another brick in the wall à l’opéra de montréal

Une histoire mieux racontée, selon Rolling Stone

Another Brick in the Wall « troque le rock pour la puissance émotionnelle », titre le magazine américain Rolling Stone dans sa critique de la production de l’Opéra de Montréal. « La mauvaise nouvelle, c’est que ce n’est pas The Wall de Pink Floyd. La bonne nouvelle, c’est que ce n’est pas The Wall de Pink Floyd – et à peine celui de Roger Waters », écrit Kory Grow, selon qui l’histoire est mieux racontée.

— Alain De Repentigny, La Presse

Chronique

Un dimanche au Canada

Vous étiez sans doute à l’écoute (ironie), mais dimanche avait lieu à Toronto le très attendu (sarcasme) gala des prix Écrans canadiens. L’équivalent canadien (grossière exagération) de la soirée des Oscars ou des Golden Globes. Mais en direct à la CBC, avec des pubs de la nouvelle mouture d’Anne… la maison aux pignons verts.

Vous vous laviez les cheveux ? Ne soyez pas si désolés : le principal lauréat de la cérémonie, Xavier Dolan, était absent (pour cause de tournage à Prague) et même l’animateur, l’humoriste Howie Mandel, avait l’air de se demander ce qu’il faisait là.

Toute la soirée, l’ex-animateur de la version américaine du Banquier (Deal or No Deal) et juge de l’émission America’s Got Talent (Du talent à revendre) a buté sur des noms de lauréats ou des titres de films et d’émissions qu’il lisait pourtant sur un télésouffleur.

Mandel ne semblait pas connaître les trois quarts des finalistes. Moi non plus, du reste. Mais je ne suis pas grassement payé pour animer un gala télévisé. Comme bien des expatriés canadiens à Hollywood, ce cher Howie a plusieurs fois vanté les mérites de son pays d’origine – il est né en banlieue de Toronto –, le plaisir qu’il avait à le retrouver, et autres obséquiosités de circonstances.

« Tant de visages familiers ! », a déclaré le Canadien errant pendant son monologue d’ouverture, en parcourant la salle à la recherche d’une star digne de ce nom. Heureusement qu’il y avait Eugene Levy et Catherine O’Hara pour le dépanner. Catherine qui ? dites-vous. Ce qui résume bien le rapport qu’entretient le public québécois avec cette cérémonie.

Après s’être trituré les méninges à prononcer le nom coréen de la tête d’affiche d’une populaire sitcom canadienne (Kim’s Convenience), Mandel a jeté avec bonheur son dévolu sur la seule vedette américaine sur place. L’humoriste Dave Chappelle était venu rendre hommage aux bonzes du festival Juste pour rire, Gilbert Rozon et Bruce Hills. (Hills l’a d’ailleurs remercié d’être venu malgré le froid ; était-ce une raison pour lui réserver une si chaleureuse ovation ?)

« Tu n’es pas allé aux Oscars ni aux Grammys, mais tu as décidé de venir aux Canadian Screen Awards ? », s’est étonné l’animateur en s’adressant à Chappelle, résumant toute sa considération pour l’événement dans un condensé de complexe de colonisé canadien.

Pourquoi Mandel n’a-t-il pas serré la main que lui tendait l’Américain ? Parce qu’il est atteint de mysophobie, qui n’est pas la peur des femmes, mais celle, maladive, des microbes et des germes. Pas de farce.

On n’en était pas au dernier malaise de cette soirée digne d’un gala annuel de chambre de commerce télévisé sur une chaîne communautaire, pilotée par Mandel avec l’entrain d’un animateur d’événement d’entreprise dans un sous-sol de Holiday Inn à Timmins.

Les lauréats, sans doute pressés par les organisateurs, couraient vers la scène dès que leur nom était nommé, afin de ne rien perdre du temps qui leur était alloué pour leur discours.

Ils étaient si préoccupés d’être interrompus par l’orchestre qu’ils débitaient leurs boniments à toute vitesse. Tatiana Maslany, qui a remporté deux prix d’interprétation (pour le cinéma et la télévision), a déplié nerveusement ses feuilles lignées, arrachées à un cahier « spirale », en arrivant au micro. On a vu plus chic dans un gala.

Howie Mandel a présenté Karine Vanasse comme ce qui semblait être « Kareem D’Inverness » (à l’oreille) avant d’inviter une spectatrice francophone, Dominique, à s’asseoir dans la fosse avec les musiciens. « Ce sera électrique », lui a-t-il dit. « Je suis électrique », lui a-t-elle répondu. Il n’a rien compris. Une métaphore du Canada moderne.

Cette soirée des Canadian « Screening » Awards, comme l’a rebaptisée malgré lui un présentateur, n’a pas seulement souligné au crayon gras les irréconciliables solitudes anglo-franco de ce vaste pays, mais mis en évidence une série d’isolements culturels.

Manifestement surprise, l’actrice Natasha Negovanlis a remporté le prix du public… pour une série web (Carmilla) – ce qui en dit long sur le faible rayonnement de la télévision dans le ROC. « Plusieurs d’entre vous doivent se demander qui je suis ! » En effet.

Je me targue d’avoir un minimum de culture anglo-canadienne – j’ai regardé le dernier spectacle de Tragically Hip (aussi récompensé par un prix Écran), en direct à la télé depuis Whistler en août. Or, la plupart des œuvres en lice dimanche m’étaient étrangères.

Parmi les 10 films finalistes, plusieurs n’ont pas pris l’affiche au Québec (ou au Canada anglais, en ce qui concerne les films québécois).

Ce n’est pas pour rien que plusieurs des prix décernés dimanche à des francophones ont été remis hors d’ondes. Même celui de l’acteur dans un rôle de soutien à Vincent Cassel pour le film de Xavier Dolan (prononcé « Dos-lent » toute la soirée).

Il y avait heureusement le suave Christopher Plummer (87 ans) pour parler, pendant l’hommage qui lui était consacré, de la richesse « de nos deux cultures » et de son souvenir de « pouvoir travailler dans les deux langues » dans sa jeunesse à Montréal. « Ce n’est pas la fin, j’espère ! », a-t-il ajouté en français, avant de quitter la scène.

Mais c’était bien peu de mots dans la langue d’Arcand pour justifier la cohabitation de « deux peuples fondateurs » au cours de cette soirée aux allures de mariage forcé. Ce qui m’amène à me poser la question franchement : le cinéma québécois, qui a déjà son propre gala, devrait-il, comme la télé québécoise, être exclu des Canadian Screen Awards (nés en 2011 de la fusion des prix Génie et Gemini) ?

Devrait-on laisser au Canada anglais le soin de célébrer sa propre culture cinématographique, laquelle – on en conviendra, peu importe ses allégeances politiques – a bien peu à voir avec celle du Québec ?

Ce gala absurde, qui récompense des œuvres qu’à peu près personne n’a vues, d’un océan à l’autre, dans les deux langues officielles, offre à cette question une réponse assez claire. À l’image de Howie Mandel, qui a terminé la soirée en se plaignant à voix haute qu’il n’y avait plus rien à lire sur son télésouffleur. Et qui semblait s’en soucier autant que nous.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.