Vers les élections

Choc de visions à Sherbrooke

La nuit électorale risque d’être longue à Sherbrooke. Pour déloger Christine Labrie de Québec solidaire, la Coalition avenir Québec a dépêché une ex-mairesse devenue chroniqueuse vedette à TVA, Caroline St-Hilaire. Dans la circonscription voisine de Saint-François, c'est QS qui passe à l’attaque malgré des sondages défavorables. Gros plan sur deux luttes qui s’annoncent serrées.

Circonscription de Sherbrooke

« Ça va être difficile de déloger Christine Labrie »

Sherbrooke — Il suffit de suivre la candidate de la CAQ Caroline St-Hilaire dans un bain de foule pour comprendre qu’elle a un atout dans sa manche : sa notoriété. « Spontanément, et ça va avoir l’air prétentieux, mais les gens sont contents de me voir. Ils m’ont vue à La joute [une émission politique diffusée sur la chaîne LCN], ils m’ont vue à la télé », lance-t-elle à La Presse.

Les électeurs de Sherbrooke auront droit à une lutte serrée entre la pugnace députée de Québec solidaire (QS) Christine Labrie et l’ex-mairesse de Longueuil et chroniqueuse à TVA. Ici, la campagne est déjà commencée.

Dans une séance de serrage de mains dans l’aire de restauration rapide du Carrefour de l’Estrie, elle attire l’attention. « Bonne chance, ma belle Caroline. Et tu diras bonjour à mon beau Mario [Dumont] », lance une électrice qui termine son repas. Un vote de plus dans la poche.

Mme St-Hilaire, qui a été députée du Bloc québécois de 1997 à 2008, puis mairesse de Longueuil de 2009 à 2017, doit cette notoriété au petit écran, où elle a « goûté à la liberté de parole ». Elle y renonce aujourd’hui en retournant dans la marmite politique : « Je voulais avoir la liberté de parole et je l’ai eue, mais je suis obligée de dire qu’après quatre ans, elle n’est pas aussi importante pour moi que le pouvoir d’agir. » « Mais je ne la perds pas complètement. On peut discuter à l’interne », précise-t-elle par la suite.

Lors de l’annonce de son investiture, elle a dû appuyer publiquement le projet de tunnel autoroutier entre Québec et Lévis, qu’elle a pourtant critiqué comme jouteuse. L’ex-élue souverainiste a également renoncé pour de bon à l’indépendance. « Les Québécois ont dit non. Continuer de poser la question, ça devient presque du harcèlement », laisse-t-elle tomber.

« On pourrait sortir toutes mes déclarations des quatre dernières années, j’en ai eu des bonnes, j’en ai eu des moins bonnes. On commente l’instantané, ce n’est pas toujours une réflexion non plus. »

— Caroline St-Hilaire, candidate de la CAQ

Le train ou l’avion ?

Sur le fond, les différences d’approche entre QS et la CAQ sautent aux yeux. Lors de la visite de La Presse à Sherbrooke, Mme St-Hilaire rencontrait les autorités de l’aéroport municipal en compagnie du député de Mégantic, François Jacques. Le gouvernement Legault a déjà accordé 3 millions de dollars par l’entremise du Fonds d’appui au rayonnement des régions pour que l’aéroport mette en place une desserte commerciale entre la plus grande ville de l’Estrie et Montréal, mais il y a du sable dans l’engrenage.

L’élu et la candidate veulent savoir comment la CAQ peut aider l’organisme paramunicipal à attirer une entreprise aérienne pour exploiter une liaison vers des destinations internationales à partir de Montréal. Caroline St-Hilaire écoute, mais n’a pas de réponse pour l’instant.

La question est controversée. La députée solidaire Christine Labrie s’y oppose et veut plutôt que l’argent public soit consacré « à des modes de transport cohérents avec la lutte contre les changements climatiques ». Et la nouvelle mairesse progressiste de Sherbrooke, Évelyne Beaudin, a très mal reçu le projet lors de sa présentation au conseil exécutif de la ville. Elle préfère le train.

Le vote étudiant

L’analyste Philippe J. Fournier y voit un avantage pour Christine Labrie, qui a des « atomes crochus » avec la mairesse Beaudin, favorable à la densification urbaine et à la protection du territoire. Son outil de projection électorale, Qc125, prédit une quasi-égalité, mais le spécialiste des sondages estime que QS devrait l’emporter s’il fait sortir son vote sur les campus. « Ça va être difficile de déloger Christine Labrie », explique le spécialiste des sondages.

