Bières de soif

La chaleur est de retour. Exit les bières puissantes, stout et autres vins d'orge. Place aux pilsners, sessions IPA, saisons, gose et autres Berliner weisse, des bières qui désaltèrent ! Survol d’une tendance à faible pourcentage d’alcool, mais à forte teneur aromatique.

Un dossier de Pierre-Marc Durivage

Belles d’été

« L’été, c’est le balcon, c’est la piscine, tu bois un peu plus, t’as le goût. » Rémy Du Berger, propriétaire de L’Axe du malt, à Québec, résume bien l’état d’esprit de la belle saison.

Il fait chaud, on a soif, et la bière est plus que jamais appropriée.

Mais pas n’importe quelle bière, cela dit. « Tu peux boire des grosses bières l’été, mais les brasseurs ne sortent pas des stouts en barrique et ceux qui en font se demandent pourquoi on n’en commande pas, affirme en rigolant celui qui a lancé le populaire forum Capsules Bière. L’été, on vend des paquets de quatre ou six bières, les gens en apportent chez des amis, c’est festif. L’hiver, les gens choisissent des bières plus fortes et ils en boivent moins. »

Alcool ne rime pas avec goût

C’est ainsi qu’on en est venu à parler de bières de soif. Pilsner, Session IPA, Gose, Berliner weisse, ale sure aux fruits, voilà toutes des bières qui étanchent la soif et qui se caractérisent généralement par un faible taux d’alcool. Mais leur goût marqué est à des années-lumière de celui des bières industrielles, certes désaltérantes, mais souvent fades. « Les microbrasseurs ont réussi à prouver que le degré d’alcool n’avait rien à voir avec le goût, affirme Pierre-Luc Gagnon, blogueur et responsable de la section des bières de microbrasserie au dépanneur Peluso, à Montréal. Parce que les bières de soif ne sont pas juste pour ceux qui veulent conduire ; c’est plaisant de garder toute sa tête et de boire des bières goûteuses. »

L’un des types de bières qui profitent de cette tendance est certainement la pilsner d’inspiration tchèque, une lager exploitée depuis des années par la grande industrie brassicole, mais qui retrouve ses lettres de noblesse entre les mains adroites des alchimistes québécois. « Les lagers sont une belle réponse à toute l’intensité que l’on voit partout, affirme le blogueur Sébastien Robitaille, en faisant référence aux bières complexes et riches qui sont l’apanage des brasseurs artisanaux. Ce sont des bièree qui vont aller chercher des saveurs plus délicates, plus simples, on redécouvre ça.

« Nos papilles sont saturées de toutes ces sortes d’intensité, ce n’est pas mauvais de retourner à la source ; la céréale, on l’oublie parfois, elle s’efface devant les houblons. »

— Sébastien Robitaille, blogueur

De son côté, Paule Gosselin soutient même que la pilsner sera la prochaine vedette du milieu brassicole québécois. « La grosse bière ronde et lourde, je pense que les gens s’en sont lassés, remarque l’auteure du blogue La fleur du malt. Dans mon entourage, il y a de moins en moins de gens qui tripent sur les grosses scotch ale barriquées. D’ici deux ans, les pilsners et les lagers seront à l’avant-scène, on a soif pour ça en ce moment. »

Bières démocratiques

Plus accessibles mais néanmoins goûteuses, les bières de soif pourraient aussi avoir pour effet d’agrandir la clientèle des microbrasseries québécoises. « Je pense que ça ouvre la porte à un nouveau bassin de clients, notamment ceux qui sont repoussés par les bières fortes, soutient Pierre-Luc Gagnon. Et ça pourrait leur faire découvrir une nouvelle passion. Quand tu bois une Session IPA à 4,5 % et que tu aimes, il y a fort à parier que tu vas pouvoir ensuite aller vers une IPA Double. » On peut aussi faire un constat semblable avec les bières sures et fruitées, dont l’acidité désaltérante peut séduire les amateurs de vin. « On avait besoin de développer un nouveau créneau que tout le registre des surettes est venu ouvrir avec les gose, les Berliner Weisse, des bières vives et vivifiantes, souligne Paule Gosselin. Ça vient ouvrir la porte à tous ceux qui n’aimaient pas la bière. »

