Le Québec dans l’œil du monde

Le Québec est-il épuisé à ce point ?

Lorsqu’une centrale syndicale entreprend un processus de négociation, son plan de match se joue à trois niveaux : ses objectifs, sa stratégie, mais surtout son axe principal de communication.

C’est lui que nous percevons et qui est véhiculé dans les médias. C’est lui que nous allons retenir de l’ensemble de la démarche. Le syndicat cherche à positionner sa quête et à justifier officiellement ce qu’il cherche à obtenir.

Jusqu’à la fin des années 80, l’axe de communication des centrales syndicales était, la plupart du temps, l’amélioration du salaire des employés. C’était l’époque des grandes mobilisations. Entre 1970 et 1990, c’était aussi l’époque où la presse s’est beaucoup intéressée aux aspects normatifs des syndiqués. Il s’agit là des éléments liés aux conditions de travail qui excluent la rémunération.

Au tournant du XXIsiècle, l’axe dominant des grandes négociations publiques a tourné autour de la qualité du service aux bénéficiaires. Les syndicats n’avaient tout à coup pas d’autres intérêts que celui des clientèles. Elles se disaient très inquiètes de la qualité de l’enseignement, des soins et de l’ensemble des services.

À la même époque, le monde syndical a fait l’objet d’une des couvertures les plus négatives de son histoire contemporaine. Entre 2008 et 2009, l’ensemble des centrales souffraient d’un douloureux amalgame. On les accusait d’avoir trop de pouvoir, d’entretenir un climat malsain et de prendre les populations en otage. On s’est même mis à associer le crime organisé au monde syndical.

C’est alors qu’est apparu un nouvel axe de communication, plus humain, mieux orienté sur les préoccupations citoyennes modernes : l’épuisement professionnel.

Depuis 2014, l’épuisement professionnel associé aux négociations de conventions collectives a connu une croissance annuelle moyenne de 42 %. Depuis quatre ans, il s’est accru de 153 %. 

L’épuisement professionnel est le sujet qui a connu la plus forte croissance dans l’espace médiatique quand il est question de conventions de travail.

En fait, si je vous présentais un résumé médiatique des différentes négociations de conventions de travail depuis quatre ans, on pourrait croire que le Québec en entier est sur le bord de l’épuisement. C’est devenu LA saveur du jour pour faire valoir sa cause. La formule pour avoir du succès.

Attention. Je ne minimise pas l’importance du phénomène. Je suis même ravi de découvrir que la santé mentale est enfin sortie du placard. Depuis cinq ans, son poids médias a gagné 43 %. On en parle enfin ouvertement dans nos familles, dans les médias et au travail.

Pourquoi alors m’inquiéter ?

N’importe quelle mode a une espérance de vie très courte. Une formule tout usage banalise notre intérêt pour un sujet. Pensez à l’environnement. Depuis qu’on a démocratisé le sujet et que tout le monde y va de ses théories politiques, économiques et sociales, le thème a perdu près de 66 % de sa vélocité médiatique.

À force d’entendre et de lire que toutes les professions représentées par les grandes centrales syndicales sont menacées par l’Armageddon, on risque de ne plus y croire. 

Utiliser le même message à outrance favorise l’usure médiatique, la banalisation ou simplement le syndrome de celui qui crie au loup.

Certes, il faut s’inquiéter de la santé mentale de nos travailleurs. Toutefois, entendez-vous souvent parler d’épuisement professionnel chez les travailleurs saisonniers, les gestionnaires ou les travailleurs autonomes ? Qu’en est-il de ceux qui n’ont pas les moyens de crier haut et fort qu’ils sont épuisés ? Souvent, ce sont ceux qui n’ont pas les moyens d’être épuisés.

En usant ainsi la formule, ne risque-t-on pas d’affecter l’équité de la santé mentale qui profite enfin d’une reconnaissance importante dans notre société ? Ceux et celles qui seront véritablement épuisés, en dépression, en retrait professionnel, bénéficieront-ils de la même sympathie une fois qu’on aura épuisé médiatiquement le concept lui-même ?

Et quel sera le prochain axe de communication du moment ? Le bonheur des milléniaux ?

Étonnamment, lorsque les médias s’intéressent à la résolution de la plupart des conflits de travail depuis quatre ans, on rapporte une entente autour des salaires, des congés et des conditions de travail, mais il n’est alors plus question d’épuisement professionnel.

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