Emmett Johns 1928-2018

L’homme qui souriait du coin des yeux

Le père Pops, mort dans la nuit de samedi à dimanche, « existait à travers le bien qu’il faisait autour de lui ». Il laisse derrière lui un héritage qui perdurera, d’après des témoins proches de son œuvre. Le fondateur de l’organisme Dans la rue s’est éteint à l’âge de 89 ans.

Curé pendant 40 ans, le père Johns est devenu mieux connu sous le nom de « père Pops » lorsqu’il a décidé en 1988 de tendre la main aux jeunes sans-abri de Montréal. « C’est un précurseur, surtout pour un curé », estime le musicien Dan Bigras, qui a régulièrement croisé sa route à travers son rôle de porte-parole du Refuge des jeunes de Montréal.

Selon lui, son ouverture et ses méthodes pour venir en aide aux jeunes en difficulté témoignent de la grandeur de l’homme qu’était le père Emmett Johns. 

« Il voulait faire du bien aux jeunes et c’est ce qu’il a fait. Il était habité par une vision pour les aider et il y a dédié sa vie. »

— Dan Bigras

Le père Pops possédait une bienveillance et une bonne humeur contagieuse qui suscitaient la « confiance illimitée » des jeunes à son égard, raconte M. Bigras. « Il souriait du coin des yeux, décrit-il avec affection. C’était un pince-sans-rire. Il avait un beau sens de l’humour dans le regard. »

Atteint de la maladie de Parkinson, le père Pops s’est néanmoins enquis jusqu’à la toute fin du bien-être des infortunés auprès desquels intervient son organisme. « On est allés le voir pour son anniversaire et il avait posé beaucoup de questions sur les jeunes, témoigne Étienne Lalonde, directeur principal du développement et des communications de Dans la rue. Il était toujours très alerte et intéressé. »

Le père Emmett Johns est mort dans la résidence pour personnes âgées où il vivait depuis quelques années.

Aider les jeunes en situation d’itinérance

La mission du père Pops auprès des jeunes n’a pris forme que tard dans sa vie. Né le 3 avril 1928 de parents irlandais, Emmett Johns a grandi dans la paroisse de Sainte-Agnès, sur le Plateau Mont-Royal. À l’âge adulte, durant plusieurs années, il a travaillé comme prêtre, curé et vicaire de différentes paroisses, puis comme aumônier de l’hôpital Douglas, à Verdun, et dans deux maisons pour jeunes filles en difficulté.

C’est lorsqu’il atteint l’âge de 60 ans qu’il contracte un prêt personnel de 10 000 $ et met sur pied Le Bon Dieu dans la rue. L’organisme perdra plus tard sa connotation religieuse pour devenir Dans la rue.

Au volant d’une roulotte motorisée d'occasion, il sillonnait les rues du centre-ville durant la nuit, souvent en solitaire, afin d’offrir de quoi se nourrir et un endroit où se réchauffer aux jeunes qui en avaient besoin. 

« Il donnait beaucoup de réconfort, il ne jugeait personne […], il ne faisait jamais la morale. »

— Dan Bigras

L’organisation a grandi et le père Pops a ensuite ouvert un refuge de nuit pour mineurs, baptisé « Le Bunker ». Puis, en 1997, il a établi un Centre de jour, où les jeunes peuvent suivre des cours, participer à des ateliers d’art, de musique, d’informatique, en plus d’avoir accès à du soutien psychologique. En avril 2009, l’école du Centre de jour a d’ailleurs été rebaptisée l’École Emmett Johns. L’organisation Dans la rue emploie aujourd’hui 65 personnes et 135 bénévoles. « C’est lui qui a parti tout ça. Il a changé de très près la vie des gens », soulève M. Bigras.

En 2008, le père Pops s’est retiré des activités de l’organisme, maintenant complètement gérées par son équipe qui assure la pérennité des valeurs du fondateur. « On va continuer l’œuvre de Pops, celle d’un accueil inconditionnel des jeunes sans les juger, tant que les jeunes en auront besoin », affirme Étienne Lalonde. Dans la rue fêtera cette année ses 30 ans d’existence. « On aurait aimé qu’il soit avec nous pour cet anniversaire, mais on le célébrera avec sa mémoire en tête. »

Présence et écoute

C’est en partie grâce à l’intervention du père Pops que Jade a pu se sortir de sa situation d’itinérance. « Il ne cherchait pas à prendre de la place, il était juste présent », raconte celle qui a croisé le chemin du père Pops au début des années 90, alors qu’elle vivait dans la rue. Au Bunker, on lui a offert « un endroit sain où les gens ne se sentaient pas jugés ».

La mère de deux enfants se souvient d’un homme parfois « rude et sévère » avec les services de police ou les donateurs, mais jamais envers les jeunes. D’une grande écoute, il n’était jamais intrusif, selon Jade, qui qualifie cette délicatesse d’une de « ses grandes qualités ».

« Il avait un grand respect de l’intimité et attendait que les jeunes viennent vers lui. »

— Jade

Jade a fini par épouser le coordonnateur clinique de l’organisme, décédé il y a quelques années. Elle a elle-même été « travailleuse de rue », avant de devenir enseignante à l’Université du Québec à Montréal. « Pops est toujours resté dans ma vie et celle de ma famille, dit-elle. Et j’espère que ce grand personnage aura laissé une trace assez forte pour que ça perdure au-delà de lui-même. C’est ce qu’il aurait voulu et je suis convaincue que ça sera le cas. »

Des funérailles nationales ?

