CHRONIQUE Démographie et vieillissement

L’ombre de l’éléphant

Il y a un mois, j’ai écrit une chronique intitulée « Un éléphant dans le budget » qui cherchait à montrer à quel point les facteurs démographiques, surtout le vieillissement, pesaient lourd dans la planification budgétaire du gouvernement.

Mais l’ombre du pachyderme ne plane pas seulement sur les finances publiques, elle plane sur nous tous, sur la société tout entière. C’est assez majeur, assez négligé dans le débat public pour que ça vaille la peine de revenir là-dessus.

Cette semaine, deux études sont venues nous le rappeler. Statistique Canada, avec des données du recensement montrant que la population des 65 ans et plus dépasse maintenant celle des 14 ans et moins. Et, de son côté, l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) parlait de la forte croissance de l’espérance de vie, particulièrement chez les plus âgés.

On parle le plus souvent des impacts du vieillissement sur les dépenses de santé, sur les finances publiques, sur la main-d’œuvre et la croissance économique. Mais on peut prendre l’autre bout de la lorgnette.

Qu’est-ce que ça veut dire, pour chacun de nous, de savoir qu’on vivra pas mal plus longtemps ? Qu’est-ce que ça veut dire, pour la société dans son ensemble, de composer avec un nombre croissant de gens plus âgés ?

Statistique Canada décrit comme un « tournant générationnel » le fait que la proportion des 65 ans et plus représentait 16,9 % de la population en 2016, un peu plus que celle des 14 ans et moins, 16,6 %. C’est un peu plus marqué et un peu moins nouveau au Québec (18,3 % contre 16,5 %).

À l’intérieur de ce club des 65 ans et plus, les plus vieux se distinguent. Les 85 ans et plus ont un taux de croissance quatre fois plus élevé que la population. De 770 780 en 2016, ils passeront à 1 million en 2026 et à 1,5 million en 2036. Quant aux 8230 centenaires, ils verront leur nombre quintupler d’ici 2051.

L’élément le plus frappant, c’est que les plus vieux vivent plus longtemps, ce que l’ISQ illustre bien. L’espérance de vie à la naissance augmente en moyenne de 3,2 mois chaque année pour les hommes et de 2 mois pour les femmes. Elle est maintenant de 80,8 ans pour les hommes et de 84,5 ans pour les femmes.

Ces progrès ne sont pas dus, comme autrefois, à la baisse de la mortalité infantile, mais à ce que l’ISQ décrit comme « des gains concentrés aux grands âges ». On en a une meilleure idée avec l’espérance de vie à 65 ans, l’âge théorique de la retraite. Elle est de 19,7 ans pour les hommes et de 22,5 ans pour les femmes, ce qui mène, respectivement, à 84,7 et 87,5 ans.

Mais ce n’est pas tout. Comme cette espérance de vie augmente chaque année, dans 10 ans, les hommes auront gagné deux ans de plus et les femmes, un an et demi. Et comme elle varie aussi en fonction du milieu socioéconomique, les gens plus favorisés, soit par leurs revenus, leur mode de vie ou leur éducation, par exemple des lecteurs de La Presse+, pourraient probablement ajouter trois ans à ces données moyennes. Cela signifie que, pour un grand nombre de Québécois, vivre jusqu’à 90 ans sera la norme.

Qu’est-ce que ça implique ? Les conséquences sont lourdes sur le plan des finances personnelles, parce que bien des gens devront se demander s’ils auront assez d’argent jusqu’à la fin. Mais une foule d’autres questions se posent quand l’horizon temporel se transforme aussi radicalement.

Quand on a littéralement des décennies devant soi, on n’aborde pas de la même façon le choix de l’âge de la retraite ou la décision de refaire sa vie avec un nouveau ou une nouvelle partenaire.

Cela change aussi les rapports que l’on peut avoir avec la santé, surtout pour une génération comme celle du baby-boom, obsédée par la jeunesse. Il ne suffit pas de savoir si l’on vivra plus longtemps, mais dans quel état on vivra ces dernières années. En termes de qualité de vie, l’important, c’est l’espérance de vie en bonne santé. On ne la prolongera pas seulement en dépensant plus d’argent quand il sera trop tard, quand les maladies chroniques auront pris le dessus, mais en travaillant à maintenir un bon état de santé. Cela a de fortes implications sur les habitudes et le mode de vie, mais aussi sur les priorités en santé, où l’on a négligé la promotion et la prévention.

On sait déjà que les besoins seront énormes en hébergement et en soins de longue durée, quoi qu’on fasse trop peu pour s’y préparer. Mais avec la transformation du paysage démographique, c’est l’organisation de la vie collective qui devra se transformer-transports en commun, logement, lieux publics. Et ça arrivera presque demain.

J’évoque, en vrac, des pistes sur lesquelles les spécialistes planchent déjà. Mais ce sont des changements majeurs, urgents, qui ne sont pas encore sur notre écran radar.

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