Société

Trop consensuels, les tatouages ?

Adam Levine et Justin Bieber ne sont pas les premières vedettes à exhiber les leurs, mais ils ont rappelé récemment que les tatouages faisaient maintenant partie intégrante de la culture pop, ramenant ainsi sur le tapis (et sur les murs des réseaux sociaux) l’éternelle question : le tatouage est-il devenu un courant (trop) dominant ?

Le torse du chanteur de Maroon 5, Adam Levine, a sans doute été plus remarqué que la prestation du groupe pendant la mi-temps au Super Bowl. Au-delà du débat sur l'iniquité en matière de tolérance aux poitrines dénudées, les réseaux sociaux se sont enflammés à propos des tatouages du chanteur, donnant naissance à une série de mèmes humoristiques.

Puis, quelques jours plus tard, Justin Bieber est apparu torse nu en couverture du magazine de mode Vogue, en compagnie de sa nouvelle épouse, la mannequin Hailey Baldwin. Il n’en fallut pas plus au journaliste du Guardian en poste à New York, Adam Gabbatt, pour se demander si la popularité du tatouage avait tué son côté cool.

« En tant que personne qui a des tatouages, je me suis senti très mal à l’aise de voir Levine caracolant torse nu pendant le Super Bowl. »

— Adam Gabbatt, journaliste

Le journaliste décrit la scène comme comparable à celle où des patrons déclareraient qu’ils ont, eux aussi, assisté à un festival de musique niché. « Il ruine tout pour le reste d’entre nous. »

« Il est assez clair que les tatouages sont devenus de plus en plus mainstream et aussi de plus en plus acceptés, constate Marc Lafrance, professeur agrégé au département de sociologie et d’anthropologie de l’Université Concordia et spécialiste de la culture populaire. Ils sont plus visibles que jamais. Même chez monsieur et madame Tout-le-Monde. »

« Ce qui est à la mode en termes de vêtements présentement, c’est la peau », résume Mariette Julien, professeure associée à l’École supérieure de mode de l’UQAM, spécialisée en sociologie de la mode et des tendances corporelles.

Selon Marc Lafrance, même si les tatouages sont répandus chez les vedettes depuis plusieurs années, « Adam Levine a mis son public devant un spectacle de tatouages qui reste quand même rare dans notre société parce que les siens étaient tellement prédominants ».

« Je pense qu’on va voir de plus en plus d’artistes montrer leurs tatouages avec fierté en spectacle. Ce n’est que le début. »

— Marc Lafrance, spécialiste de la culture populaire

Mariette Julien croit qu’une telle photo en couverture du Vogue n’aurait pas été possible il y a quelques années. « Aujourd’hui, la nudité fait partie d’une quête d’authenticité », remarque-t-elle, ajoutant que le magazine a réussi son pari de se démarquer. En étant torse nu, Justin Bieber « sert de faire-valoir à Hailey Baldwin et permet de mettre l’accent sur les vêtements qu’elle porte », souligne Mme Julien.

Contagion sociale

Adam Levine n’incarne pas exactement le chanteur rebelle qui s’inscrit en marge de la société. Ni Justin Bieber. Si le tatouage a longtemps eu pour fonction, parmi d’autres, d’exprimer sa marginalité et son individualisme, on peut affirmer qu’aujourd’hui, les motivations ont changé. « Il y a un phénomène de contagion sociale, observe Mariette Julien. Évidemment, ç’a moins d’intérêt si on veut être marginal. On n’est plus marginal, on est comme tout le monde. »

Ce phénomène de contagion n’est pas nouveau, selon Geneviève Mecteau, tatoueuse chez MTL Tattoo et cofondatrice avec William et Pascale Quesnel de l’événement Tattoo Nouvelle Ère, qui se tiendra pour une troisième année en juin à Montréal. « Les émissions de téléréalité sur le monde du tatouage comme LA Ink (qui a vu le jour en 2007) ont grandement contribué à augmenter la popularité des tatouages », observe-t-elle, ajoutant que même avant, dans les années 90, des gens demandaient le tatouage de Pamela Anderson. Avis à ceux qui souhaiteraient arborer le grizzly rugissant de Justin Bieber : « Par respect pour l’artiste et son client, on ne refait pas un tattoo, indique Mme Mecteau. On peut s’en inspirer, mais pas le reproduire. »

Et parce qu’ils sont de plus en plus acceptés dans la société, les dessins plus imposants comme les manches (des tatouages sur un bras complet) sont aussi plus en demande. Une mode qui a ses avantages pour les tatoueurs. « Ça nous permet de créer des pièces plus intéressantes au niveau artistique, note Geneviève Mecteau. Il y a beaucoup plus d’artistes tatoueurs de nos jours. »

L’apport des réseaux sociaux

Pour Marc Lafrance et Mariette Julien, l’impact des vedettes et des réseaux sociaux sur la hausse de popularité du tatouage est indéniable. « Le fait que les tatouages deviennent de plus en plus extrêmes ou que les tatouages extrêmes deviennent de plus en plus visibles, il faut le comprendre dans le contexte d’une société qui a de moins en moins de limites par rapport à ce qui est approprié et ne l’est pas quant à notre rapport au corps et comment on le présente. Je pense que les réseaux sociaux ont joué un rôle énorme là-dedans. La frontière entre le public et le privé est devenue floue. »

« Le plus souvent on est en contact avec une certaine image, le plus vite notre cerveau va finir par l’aimer, explique Mme Julien. C’est le principe même de la mode. L’habitude crée la vérité. Notre cerveau aime ce qui lui est familier. Et Dieu sait qu’on en voit des tatouages sur Instagram, sur le web, à la télévision. Alors, on finit par trouver que c’est la norme. »

Et les tatouages, tout comme les autres modifications corporelles qui gagnent en popularité, peuvent être une façon d’attirer l’attention et de se démarquer dans une société où tout le monde est bombardé d’images.

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