L’importance de l’équilibre

Bien qu’elles puissent laisser place à des interprétations des plus originales, les bières de soif sont bien souvent des exemples d’équilibre. « Si l’amertume et le sucre sont équilibrés, tu as le goût d’en boire, explique Sébastien Robitaille. Quelque chose d’équilibré, tu veux en boire jusqu’à minuit, mais quand les papilles sont trop saturées, ça ne passe plus. »

Le talent du brasseur est toutefois plus que jamais sollicité par ces bières qui ne lui laissent pas beaucoup de marge de manœuvre. « Par exemple, c’est hyper dur de faire une bonne pilsner, soutient Rémy Du Berger. Quand tu la réussis, tu retrouves le croquant du grain, très aromatique, il n’y a rien qui vient écraser quoi que ce soit. »

La bière de soif est là pour de bon

Une chose est sûre, cette tendance aux bières légères et désaltérantes ne s’essoufflera pas l’automne venu. Elle est là pour de bon. « Le Québec est encore à la petite école en matière de bière, illustre Rémy Du Berger. La culture de la bière, on ne l’a pas encore, et notre marché est très jeune. On a tellement peu d’histoire que les parts des micros ne représentent pas plus de 12 % du marché. Ce sera plus facile pour nous d’ancrer ce genre de bières chez nous. »

Lexique de la bière de soif

Saison

Bière d’abord élaborée en Belgique, brassée pendant les mois froids pour être consommée l’été suivant par les travailleurs saisonniers. Elle n’affiche pas toujours un faible taux d’alcool, mais possède un goût plutôt amer, et donc rafraîchissant.

Session IPA

Les Session Ale britanniques étaient conçues pour être consommées sans trop de retenue, idéalement dans des pubs, sur une longue période de temps. Elles sont ainsi faibles en alcool, caractéristique que les brasseurs américains ont conservée en leur ajoutant toutefois de bonnes doses de houblon du Nouveau Monde.

Lagers/ Pilsner

Bière de fermentation basse, elle est blonde et limpide. Elle possède une amertume moyenne, selon le type de houblon utilisé. La Pilsner tchèque se distingue par l’utilisation de houblon Saaz, ce qui lui confère une saveur nette et franche.

SUrettes fruitées/ Berliner Weisse

Originalement brassée à Berlin, la Berliner Weisse est une bière de blé qui se caractérise par son très faible taux d’alcool (2,5 % à 3 %) de même que par son acidité mordante. On l’édulcore souvent avec une touche de sirop de fruit.

Gose

Originaire d’Allemagne, la Gose procède d’une fermentation haute classique, mais elle est complétée d’une fermentation bactérienne dégageant de l’acide lactique. Elle est ainsi moins amère et plus douce, avec une touche d’acidité. Un peu de sel est aussi ajouté en cours de brassage. 

KölsCh

La Kölsch est une ale lagerisée, c’est-à-dire qu’elle est brassée comme une lager, en fermentation basse, mais avec des levures d’ale. Il en résulte une bière nette et délicate marquée par un bel équilibre d’arômes et de saveurs fruitées. 

Les coups de cœur de nos spécialistes

Les microbrasseurs du Québec ont du flair et sont toujours à l’affût des nouvelles tendances. Présentes sur les rayons depuis deux ou trois ans, les bières de soif ont plus que jamais leur place au soleil. Nous avons sondé quatre spécialistes passionnés pour connaître leurs coups de cœur estivaux.

Pierre-Luc Gagnon 35 ans

Chroniqueur et blogueur bière Responsable de la section microbrasserie du dépanneur Peluso

C’est pendant ses années de cégep au Saguenay que Pierre-Luc a développé sa passion pour les bières de microbrasserie. Il était voisin de l’épicerie qui allait devenir le Marché Centre-Ville – l’endroit offrait déjà plus de 300 choix de bières il y a 15 ans et en compte aujourd’hui deux à trois fois plus –, il s’agissait d’un terreau fertile pour un amateur de bière. Arrivé à Montréal en 2006, il est embauché au dépanneur Peluso, un travail d’étudiant qui va finalement devenir un véritable emploi, auquel s’ajoute une chronique au Voir, entre autres. Celui que l’on surnomme « Bière-Luc » va d’ailleurs signer un blogue en direct à l’occasion du 25e anniversaire du Mondial de la bière, le week-end prochain.

