Chronique

La démocratie refoulée de l’imam Chaoui

Quand un homme qui n’aime pas « la démocratie » recourt aux tribunaux, je trouve ça joli.

Il y a là-dedans une sourde envie démocratique qui s’exprime, une attirance refoulée pour ses symboles.

Si vraiment l’imam Hamza Chaoui traîne Denis Coderre au palais de justice pour « diffamation », c’est qu’il reconnaît sinon la légitimité, du moins l’utilité de l’État de droit, non ?

Quelle jolie fleur il fait à notre société décadente et hédoniste en invoquant la même charte des droits qui interdit la discrimination contre les homosexuels, les femmes et les minorités religieuses !

Si vous êtes la Démocratie, par contre, j’avoue que c’est un peu insultant.

« Tu m’aimes juste pour ma Charte, c’est ça, hein ? »

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Dans son entrevue à Radio-Canada, Hamza Chaoui répète sa conviction : l’islam est incompatible avec la démocratie. Sa vision de l’islam, du moins, qui n’est pas celle de la majorité.

Ce n’est pas parce que je suis antidémocrate ou que je critique le système que j’en appelle à la violence ou à la haine, dit-il.

Il respecte les lois mais en critique les fondements, en somme.

C’est évidemment un point de vue que, dans une démocratie constitutionnelle, on a le droit de défendre. Comme un communiste ou un anarchiste a le droit de dénoncer le système démocratique.

Je vois mal, d’ailleurs, à part le subterfuge du zonage utilisé par la Ville, comment on peut interdire à M. Chaoui de réunir des gens pour dire ce qu’il pense de la démocratie, des homosexuels, de la vie, du Coran ou de tout autre sujet de son choix. Tant qu’il n’y a pas d’appel à la haine ou à la violence, autrement dit tant qu’il ne viole pas le Code criminel.

Sauf que la liberté est une rue à sens multiples où personne ne contrôle le trafic des opinions.

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Quand on tient des propos extrêmes, on peut être extrêmement critiqué. En 2015, affirmer que la démocratie ne se marie pas avec l’islam, c’est un peu gros. C’est énorme, même. C’est… radical.

On a le droit, je le répète, de professer une critique radicale du « système ».

Mais qu’on n’aille pas courir sous les jupons de la loi à la première contre-critique un peu sévère !

Denis Coderre, dans le style qu’on lui connaît, a dit que l’imam est un « agent de radicalisation ». Il a ajouté que c’était un « fomenteur de tensions sociales ».

C’est une opinion, une critique dure, mais elle s’appuie sur les positions publiques de l’imam, qui exige maintenant des excuses, une rétractation, avec menace de poursuite.

Ce n’est pas très sérieux.

Se promener dans les mosquées et prêcher que la religion des musulmans ne peut pas fleurir dans une démocratie, c’est promouvoir une vision radicale. C’est être, si je comprends bien le français, un agent de radicalisation.

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Dans le contexte de terrorisme islamiste qu’on connaît, « agent de radicalisation » a un sens particulièrement péjoratif, évidemment. On a en tête des gens qui incitent des jeunes à aller faire la guerre sainte, en Irak ou à Saint-Jean-sur-Richelieu – un endroit où a prêché l’imam devant Martin Couture-Rouleau, en passant.

En même temps, il y a mille façons d’être un « agent de radicalisation ». On peut respecter les lois, dénoncer les décapitations et les bombardements, mais être quand même en train de radicaliser son auditoire.

On peut aussi être un maire et honnêtement penser qu’un discours semblable fomente des tensions sociales.

Bref, ce qu’a dit le maire porte assurément atteinte à la réputation de l’imam. Mais premièrement, circuler en ville en tenant un discours antidémocrate et antigais, c’est courir après la réplique.

Et deuxièmement, ce qu’a dit Denis Coderre tombe clairement dans la catégorie « commentaire loyal ».

Le maire de la ville la plus grande et la plus cosmopolite au Québec a le droit, le devoir même, d’envoyer des messages tout aussi clairs et désagréables aux critiques radicaux de la démocratie.

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Les mêmes garanties juridiques qui permettent à l’imam de détester publiquement la démocratie permettent de le dénoncer.

C’est ainsi qu’on l’aime, la démocratie.

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