« Il faisait partie de ces gens qui n’ont pas appris à penser à eux, il existait à travers le bien qu’il faisait autour de lui. Il serait temps qu’on pense à lui un peu et qu’on le borde comme il faut », affirme Dan Bigras, qui estime que « des gens comme Pops méritent des funérailles nationales ». « C’est une grande figure qui vient de partir. […] Il faut lui faire quelque chose de beau. »

Le père Emmett Johns a reçu de nombreux honneurs au cours de sa vie, notamment un certificat de membre honoraire de la Société canadienne de pédiatrie en 2007, le Prix de la santé et du bien-être psychologique de l’Ordre des psychologues du Québec en 2003, un Prix d’excellence du Service de police de la Ville de Montréal et un Prix humanitaire de l’Association des psychiatres du Québec.

En octobre 2009, il a également reçu le prix Thérèse-Daviau, de la Ville de Montréal, remis à une personne engagée dans sa communauté et qui a œuvré à la qualité de vie des Montréalais. Il a aussi obtenu des doctorats honorifiques de l’Université Concordia, de l’Université du Québec à Montréal et de l’Université McGill, en plus d’une Médaille de l’Université de Montréal. En 2003, il a été nommé grand officier de l’Ordre national du Québec. Il est devenu membre de l’Ordre du Canada en avril 1999.

Les détails quant aux funérailles du père Johns seront communiqués par l’organisme Dans la rue d’ici les prochains jours.

— Avec La Presse canadienne

Des personnalités réagissent sur les réseaux sociaux

« C’est avec tristesse que j’accueille la nouvelle du décès de Pops. Un géant montréalais de la solidarité et de l’entraide

vient de nous quitter. Mes pensées accompagnent sa famille et ses proches et tous ceux et celles qu’il a aidés au fil des ans. Merci pour tout. »

— Valérie Plante, mairesse de Montréal

« Mes sincères condoléances à la famille et aux proches du Père Emmett Johns. "Pops", comme tout le monde l’appelait,

a fondé en 1988 l’organisme @_danslarue qui vient en aide aux jeunes sans-abri ou en situation précaire. Merci pour tout. »

— Philippe Couillard, premier ministre du Québec

« Affectueusement appelé "Pops", le père Emmett Johns a consacré sa vie à offrir réconfort et dignité aux itinérants de

Montréal. Il est, pour tout le Québec, un modèle de compassion et d’engagement. »

— Jean-François Lisée, chef du Parti québécois

« Un homme exceptionnel qui a aidé des milliers de jeunes. Merci Pops. »

— François Legault, chef de la Coalition avenir Québec

« Bien triste nouvelle aujourd’hui. Le fondateur de Dans la rue, le père Emmett Johns “Pops” est décédé. Mes pensées

vont vers sa famille et ses proches, mais aussi tous ceux et celles qui ont connu son immense générosité. Merci d’avoir aidé tant de gens dans le besoin. »

— Mélanie Joly, ministre fédérale du Patrimoine

« Le père Emmett Johns “Pops” est décédé. Il a trouvé sa mission de vie à 60 ans. Son héritage est quant à lui indélébile.

Courage à toutes celles et à tous ceux qui sont affectés par son départ. »

— Dorothy Alexandre, présidente du Conseil des Montréalaises

« Triste nouvelle. Merci au Père Emmett Johns pour son dévouement et son

engagement envers ceux et celles qui vivent dans la rue. »

— Isabelle Melançon, ministre québécoise du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques

Pops en huit dates

1953

Avec trois diplômes en poche – un diplôme en philosophie du Séminaire François-Xavier, un baccalauréat en théologie sacrée et un baccalauréat en arts du Collège Loyola –, Emmett Johns entame sa vie de vicaire et d’aumônier. Il œuvre notamment à l’hôpital Douglas et dans des foyers pour jeunes filles en difficulté.

1971

Pops devient animateur de pastorale dans des écoles, dont la Queen of Angels Academy et le Bishop Whelan High School. Il œuvre au fil des ans comme curé des paroisses St. Johns Fisher, Pointe-Claire et Lachine.

1972

Il fonde l’association provinciale des enseignants de religion et d’éthique.

1988

Pops obtient un prêt de 10 000 $ pour acheter une vieille roulotte qu’il utilise pour arpenter les rues de Montréal la nuit et donner à manger aux jeunes sans-abri. C’est le début de Dans la rue. La roulotte sera remplacée en 1998. Elle sillonne toujours les rues du centre-ville.

1993

La mission de Dans la rue s’élargit avec l’ouverture du bunker, un refuge d’une vingtaine de lits.

1997

C’est l’ouverture du Centre de jour Chez « Pops », qui permet aux jeunes de manger, de parler avec des conseillers et même d’aller à l’école.

2003

Emmett Johns est nommé grand officier de l’Ordre national du Québec.

2008

À 80 ans, atteint de la maladie de Parkinson, Pops se retire des activités de Dans la rue, activités auxquelles il continue de s’intéresser activement.

— Gabrielle Duchaine, La Presse

Sources : Dans la rue, gouvernement du Québec

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