Mon coup de cœur

Pilsner Microbrasserie Le Castor

« Je ne croyais pas que les pils étaient dans le créneau du Castor, qui nous a habitués à des trucs houblonnés ou des bières sauvages ou barriquées, travaillées avec des levures Brettanomyces. Mais pour un premier essai en bouteille, c’est du bonbon. Tout est dans l’équilibre. Le houblon Saaz, souvent la grande vedette des bières du style, est mis en valeur. Une lampée en appelle une autre ; n’est-ce pas là la définition d’une bière de soif ? J’en fais mon coup de cœur, comme un appel au ciel pour que les gens du Castor m’entendent et qu’ils fassent une place dans leurs cuves pour en faire un produit régulier. »

Sébastien Robitaille 43 ans

Auteur du blogue L’apologie du malt

Sébastien a découvert la bière à l’époque où les grandes brasseries n’en avaient que pour leurs produits sans arrière-goût. Il s’est rapidement tourné vers les produits des microbrasseries de l’époque et la passion a progressé graduellement jusqu’à ce qu’il se mette à communiquer ses appréciations sur Facebook. Il a ainsi attiré l’attention de gens du milieu qui l’ont encouragé à lancer son propre blogue. En deux ans, celui qui gagne sa vie comme designer graphique a donné son avis sur près de 400 bières et se dit privilégié d’avoir autant de bonnes bières à goûter dans un endroit aussi petit que le Québec.

Mon coup de cœur

Session Abenaki Sutton Brouërie

« Conçue avec du houblon 100 % Simcoe et des levures 100 % Brettanomyces, la Session Abenaki offre une belle couleur mielleuse allant vers le jaune orangé, avec une mousse légère et tenace qui recouvre sa robe voilée. En bouche, c’est frais, léger et fruité. Des saveurs de melon miel, de carambole, de pamplemousse blanc, de pêche et de mangue nous accompagnent dans cette douce promenade fruitée. Elle est soutenue par une belle amertume résineuse qui apporte un bel équilibre à l’ensemble. Puisqu’elle est sèche en bouche et accompagnée d’une légère touche épicée, on a envie de replonger sitôt une gorgée terminée. Vraiment une bière de soif par excellence, que je pourrais boire tout au long de l’après-midi ! »

Rémy Du Berger 38 ans

Copropriétaire de L’Axe du malt Fondateur du forum Capsules Bière

Élevé dans une famille d’épicuriens, Rémy Du Berger a rapidement été en contact avec l’univers des bières de microbrasserie. Mais c’est toutefois l’originalité des étiquettes qui a allumé sa curiosité et qui l’a graduellement amené à véritablement découvrir les bières de spécialité. Il s’est rapidement mis à consigner ses notes de dégustation, si bien qu’il s’est retrouvé avec des cartables pleins de notes. Il a eu l’idée de faire part de ses découvertes avec quelques amis en créant il y a 10 ans la page Facebook Capsules Bière, qui a aujourd’hui au-delà de 15 000 membres. Bénéficiant de l’expérience et des contacts acquis au fil du temps, il a sauté dans l’inconnu il y a cinq ans en démarrant en compagnie de son ami Martin Lapointe L’Axe du malt, boutique spécialisée qui est rapidement devenue une référence incontournable à Québec.

Mon coup de cœur

Pilz 10 MaBrasserie

« Parfum de grains frais et craquants. Douceur maltée et paille sèche. Étanche-soif de course. La céréale dorée et craquante est à l’honneur, combinée à l’amertume florale qui assure une finale sèche et rafraîchissante. »

Paule Gosselin 39 ans

Auteure du blogue La fleur du malt

Professeure de littérature au cégep de Matane, Paule Gosselin n’avait pas d’intérêt particulier pour la bière il y a à peine deux ans. Mais quand un ami brasseur l’a invitée à s’impliquer dans le processus de brassage, elle a développé une fulgurante passion qui l’a catapultée dans l’univers brassicole québécois. La Gaspésienne de Matane ne s’est pas contentée de profiter des excellentes brasseries artisanales de son coin de pays, elle a jusqu’à maintenant visité pas moins de 75 microbrasseries à la découverte des meilleures créations de chez nous. Parallèlement, elle est devenue l’une des animatrices les plus en vue de Capsules Bière. Elle s’assume dorénavant comme influenceuse de la scène brassicole québécoise. On peut suivre ses chroniques dans son blogue Facebook La fleur du malt.

