ENTRE QUATRE YEUX  GILLES VALIQUETTE

Un garçon dans le vent

Je n’apprends rien à personne, les Beatles sont sa vie, en tout cas une bonne partie. Gilles Valiquette les chante, organise des expositions, écrit leur parcours discographique au Canada, enregistre leurs chansons, leur rend hommage et vient de sortir un album intitulé P.S. I Love Uke comportant 15 de leurs pièces. Uke pour ukulélé, parce que ça l’amuse et c’est facile, dit-il. 

Ce type est « fou, mais c’est tout », comme dans la version de Hold Me Tight chantée à l’époque par les Baronets. On la retrouve d’ailleurs sur ce nouvel album enregistré dans le sillage d’un livre imposant et documenté relatant le parcours discographique des Beatles au Canada. Certains parleraient d’obsession ; d’autres, d’idée fixe. Parlons, en ce qui le concerne, de passion.

Le bouquin lui a permis de raconter l’histoire des Fab Four tels qu’on les percevait ici et dans toute la francophonie. Le disque lui a donné l’occasion, lui, de s’amuser avec ses amis, sa famille, des camarades de travail. En chantant les Beatles comme on le fait dans les partys. Oui, il s’est éclaté, Valiquette, même dans la conception graphique de la pochette, qui rappelle celle de Beatlemania paru en 1963.

« Je suis tout simplement parti de l’idée de ces fêtes où tout le monde chante des tounes des Beatles. Je voulais seulement que la première pièce soit Love Me Do et que ça finisse par The End. Pour le reste, j’ai choisi un album après l’autre pour représenter les époques. » — Gilles Valiquette

En fait, je parle de ce que symbolisaient pour Valiquette « les quatre garçons dans le vent », comme on les appelait dans le temps, mais je pourrais tout aussi bien parler de toute notre génération de baby-boomers. En feuilletant son bouquin, par exemple, je suis tombé sur une photo du premier 45 tours que j’ai acheté avec mes sous. Sur une face, on retrouvait Ticket to Ride et sur l’autre, Yes It Is. On était en avril 1965. Quel âge avais-je, déjà ? Ah oui ! 12 ans.

« C’est vrai, me raconte Valiquette, qu’on dit que les riffs de Ticket to ride ont donné naissance à l’imposante présence des guitares par la suite. C’était précurseur. Satisfaction des Stones n’est sorti que trois mois plus tard. »

Auteur, compositeur, réalisateur, technicien à ses heures, il ne lâche surtout pas le morceau, même 50 ans plus tard.

« J’ai 63 ans et j’ai mordu dès qu’ils sont arrivés dans le paysage. Un an avant leur passage au Ed Sullivan Show, j’ai vu un clip au Jack Parr Show où on riait de ces bibittes-là. À 12 ans, j’ai acheté mon premier album Twist and Shout, c’était le deuxième de leurs disques sortis au Canada. Pourquoi j’ai accroché ? L’instinct, je crois. Et il n’y a jamais eu de phénomène comparable. Remarque, avant I Want to Hold Your Hand, le seul véritable succès mondial qu’il y avait eu, c’était Dominique-nique-nique. Ça en dit beaucoup déjà. Les Beatles sont donc devenus par la force des choses le symbole vivant de notre génération. »

Il pourrait en parler pendant des heures. Il se souvient, par exemple, que dans les années 70, pendant qu’on montait l’équipement pour le show qu’il devait donner en soirée, il partait à la recherche de la perle rare dans les boutiques de musique. Ce qui a quand même donné des résultats puisqu’il possède aujourd’hui une impressionnante collection d’artefacts, de disques et plus de 2500 illustrations.

« En fait, c’est quand Lennon est mort en 1980 que tout ça a commencé à devenir précieux. C’est comme si on avait compris que les années 60 étaient vraiment finies. Déjà, un an après son assassinat, Sotheby’s organisait un premier gros encan. C’est fascinant quand même de constater que plus de 250 000 personnes sont allées voir l’exposition à Pointe-à-Callière. »

Les Beatles, pour Gilles Valiquette, n’étaient pas que des musiciens.

