Grand nord québécois

Pénurie criante

de logements

KUUJJUAQ — Des maisons dans lesquelles chaque chambre est occupée par une famille différente. Des « itinérants » qui errent de divan en divan, faute de toit. Des lits utilisés en rotation pendant la journée. Les Inuits du Grand Nord québécois vivent l’un sur l’autre au milieu d’un territoire immense. Au milieu d’une crise du logement qui s’aggrave chaque année.

Et les spécialistes sont unanimes : en plus de faciliter la propagation de maladies graves comme la tuberculose, la surpopulation des logements du Grand Nord a un lien direct avec les problèmes sociaux qui ravagent la région.

Ici, 98 % des habitants vivent dans des maisons qui ne leur appartiennent pas. Sans possibilité d’acheter un terrain et devant des coûts importants de transport des matériaux et d’assurances, la quasi-totalité des Inuits se tournent vers les logements sociaux.

Mais il en manque. Alors ils attendent, souvent entassés dans des conditions difficilement imaginables « au sud ».

« Il y a beaucoup de jeunes femmes qui ont des bébés juste pour grimper dans la liste d’attente. Parce que lorsque vous êtes célibataire, sans enfant et que vous voulez votre propre logement, vous êtes au fin fond de la liste », explique la numéro deux de la santé publique locale, Elena Labranche. « Ma propre fille l’a fait. Alors je le sais. »

Plusieurs générations d’une famille doivent souvent cohabiter de force, parfois en présence de conjoints, d’amis ou de cousins. Un cocktail explosif qui contribue à fragiliser le tissu social du Nunavik.

« Personne n’a d’espace à lui. Ça fait naître des problèmes sociaux comme l’abus d’alcool, qui mène à des agressions physiques, des agressions sexuelles. »

— Minnie Grey, directrice générale de la Régie régionale de la santé

« L’abus d’alcool et de drogues est un symptôme de quelque chose qui ne tourne pas rond dans la vie, ajoute Mme Grey. Lorsque vous ne pouvez pas vivre votre propre vie, quand vous vivez sous le toit de quelqu’un d’autre, ça empire ces problèmes. »

Au-delà de ces catastrophes sociales que sont les agressions sexuelles et physiques, les petits drames quotidiens.

Des enfants incapables de trouver un endroit calme pour faire leurs devoirs ou constamment réveillés pendant la nuit. Des jeunes couples piégés dans la maison des beaux-parents pendant des années.

« Certains utilisent tour à tour des lits. Lorsque quelqu’un va au travail, un autre va se coucher », ajoute Mme Labranche. De plus, « on voit de plus en plus de “couch surfing” dans les communautés. Ils vont dans la maison d’amis pour dormir sur leur divan et, quelques jours plus tard, ils vont dans une autre maison ». Des sans-abri du Grand Nord.

1030 LOGEMENTS

La semaine dernière, l’Office municipal d’habitation a rendu publics les résultats de sa dernière évaluation de la situation : il manquerait 1030 logements au Nunavik, uniquement pour combler les besoins actuels de la population – un chiffre en hausse par rapport au déficit de 899 logements calculé il y a deux ans. Le même jour, le gouvernement régional annonçait qu’il n’en planifiait que 60 à l’été 2016, pour l’instant du moins.

Québec et Ottawa se partagent la responsabilité de loger les Inuits du Nunavik. Si les choses ne changent pas, « les ministres qui seront en place dans 10 ans auront un énorme problème », reconnaît Geoffrey Kelley, ministre responsable des Affaires autochtones au sein du cabinet Couillard. « C’est déjà une crise en 2015. » M. Kelley dit être particulièrement inquiet en observant le nombre élevé de jeunes Inuits qui fonderont bientôt des familles, sans toit pour les loger.

En plus de la construction de logements sociaux, le gouvernement doit aussi faciliter la tâche des particuliers qui veulent bâtir leur propre maison, a-t-il fait valoir. Mais « le gros de la solution demeure l’augmentation du nombre de logements sociaux ».

Le ministre fédéral des Affaires autochtones a refusé d’accorder une entrevue à La Presse sur le sujet. « Le gouvernement verse chaque année plus de 17 millions de dollars aux Inuits du Nunavik dans le cadre de l’Entente sur le logement au Nunavik (2010-2015) », a affirmé la porte-parole Michelle Perron dans un courriel présentant les positions générales du fédéral. Le document reconnaît l’existence d’une « pénurie croissante » de logements.

C’est la société Makivik qui reçoit les fonds des gouvernements et procède à la construction. Son président avoue se sentir parfois comme une balle de ping-pong entre Québec et Ottawa.

« Les deux gouvernements doivent faire davantage », affirme Jobie Tukkiapik. Son équipe et lui tentent de convaincre Québec et Ottawa de s’attaquer réellement au problème en effaçant complètement la pénurie de logements, plutôt que de maintenir la situation de crise en ajoutant quelques dizaines de maisons par année.

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