Au nom de la mère et du fils

Le Canadien Michael Woods avait en tête de remporter une étape du Tour d’Espagne. Ce qu’il a réussi hier. Avec la plus grande des sources d’inspiration.

Michael Woods n’était pas seul dans le brouillard du Pays basque espagnol, hier. Autour de lui, des milliers de partisans l’encourageaient. À l’oreillette, son directeur sportif lui criait : « Fais-le pour ta famille ! » Le cycliste d’Ottawa n’avait jamais puisé aussi loin.

À 300 mètres de la ligne d’arrivée, tracée sur un étroit chemin bétonné au sommet du Balcon de Bizkaia, le Belge Dylan Teuns était toujours à ses trousses. Woods venait de s’échapper d’un groupe de quatre dans les pourcentages dépassant les 20 % d’inclinaison, son terrain de jeu de prédilection. Premier sur la route, il n’était pas seul.

Deux mois plus tôt, à Ottawa, sa femme Elly avait accouché d’un bébé mort-né à 37 semaines. Il s’appelait Hunter. « Tout le long de la montée, je pensais à lui. Je voulais tellement gagner pour lui et je l’ai fait. Je l’ai fait… »

En pleurs au micro de la télé espagnole, Woods n’y croyait pas encore. L’athlète de 31 ans venait de remporter la 17e étape du Tour d’Espagne, la victoire la plus importante de sa carrière après des deuxièmes places à Liège-Bastogne-Liège et au Tour d’Italie, plus tôt cette année. Ryder Hesjedal est le seul autre Canadien vainqueur d’étape de la Vuelta, en 2009 et 2014*.

Après un peu plus de quatre heures d’effort, Woods a devancé Teuns (BMC) de cinq secondes. L’Espagnol David de la Cruz (Sky) et le Polonais Rafal Majka (Bora) ont suivi à 10 et 13 secondes. Les quatre excellents grimpeurs ont été les plus costauds d’une échappée royale dans laquelle figurait aussi l’Italien Vincenzo Nibali, titré en Espagne en 2010.

Derrière, les favoris du classement général se sont jaugés jusqu’à la montée finale de 7 km. Le jeune Enric Mas (désormais 3e) et le vieux Alejandro Valverde (2e), deux Espagnols, ont été les plus forts, talonnés par le Britannique Simon Yates, toujours meneur. Le Colombien Nairo Quintana a craqué, lâchant plus d’une minute à son coéquipier Valverde.

Woods a profité du travail impeccable de son coéquipier Simon Clarke, gagnant de la cinquième étape. Dans l’échappée, l’Australien a couvert toutes les attaques avant de lui-même se lancer au pied de la dernière ascension. Dans la voiture de la formation EF Education First, l’émotion était à son comble.

« Sachant ce que [Michael] et sa famille avaient enduré cette année, je le voulais encore plus que lui », a déclaré le directeur sportif Juanma Garate dans un communiqué.

« Quand il a gagné, j’ai pleuré comme un bébé dans l’auto. Je suis plus heureux pour lui aujourd’hui que je ne l’ai été pour moi quand j’ai gagné une étape du Tour [de France]. »

— Juanma Garate, directeur sportif de l’équipe EF Education First

À Montréal, Paulo Saldanha a pleuré lui aussi quand il a vu les premières images de son protégé sur son écran.

« Michael, c’est un guerrier », a résumé l’entraîneur quelques heures plus tard au téléphone, interrompant une sortie à vélo sur la voie Camillien-Houde pour répondre aux questions de La Presse. « Il est capable de survivre. Il n’est pas dans la meilleure forme de sa vie. Je pense qu’il a gagné cette course avec ses émotions et son cerveau plutôt qu’avec ses jambes. C’est incroyable. Je suis surpris. »

Dunham

Début juillet, Saldanha a accueilli le couple Woods à sa résidence de Dunham dans les jours suivant le drame. Elly avait aussi perdu son père un mois plus tôt.

« On a organisé un petit camp juste avec lui et sa femme. On a parlé, on a pleuré, on a pensé, on a pleuré. C’est très important de laisser l’athlète faire face à la tragédie. Elly est encore plus forte que Michael. Je suis tellement fier d’elle. Ça a été exceptionnellement dur. »

Woods a accumulé les kilomètres sur son vélo, pulvérisant son record de la montée du mont Sutton. Après un stage en altitude, il s’est présenté dans une forme exceptionnelle au Tour de l’Utah, début août. Or une chute à la deuxième étape a laissé des séquelles et une infection à la peau. Après un cycle d’antibiotique, l’ex-demi-fondeur est sorti amoché de l’épreuve, qu’il a finie au neuvième rang.

Septième l’an dernier en Espagne, Woods a révisé ses objectifs. Tout en appuyant son leader Rigoberto Uran (8e au général), le puncheur canadien se concentrerait sur les deuxième et troisième semaines, avec l’ambition ultime de monter en puissance pour les Mondiaux d’Innsbruck (30 septembre), où le parcours montagneux lui conviendra.

Il avait quand même en tête de remporter une étape. Ce qu’il a réussi malgré deux autres chutes plus tôt dans les deux premières semaines. « Michael n’est pas un gars qui se laisse décourager », a souligné Saldanha.

« Il est toujours positif, stable. C’est un champion dans les jambes, mais aussi un vrai champion dans la tête. »

— Paulo Saldanha, entraîneur de Michael Woods

Un champion dans la tête qui n’a pas eu à chercher l’inspiration quand il pensait s’effondrer à quelques hectomètres du but, hier.

« Je suis allé à cet endroit dans mon esprit et j’ai tenté de canaliser toute mon énergie », a raconté Woods, désormais 35e au général de la Vuelta, qui se termine dimanche à Madrid.

« J’ai pensé à quel point cette année avait été difficile et je me suis servi de mon petit Hunter comme d’une inspiration pour me rendre jusqu’à la ligne. »

*Le Torontois Michael Barry a gagné un contre-la-montre par équipes avec US Postal Service en 2004.

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