Mme Beaudin, elle, reste neutre dans cette course et ne se voit ni à gauche ni à droite. Mais elle explique sa propre victoire électorale à la mairie par une implication politique plus importante des étudiants, un bassin électoral qu’elle partage avec QS.

« On dirait que le poids politique de nos institutions d’enseignement et de la population étudiante et du corps professoral n’était pas si grand que ça avant. J’ai l’impression que depuis quelques années, le milieu plus intellectuel, plus universitaire, a pris beaucoup plus de place dans l’espace politique. »

— Évelyne Beaudin, mairesse de Sherbrooke

Christine Labrie ne s’éloigne pas des racines de Québec solidaire. La Presse l’a rencontrée lors du lancement d’un projet de terrasse publique au Baobab café, rue Dunant, situé dans un des quartiers « les plus défavorisés de la ville ». L’objectif, créer un jardin collectif et un espace de rassemblement agréable dans le stationnement d’un centre commercial. « C’est un îlot de chaleur qu’on tente de reverdir », lance Mme Labrie. Elle a planté elle-même les radis d’un bac de jardinage en compagnie de son fils.

Mme Labrie estime que l’élection d’Évelyne Beaudin montre qu’« il y a beaucoup de progressistes à Sherbrooke, qui sont prêts à voir la ville changer, à voir le Québec changer, et qui sont prêts à se mobiliser pour faire élire des gens qui veulent mettre en œuvre ces changements ».

Crise du logement

La déclaration de Mme St-Hilaire en faveur du troisième lien Québec-Lévis ne lui a pas échappé.

« À Sherbrooke, vous allez avoir beaucoup de difficulté à trouver des gens qui appuient ce projet. Ces milliards de dollars, tout le monde voit qu’on peut les mettre ailleurs. »

— Christine Labrie, députée sortante et candidate de Québec solidaire

Par exemple, dans le logement. À Sherbrooke, environ 1300 ménages attendent d’avoir un logement social, rapporte Radio-Canada, et le taux d’inoccupation est de 0,9 %, bien en deçà du point d’équilibre. La mairesse Beaudin plaide pour davantage d’autonomie municipale et s’attend à ce que l’enjeu du logement soit « omniprésent » dans la campagne.

Québec solidaire propose la construction de 50 000 logements sociaux partout au Québec. « La question, c’est : est-ce qu’on a besoin de quelqu’un pour défendre les choix du gouvernement, ou de quelqu’un qui va représenter les gens de Sherbrooke à l’Assemblée nationale », dit Christine Labrie.

Caroline St-Hilaire, de son côté, est bien consciente que la crise du logement frappe fort en Estrie. Elle promet que la CAQ aura « des solutions intéressantes » à proposer à l’automne. Mais elle ajoute qu’« il ne faut pas nécessairement s’opposer aux promoteurs ». « Ce sont souvent eux qui ont les terrains, les outils financiers pour faire du développement un peu plus rapidement. Dire que Québec va payer, c’est un peu facile », dit-elle.

Résultats dans Sherbrooke en 2018

Christine Labrie (QS) : 34,3 %

Luc Fortin (PLQ) : 24,7 %

Bruno Vachon (CAQ) : 23,4 %

Guillaume Rousseau (PQ) : 14,6 %

Circonscription de Saint-François

Tenter de faire tache d’huile

Sherbrooke — L’après-midi est venteux. La candidate de Québec solidaire Mélissa Généreux organise la résistance au Faubourg Mena’Sen, un complexe domiciliaire pour retraités de Sherbrooke créé par un organisme à but non lucratif, mais vendu dans la controverse à des promoteurs immobiliers.

Devant une trentaine de retraités, la médecin de santé publique prodigue des conseils pour que la lutte se poursuive : se réunir, former un comité, trouver des moyens pour s’assurer que la « nouvelle » continue de faire les manchettes et fasse pression sur le gouvernement.

Le sujet du jour : la déclaration de François Legault, qui a affirmé plus tôt en semaine lors d’un passage en ville que la vente, qui a permis aux administrateurs de l’OBNL d’empocher 18 millions, était « légale ».

« Ce qu’on a fait comme vérification était de voir si c’était normal qu’un organisme à but non lucratif puisse vendre comme ça, et empocher les profits individuellement, et malheureusement, les vérifications nous montrent que c’était légal », a expliqué le premier ministre à Radio-Canada.