Mon coup de cœur

Strawberry Fields Le Naufrageur

« La brasserie de Carleton-sur-Mer a su me séduire avec cette Berliner Weisse titrant 4 %. Peu houblonnée, surette ; on lui a incorporé un moût de bière aux fraises. Il en résulte une bière estivale, de soif, dans laquelle on goûte à merveille les grains et les fraises, rehaussés par une pointe acide bien présente. Un petit bijou délicieux ! »

Palmarès estival

Outre leurs coups de cœur, nos spécialistes ont suggéré une impressionnante variété de bières à décapsuler sur la terrasse ou autour de la piscine. Leurs choix, tous différents alors que personne ne s’était consulté, témoignent de la vitalité et du talent des créateurs d’ici. Plaisirs d’été.

Ich Liebe Kölsch, Broadway Pub

(en collaboration avec Nanohoublons)

Kölsch, 4,8 % alc./vol.

Ale lagerisée, houblonnée avec les cultivars américains Local et Cashmere.

« Voilà une belle surprise, agrémentée par la touche de Mathieu Fréchette de Nanohoublons qui connaît les cultivars qu’il importe et distribue et qui sait comment les mettre en valeur dans une bière. » — Pierre-Luc Gagnon

Franc-Bois, La Souche Brasserie artisanale

Ale sûre aux fruits, 4,5 % alc./vol.

Ale de blé aux framboises, surette et légèrement sucrée.

« La framboise fraîche est reine. Elle apporte l’acidité et les saveurs sucrées du fruit. Effervescence agréable. Douce présence du blé. » — Sébastien Robitaille

Impérial Gros Tigre, Les Grands Bois

Session IPA, 4 % alc./vol.

India Session Ale, aromatique avec touches de fruits exotiques, amertume modérée.

« Légère et houblonnée. Amertume résineuse et plutôt sèche. »— Rémy Du Berger

Bière de Balcon, L’espace public

Ale sûre aux fruits, 3 % alc./vol.

Ale sûre à la framboise, arrière-goût de blé, texture mince et finale sèche.

« Acidulée et fruitée. Framboise mûre et acidité tranchante. » — Rémy Du Berger

Kettle Sour, Microbrasserie Vox Populi

Berliner Weisse, 3 % alc./vol.

Surette, peu sucrée, amertume presque nulle.

« Des saveurs citronnées et céréalières qui dominent. Son acidité fait travailler nos papilles gustatives. Rafraîchissante au max, c’est tellement mieux qu’une limonade ! » — Sébastien Robitaille

Arrakis, Broue Pub Brouhaha

Saison, 4,5 % alc./vol.

Saison au poivre des dunes, légère amertume sur notes résineuses.

« Des saveurs de bois, de sapin et d’épices s’expriment de manière délicate. Des notes de fruits légèrement acides, comme la cerise de terre, la carambole et le citron. Finale sèche et peu poivrée qui rappelle celle du bois en bouche. » — Sébastien Robitaille

Saison du Parc, Dieu du Ciel !

Saison, 4,2 % alc./vol.

Saison inspirée de la tradition belge, légère et souple.

« Juste assez sèche pour étancher les soifs les plus coriaces. Rapport qualité-prix redoutable ; ça vaut la peine de faire des réserves puisqu’il s’agit d’une saisonnière qui arrive généralement en plein milieu du printemps. » — Pierre-Luc Gagnon

Tête de cheval, Microbrasserie St-Pancrace

4,8 % alc./vol.

Ale sûre aux fruits

Orangée aux reflets rougeoyants, au nez acidulé et frais. Finale sèche et désaltérante.

« Blanche surette à l’argousier et aux airelles sauvages, orange et rosé, vive, fruitée, ensoleillée. » — Paule Gosselin

Gose-sur-mer, Le Naufrageur

4,25 % alc./vol.

Ale brassée avec 18 % d’eau de mer de la baie des Chaleurs, acidité moyenne, notes citronnées et finale sèche.

« Bière sûre à l’eau de mer avec lactobacilles, vive, mordante, rafraîchissante avec finale saline. » — Paule Gosselin

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