« Ils [les Beatles] avaient un propos social. Plus le temps passe, plus on réalise que ça ne se trouve pas à tous les coins de rue. Impossible aujourd’hui d’imaginer un tel phénomène de masse et d’unification. On est plutôt dans l’individualisme. »

— Gilles Valiquette

Le petit Gilles Valiquette a grandi dans Villeray, tout près du parc Jarry. Une famille modeste, un père québécois secrétaire de piste de course au harnais et une mère d’origine italienne qui, après le divorce, est retournée travailler en usine, chez Bulova.

FAIRE SON CHEMIN MALGRÉ TOUT

« J’étais un enfant un peu nerd, confie-t-il. Je ne cadrais dans aucune gang. Je portais de grosses lunettes qui étaient toujours brisées et qui tenaient avec du scotch tape. Je ne faisais pas de sport. Je me suis senti souvent très isolé, très seul. En plus, j’ai grandi à une époque où mes parents se sont séparés. Ça ne se faisait pas beaucoup. J’imagine qu’un psy dirait que j’en ai souffert, mais moi, je crois que ça m’a poussé à me dépasser. »

C’est peut-être ce qui l’a amené à vouloir s’inscrire en musique dès la cinquième secondaire. « Mais cette année-là, à Lionel-Groulx, on a décidé de suspendre les cours. » Il est allé ailleurs. Il a persévéré.

« Une des raisons qui m’ont poussé à m’inscrire en musique, c’est que, comme bien d’autres, je jouais dans un groupe. On faisait des spectacles, et après les spectacles, on a voulu faire un disque. À chaque demande, on se heurtait à un refus. Et la réponse était toujours la même : le chanteur est pourri et les chansons sont pourries. Or, c’est moi qui chantais et qui composais. Je n’avais pas les moyens d’aller ni à Vincent-d’Indy ni au Conservatoire, j’ai donc pris un autre chemin. »

Dans la famille, personne n’était porté sur l’art. Ça lui a pris tout son petit change pour convaincre ses parents de lui offrir, un jour, un instrument. « Finalement, à l’hiver 1964, se souvient-il, ils m’ont fait choisir entre une paire de patins et une guitare. J’ai choisi la guitare. Ce jour-là, ils ont compris. Et puis, j’ai composé deux chansons que j’ai chantées et rechantées devant la famille jusqu’à ce qu’un de mes oncles me dise : “Une guitare, mon gars, ça s’accorde.” J’ai couru chez Marrazza. Or, une fois la guitare accordée, je n’étais plus capable de chanter mes chansons. Ça m’a appris l’importance de l’enregistrement. »

C’est peut-être ce qui lui a permis, plus tard, de devenir un pro dans le domaine, de réaliser, d’inaugurer le premier studio entièrement informatisé au Québec, de devenir consultant, d’organiser des ateliers, d’ouvrir un magasin, « midi-musique », où on trouvait les produits informatisés que réclamaient les musiciens et de s’aventurer dans la formation.

Toutefois, après 20 ans chez Musi Technique, Valiquette le créateur a eu envie de faire ce qu’il aime : exposition, livres, disques, etc. Mais aussi de présider la SOCAN pendant cinq ans.

« Je n’aime pas juste le métier, conclut-il. J’aime aussi les gens de mon métier. » 

ROCK

P.S. I Love Uke

Gilles Valiquette 

PGV

Sortie le 28 avril

DATES MARQUANTES

22 NOVEMBRE 1963

« John F. Kennedy est assassiné. Nous étions peut-être jeunes, mais plus innocents. »

9 FÉVRIER 1964

« Les Beatles au Ed Sullivan Show. Ils ont changé ma vie et celle de plusieurs. »

21 AVRIL 1967

« L’ouverture de l’Expo 67. Pour un court moment, Montréal était au cœur de l’univers et à Terre des Hommes, nous étions au cœur de la ville. »

8 DÉCEMBRE 1980 

« John Lennon est assassiné. Si ce n’était pas clair avant, ce l’était maintenant. Les sixties sont terminées. Et force est d’avouer que cette génération qui voulait changer le monde n’a pas fait mieux que les précédentes. »

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