Pour les résidants, qui craignent des hausses de loyer maintenant que le propriétaire est un promoteur privé, ça ne passe pas. Pour Mélissa Généreux non plus. « Je ne savais pas qu’il était juge », lance-t-elle aux résidants. Elle accuse le premier ministre de manquer d’empathie. L’ancienne directrice de la Santé publique de l’Estrie – elle officiait lors de la tragédie de Lac-Mégantic – s’inquiète de son côté des « impacts psycho-sociaux » : « Ça doit être pesant, l’incertitude, le stress, une certaine détresse que ça peut engendrer », leur dit-elle.

La veille, la mairesse de Sherbrooke, Évelyne Beaudin, a demandé au promoteur de « remettre la propriété à la communauté ». QS pousse l’idée plus loin en faisant signer une pétition pour annuler la vente ou pour forcer le propriétaire privé à revendre à un OBNL « sans beefer le prix », lance Mme Généreux.

« J’ai entendu la mairesse hier qui a dit qu’on ne vous laissera pas tomber. Bien moi non plus, je ne vous laisserai pas tomber. »

— Mélissa Généreux, candidate de Québec solidaire

Une partie importante de la circonscription de Saint-François, où se présente la Dre Généreux, se trouve dans la ville de Sherbrooke. Historiquement, elle a été tenue tour à tour par des libéraux et des péquistes. En 2018, elle a été prise par la caquiste Geneviève Hébert avec une confortable majorité de 4500 voix.

Une côte difficile à remonter

Malgré les sondages défavorables, QS y applique une recette qui lui a fait connaître du succès par le passé. Après la victoire de Christine Labrie en 2018 dans la circonscription voisine, les solidaires veulent faire tache d’huile et s’impliquent dans les combats locaux. Ils investissent, pour citer le chef parlementaire du parti de gauche Gabriel Nadeau-Dubois, « à la fois la rue et le Parlement ».

Mais la côte sera dure à remonter. L’analyse en sondage Philippe J. Fournier met de l’avant une simple formule arithmétique : depuis les dernières élections, le vote péquiste s’est dégonflé, surtout au bénéfice de la CAQ. La candidature de Mélissa Généreux est « impressionnante », dit-il, mais il doute fortement qu’elle soit suffisante pour combler l’écart de plusieurs milliers de voix avec la CAQ.

La députée sortante, Geneviève Hébert, ne fait pas encore campagne. Elle s’apprêtait d’ailleurs à s’envoler pour le Rwanda pour une mission parlementaire lorsqu’elle a rencontré La Presse. Elle ne veut pas prononcer le nom de Mélissa Généreux : « Il n’y a pas juste une candidate. »

Au sujet du Faubourg, elle souligne dans les médias locaux que son gouvernement ne peut pas y faire grand-chose puisque « la transaction, initialement, est légale ».

Bon bilan

Lorsqu’elle rencontre les citoyens, ils lui parlent surtout d’inflation et de logement, dit-elle. Pour les rassurer, elle leur rappelle son bilan.

« Quand on réalise ce qu’on dit, ça donne confiance aux gens pour l’avenir. »

— Geneviève Hébert, députée sortante et candidate de la CAQ

Elle souligne notamment l’agrandissement d’une école à Compton et la rénovation de la piscine du cégep de Sherbrooke. Des projets, dit-elle, enlisés et qui ne cadraient pas dans les programmes, mais qu’elle a su mettre de l’avant au sein de l’appareil gouvernemental.

Et elle n’hésite pas à en faire la promotion sur sa page Facebook de députée, où elle se fait le porte-voix, « chaque dimanche depuis un an et demi », de la « bonne nouvelle de Saint-François ». Dans des vidéos qu’elle narre elle-même, elle honore des organismes, bénévoles et entreprises que se sont démarqués dans sa circonscription.

Mélissa Généreux, elle, continue de faire du porte-à-porte pour faire la promotion d’une manifestation contre la vente du Faubourg, et n’est pas découragée par les sondages. « Je me dis que je le fais pour la bonne raison. C’est le chemin qui va me rendre jusque-là. Les gens voient que c’est sincère, qu’on est animés par des bonnes intentions. Et ça sera à eux de prendre la décision le 3 octobre », laisse-t-elle tomber.

Résultats dans Saint-François en 2018

Geneviève Hébert (CAQ) 34,7 %

Charles Poulin (PLQ) 23,3 %

Kévin Côté (QS) 22,7 %

Solange Masson (PQ) 16,2 %

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.