dernier, lève toutefois le voile sur des éléments liés au CHUM.

On y indique que LOR aurait perdu 2,5 millions de livres (4,3 millions de dollars) l’an dernier avec le projet du CHUM. Il s’agirait de la deuxième année consécutive de pertes.

Autre fait intéressant : la firme a récemment obtenu un prêt de moyen terme qui, selon des sources, aurait des liens avec le projet du CHUM. « Si la rentabilité du projet n’est pas là, on peut comprendre que l’entreprise a besoin de se financer, explique M. Aubry. Mais LOR paraît quand même en meilleure position qu’OHL ».

La firme d’ingénierie a une bonne réputation. Mais LOR fait quand même face à des défis qui l’ont obligée à restructurer ses divisions, abolir des emplois et à mettre en vente sa filiale australienne, peut-on lire sur Building.co.uk.

Ses résultats annuels au 31 mars 2015 montrent que ses activités en Grande-Bretagne, au Canada et au Moyen-Orient ont perdu 57,5 millions de livres (presque 100 millions de dollars).

LA SUITE 

Quelles seront les conséquences ? 

« À la limite, si une entreprise faisait faillite, elle vendrait à un autre groupe, dit Pierre J. Hamel, professeur-chercheur à l’INRS. Le consortium pourrait se retrouver avec un autre partenaire. »

Par contre, ajoute-t-il, le danger avec une firme en difficulté financière, c’est qu’elle « tourne les coins ronds » pour économiser. « C’est pire que des vices cachés, dit-il. Ça peut ressortir après 10 ans. Et qui paiera les pots cassés ? Les contribuables. »

Jean-Pierre Aubry abonde dans le même sens. « Si les constructeurs font peu de profits, ils ne voudront peut-être pas faire des réparations de gaieté de cœur, dit-il. Sans compter qu’on voit déjà des réclamations à l’autre hôpital en PPP, le Centre universitaire de santé McGill (CUSM). »

Au printemps, le consortium formé par SNC-Lavalin et Innisfree a déposé une poursuite de 330 millions contre le gouvernement du Québec et le CUSM en guise de dédommagements pour des travaux qu’il juge supplémentaires.

Cela fait dire à Pierre J. Hamel que des batailles juridiques sont à prévoir, tant pour la construction que pour l’entretien du CHUM.

Il illustre son argument par une devinette : combien faut-il d’employés pour changer une ampoule ? « Dans un hôpital, il en faut trois, dit l’universitaire. Un employé tient l’ampoule et les deux autres tournent l’escabeau. »

Puis, il poursuit : « Dans un PPP, il en faut aussi trois. Pendant qu’un employé change l’ampoule, l’avocat du gouvernement s’obstine avec celui du consortium pour savoir qui va payer. »

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