Science

Attention aux incendies de toundras

Une nouvelle étude menée dans les Alpes montre que les changements climatiques pourraient causer des incendies de forêt dans la toundra du nord du Québec.

Des incendies peuvent survenir dans des forêts froides entourées de glaciers, ont découvert des chercheurs français et montréalais. Leurs travaux, qui portaient sur une région des Alpes située à 2200 m d’altitude et qui était complètement entourée de glaciers voilà 20 000 ans, montrent que les changements climatiques pourraient engendrer des incendies de forêt dans la toundra québécoise.

L’étude

L’étude porte sur deux lacs des Alpes, à la frontière de la France et de l’Italie, dans une zone appelée massif du Queyras. On a retrouvé dans les sédiments du lac Miroir des traces de forêts, et d’incendies de forêt, certains remontant à 21 000 ans, époque où les vallées des Alpes étaient recouvertes de 2000 m de glace, comme Montréal à l’époque. Le lac du Lait n’avait pas de tels sédiments. « On appelle nunataks ces refuges d’arbres au milieu des glaciers », explique l’un des auteurs de l’étude publiée hier dans la revue New Phytologist, Olivier Blarquez de l’Université de Montréal. « C’est un mot inuit qui signifie “montagne au-dessus de la glace”. Il est contre-intuitif de chercher des arbres au milieu de glaciers. »

Ses implications pour le Québec

Les nunataks ont été surtout étudiés dans la Sibérie et dans la Scandinavie arctique, mais dans un contexte de toundra. C’est ainsi que l’étude de M. Blarquez s’applique au Québec, plus précisément à la toundra du Nord, qui se réchauffe plus rapidement que la moyenne québécoise à la faveur des changements climatiques. « C’est la première fois qu’on voit des incendies de forêt sur des nunataks dans les Alpes. C’est très proche de ce qu’on va pouvoir retrouver dans le nord du Québec dans les prochaines décennies. »

Incendies de toundra

La croissance des broussailles dans la toundra québécoise commence à être plus importante, mais il n’y a pas eu pour le moment de grands incendies de toundra. « Par contre, en Alaska, il y en a, et c’est bien étudié, dit le paléobiologiste montréalais. Ce sont des incendies rares, mais très grands, qui obéissent à un cycle de plusieurs milliers d’années, contre quelques centaines d’années pour la forêt boréale. Autrement dit, pour que l’ensemble du territoire de la toundra connaisse au moins un incendie, il faut par exemple 7000 ans. Une étude en 2011 sur un incendie de toundra en Alaska en 2007 a montré que les incendies de toundra envoyaient beaucoup de CO2 dans l’atmosphère. Par conséquent, s’ils deviennent plus fréquents, la toundra contribuera à l’effet de serre plutôt que de fixer du carbone atmosphérique par la décomposition des végétaux. » L’incendie de toundra de 2007 en Alaska avait envoyé autant de carbone dans l’atmosphère que la toundra en avait capturé depuis un demi-siècle.

Migration des espèces

Les travaux sur les « paléoincendies » montrent que les espèces d’arbres risquent de migrer plus lentement que prévu, lors des changements climatiques. En effet, on s’est traditionnellement appuyé sur la vitesse de migration à la fin des glaciations pour prédire le rythme de la migration, explique M. Blarquez. Or, quand des arbres d’une espèce donnée migrant vers le nord rencontrent des spécimens de leur espèce dans ces refuges d’arbres, leur progression est plus rapide que ne l’est la migration liée au réchauffement climatique. « Il faut donc réviser à la baisse la capacité de migration globale des espèces. »

La prochaine étape dans ces recherches

Le paléobiologiste montréalais va continuer à étudier les limites des aires de distribution des espèces d’arbres maintenant et dans la préhistoire, ici et dans les Alpes. « Je veux aussi essayer de sortir les données paléoécologiques du champ scientifique et les transmettre aux aménagistes et aux gestionnaires des écosystèmes, dit M. Blarquez. J’organise dans un mois un atelier sur les paléoincendies qui va regrouper des aménagistes et des chercheurs d’une quinzaine de nationalités. On va parler des vitesses de migration actuelles et passées, de l’évolution des régimes de feu. » Quel serait un exemple de leçon à tirer des paléoincendies de forêts ? « Il faut gérer les forêts. Aux États-Unis, on utilise les incendies contrôlés. Ici, c’est plus l’exploitation forestière. »

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